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d'une Actrice madrée, qui ne va pas fi vîte en befogne que lui, & deffend fes dehors pied à pied, pour faire une capitulation plus avantageufe du corps de la place.

Je crois donc en vérité qu'on auroit moins de peine à être éclairci de ce qu'étoit la Comédie fous l'empire de Jules Céfar, que de ce qu'elle a été fous le regne de Henry IV. & cependant j'ai trente expériences pour me prouver qu'on écouteroit avec plus d'attention une perfonne qui en raconteroit des circonftances du tems de ce grand & de ce bon Roi, qu'on ne liroit un Hiftorien qui feroit un détail bien circonftancié de toutes les actions les plus particulieres de la bataille de Coutras.

La peinture des divertiffemens des tems paffés à une grace de nouveauté pour ceux qui ne les ont pas vûs, & ne manque jamais de réveiller une agréable reminiscence en ceux qui en ont été les témoins. En un mot j'ai toûjours remarqué qu'il y avoit deux tems également favorables à ces fortes de chofes : celui de leur naissance, & celui de leur caducité: parce que cette caducité, cette antiquité eft non feulement une feconde nouveauté, fi j'ose ainfi m'exprimer, mais une nouveauté, qui a eu déjà l'avantage de réuffir autrefois; car quand je dis qu'on feroit bien aise de fçavoir l'hi

ftoire des Comédiens, je ne l'entends que de ceux qui ont eu quelque talent: je condamnerois volontiers aux peines que le Droit Romain a décernées pour les fépulcres violés, * celui qui auroit l'inhumanité d'aller remuer les cendres des mauvais Comédiens, pour les faire encore fifler.

Rofcius eft plus connu de moi quand je lis fon portrait dans Ciceron, que ne le font de cette jeune moitié de Paris qui entre dans le monde, Floridor, Monfleuri, la Thoriliere, ** la Fleur, la Thuilerie, Chammelé, &c. Encore paffe pour ceux là: quelque mérite qu'ils ayent eu, ceux qui font morts font morts, comme on dit communément. Mais combien y a-t-il de gens qui ne connoiffent pas même M. Rofeli, tout plein de vie qu'il eft, auffi bien que cet unique & incomparable Acteur, qui comme lui n'étant mort que pour le Public, femble tous les jours rédoubler aux yeux d'un petit nombre de perfonnes auguftes & délicates les prodiges de fes talens, pour faire fentir mieux à ce Public la gran

De fepulcro violato.

***

** Excellent dans les rôles des Rois dans le comique. Il étoit pere de M. de la Thoriliere d'aujourd'hui.

*** Grand Acteur dans les rôles des Rois, & fort bon dans plufieurs rôles comiques, fur tout dans celui de paysan.

deur de la perte qu'il fit le jour de fa retraite? *

J'ai raifon d'avancer que Rofcius eft plus connu de moi, que ne le font de la moitié de Paris tous ces Acteurs que je viens de nommer, dont pas un de nos Cicerons, pas même un de nos ingrats Poëtes tragiques ni comiques (qui leur ont plus d'obligation qu'ils ne croyent) n'a eu la reconnoiffance d'écrire la moindre chofe à leur honneur.

Ce feroit pourtant une efpéce de petit monument qu'on devroit à leur mérite & à leurs fervices. Il y en a eu plus d'un parmi eux à qui l'on auroit pû appliquer les mêmes termes honorables dont Ciceron fe fert pour fon client, & de qui l'on pourroit dire, comme de Rofcius, ** qu'il avoit plus de probité que d'art, plus de vérité que d'induftrie; que le peuple le regardoit plus encore comme homme de bien,que comme Comédien habile; & que par fon integrité & fa retenuë il étoit auffi digne d'entrer

*M. Baron, pere du bon Acteur de ce nom.

**Plus fidei quàm artis, plus veritatis quàm difciplinæ poffidet in fe. Quem Populus Romanus meliorem virum quàm Hiftrionem effe arbitratur. Qui ita digniffimus eft Scenâ propter artificium, ut digniffimus fit Curia propter abftinentiam.

Eft-ne quifquam qui tibi purior, humanior, offi ciofior, liberaliorque videatur? Cic. pro Rofc.

dans les Charges de la République, que de regner fur la Scene par la délicateffe de fon jeu. Je ne m'étonne pas qu'un Comédien qui excelle foit un parfaitement honnête homme. Qui eft plus nourri que lui de beaux fentimens ? qui a l'efprit plus rempli des images de toutes les vertus? qui occupe fa mémoire de plus de leçons fur les moeurs, & s'étudie avec plus de foin à corriger le vice & le ridicule? en un mot qui a plus d'entrailles? fource de toute l'humanité. Je ne ferai jamais furpris quand des Scipions & des Lelies vivront avec des Comédiens de ce caractére dans une auffi grande familiarité qu'avec des Poëtes comme Terence. Mais ce portrait a fon revers ainfi que les médailles, & tout ce qui fait l'éloge du bon Comédien est à la honte du mauvais.

Si je viens de dire qu'on devoit à la mémoire des bons Comédiens le foin de confacrer leur nom à la postérité, je crois qu'on ne le devroit pas moins à la curiofité des perfonnes qui viennent long-tems après eux : ce feroit pour elles en quelque façon un dédommagement de ne les avoir pas vûs. Moliere vit & vivra éternellement dans fes ouvrages. On croit tous les jours n'avoir pas perdu le fameux Poiffon, quand on voit fon fils. Mademoiselle Demares

*

rappelle toutes les idées de fon illustre tante quand elle jouë dans la Tragedie, & de Mademoiselle Beauval quand elle a un rôle comique. Mais le charmant, le gracieux, l'ineftimable Raisin, mais Brecourt, la Grange, de Viliers si bon dans les rôles de Gafcon, d'yvrogne, de Marquis ridicule; & Rofimon, l'idole de la rue au Fer &lieux adjacens ; Dauviliers, à qui fa voix féduifante dans la déclamation avoit fait tant de partifans: qui fera connoître tous. ces Acteurs, je ne dis pas feulement à nos neveux, mais même à la jeuneffe de nos jours? Qui leur ramenera les merveilles de l'inimitable Dominico, ** les charmes de la nature joüant elle-même à vifage découvert fous le vifage de Scaramouche ? Il n'est point jufqu'à Gherardi & à Mezzetin, qui, en comparaifon de ces grands Comédiens, n'ont été que fort médiocres, dont on ne fût bien aife d'oüir parler, parce qu'ils ne font plus, & dont on ne voulût connoître les jeux, & ce que les Italiens appellent Lazzi; ainsi que de plusieurs autres & Italiens & François, qui ont eu de très bonnes parties pour leur métier. Tout cela commence de n'être plus connu des personnes de vingt ans ; jugez de ce *Et véritablement illuftre, Mlle Chammelé. **C'étoit le nom de l'inimitable Arlequin.

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