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qu'ils feront à la Cour de Monfeigneur le Duc de Bretagne.

Il est arrivé depuis vingt ans de grands changemens au Théatre: quels Acteurs n'a-t-il pas perdus par leur mort ou par leur retraite, dont n'a prefque pas ouï parler une grande partie de ceux qui aux fpectacles font aujourd'hui la foule ( & la cohuë auffi quelquefois?) J'ai crû que pour peu qu'ils fuffent curieux, ils pourroient bien me fçavoir quelque gré de leur apprendre au moins qui étoient ceux qui occupoient le Théatre dans le tems de la nouveauté de ces Pieces; & felon le plaifir que fera le peu que j'en ai dit, je profiterai de l'occafion que j'efpére d'avoir bientôt d'en parler plus amplement.

Voilà, à peu près, tout ce que j'avois à dire à mes lecteurs, & que j'aurois pû dire plus brièvement dans ces pages de profe négligée, qui méritoient tout au plus le nom d'avertiffement, au lieu de celui de Préface. En effet rien n'y ressemble moins que ce bizarre & hardi Prologue qui a tous les défauts de ceux de Rabelais, fans en avoir la grace & la naïveté, qui eft digne précurfeur des Difcours évaporés qui le fuivront,& eft enfin en tout oppofé à une fage Préface: mais principalement en ce qu'un auteur qui eft affez prudent pour ne s'y

pas louer, ne manque guéres de s'y excufer pour le moins ; & moi je me charge, je prononce moi-même ma condamnation, je me fais le premier mon procès, bien loin d'être l'apologifte de mes fautes. Je fais plus, on diroit que j'affecte de les aggraver, en publiant que je les ai connuës; je n'en difconviens point, je ne fçaurois trahir la vérité. Quelque fouvent que je me fois écarté de mon fujet, quelque aifément que j'aye pris le change, je ne l'ai jamais pris avec l'inexpérience de ces jeunes chiens qui empaument une fauffe voye fans fçavoir ce qu'ils font, ou trompés par les apparences. J'avoue que j'ai toujours pris le change volontairement, le fentant, le fçachant, le connoiffant & le voulant bien, qui font les circonftances qui aux terines des loix, aggravent ordinairement les fautes qu'on commet dans le cours de la vie civile. J'ai prétendu que c'eft ce qui doit faire excufer celles que j'ai commifes dans ma maniere d'écrire, parce que rien ne rend tout homme qui écrit moins excufable dans fes fautes, que fon ignorance. Quand il les avoue, & que de plus il affûre qu'il les a connues, on doit charitablement penfer qu'il a eu fes raifons pour écrire ainsi; & s'il s'eft trompé dans ses raisons, il faut lui *Sciens, volens, prudens: termes du Droi

*

appliquer

appliquer cette maxime dont Horace s'eft fervi dans un autre fens: Il n'a pas mérité de loüange, mais il s'eft mis à couvert du reproche.

*

Sur ce principe je ne rougirai pas d'a vouer que j'ai toûjours connu quand je me fuis écarté de mon fujet, que j'ai fenti le premier la longueur d'une digreffion, la témérité d'une métaphore, l'audace d'un mot appliqué à tout autre ufage qu'à fa propre fignification, le dangereux écueil d'une expreffion avanturée, indifcretions, ou plûtôt impudences inexcufables en un tems où tout le monde fe pique d'avoir l'efprit de choix, de difcernement & de délicatesse. J'ai fi bien fenti tous ces défauts, que j'en marquerois les endroits, s'il n'y en avoit pas tant, & fi je ne craignois pas d'ennuyer deux fois. Mais en vérité je n'ai pas crû que des bagatelles, & pour mieux dire des folies, méritaffent plus de fageffe; je ne le crois pas encore, & fi je fuis dans l'erreur, j'aurai bien de la peine à en revenir les feuls fujets graves exigent une maniere d'écrire grave & férieufe, & je ne defefpere

pas de faire voir quelque jour au Public que je fçaurai être plus fage & plus retenu quand je lui préfenterai des ouvrages qui le * Vitavit denique culpam,

Non laudem meruit. Horat.

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mériteront mieux

que ceux-ci. Je ne diffimulerai pas d'ailleurs que j'ai voulu m'y laiffer voir dans tout mon naturel. Il auroit fallu pour mieux écrire que je me fuffe ce qu'on appelle un peu compofé, & que je me fuffe contraint. J'y ferois peut-être parvenu en fuivant de grands, mais fcrupuleux modéles, & tenant toûjours comme eux un compas d'une main & un trebuchet de l'autre pour pefer tous mes mots, & pour mefurer toutes mes périodes; j'aurois fait encore davantage fi je m'étois donné tant de peine, je n'aurois pas voulu que perfonne eût ignoré mon travail, & je crois que j'aurois mis une échelle au bas de chacun de ces Difcours, comme on en met une aux cartes

de Geographie, afin que mon Lecteur fût allé s'y éclaircir de la vérité qu'il y avoit dans l'observation des distances d'un mot à l'autre, & de la juste longueur de mes phrases.

Que n'aurois-je pas enfin pû faire à force d'art? mais je trouve que dans le propre & dans le figuré, dans la Grammaire & dans la Morale, dans prefque toutes les actions des hommes, comme dans ces deux mots, L'ART & L'ARTIFICE, l'un eft le commencement de l'autre, & je detefte tout ce qui a quelque rapport à ce dernier.

Ceux qui écrivent fi purement ne fe vantent pas de toutes les tortures & de toutes les gênes qu'ils fe donnent pour déguiser ce qui leur tombe d'abord dans l'efprit, pour l'enveloper d'une politeffe étudiée, & pour nous impofer par l'ordre & l'arrangement aufquels ils s'affujetiffent.

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Pour moi, fûr de l'innocence de mon coeur, je donne toute forte de liberté à monesprit ; & bien loin de chercher à furprendre le Public fur l'opinion qu'il lui plaira de former de moi, à laquelle je me foûmets avec refpect; bien loin de me mafquer pour gauchir, pour efquiver les coups de fa critique, je ne veux pas même éblouir ceux qui n'auroient pas affez de lumieres pour connoître mes fautes quelque groffieres qu'elles foient, je leur ouvre moi-même les yeux, & j'aime mieux être connu de tout le monde pour ce que je fuis véritablement avec tous mes défauts, que d'en tromper quelque partie par de bonnes qualités qu'il m'auroit trop coûté d'imiter, & qu'après beaucoup de peine je n'aurois peut-être que fort mal imitées : une franche, bonne & légitime renommée d'ingénuité m'est plus chere qu'une reputation d'efprit mal acquife.

Ce talent ne fait pas aujourd'hui affez d'honneur pour vouloir s'en parer par tou

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