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L

Il faut que je vous conte une petite historiette qui eft très-vraie, & qui vous divertira. Le Roi fe mêle depuis peu de faire des vers; il fit l'autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas joli. Un matin il dit au maréchal de Grammont: monfieur le Maréchal, lifez, je vous prie, ce petit madrigal, & voyez fi vous en avez jamais vu un fi impertinent : parce qu'on fait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. Le maréchal, après l'avoir lu, dit au Roi : Sire, votre majefté juge divinement bien de toutes chofes : il eft vrai que voilà le plus fot & le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. Le Roi fe mit à rire, & lui dit : N'eft-il pas vrai que celui qui l'a fait eft bien fat? Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. Oh bien ! dit le Roi, je fuis ravi que vous m'en ayiez parlé fi bonnement: c'eft moi qui l'ai fait. Ah! Sire, quelle trahifon! que votre majesté me le rende: je l'ai lu bruí

quement. Non, monfieur le Maréchal : les premiers sentiments font toujours les plus naturels. Le Roi a beaucoup ri de cette folie, & tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chofe qu'on puiffe faire à un vieux courtifan.

LETTRE

De RACINE.

A LYON je ne fuis refté que deux jours, & je m'embarquai fur le Rhône avec deux moufquetaires. Nous couchâmes à Vienne & à Valence. J'avois commencé dès Lyon à ne plus guere entendre le langage du pays, & à n'être plus intelligible moi-même. Ce malheur s'accrut à Valence, & Dieu voulut qu'ayant demandé à une fervante un pot de chambre, elle mit un réchaud fous mon lit. Mais c'eft encore bien pis dans ce pays (Ufez); je vous jure que j'ai autant besoin d'un interprete, qu'un Mofcovite en auroit befoin dans Paris; néanmoins je commence à m'appercevoir que c'est un langage mêlé d'efpagnol & d'italien; & comme j'entends affez bien ces deux langues, j'y ai quelquefois recours pour entendre les autres, & pour me faire entendre; mais il arrive fouvent que je perds toutes mes mefures, comme il arriva hier, qu'ayant befoin de petits clous à broquette pour ajufter ma chambre j'envoyai le valet de mon oncle en ville, & lui dis de m'acheter deux ou trois cents de bro

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quettes: il m'apporta incontinent deux bottes d'allumettes.

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Au refte, pour la fituation d'Ufez, vous faurez qu'elle eft fur une montagne fort haute, & cette montagne n'eft qu'un rocher continuel, fi bien que quelque temps qu'il faffe on peut aller à pied fec tout autour de la ville. Les campagnes qui l'environnent font toutes couvertes d'oliviers, qui portent les plus belles olives du monde mais bien trompeufes, car j'y ai été attrapé moi-même. Je voulus en cueillir quelques-unes au premier olivier que je rencontrai, & je les mis dans ma bouche avec le plus grand appétit qu'on puiffe avoir; mais Dieu me préserve de fentir jamais une amertume pareille à celle que je fentis; j'en eus la bouche toute perdue plus de quatre heures durant; & l'on m'a appris depuis qu'il falloit bien des leffives & des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange.

LETTRE

Du même.

Je vous ai vu rire affez volontiers de ce que le vin fait quelquefois faire aux ivrognes. Hier un boulet de canon emporta la tête d'un de nos Suiffes dans la tranchée : un autre Suiffe, fon camarade, qui étoit auprès, fe mit à rire de toute fa force, en difant: Ho! Ho! Cela eft plaifant; il reviendra fans tête dans le camp.

LETTRE

D'une jeune veuve.

pro

ON raconte quelque chofe que je me fuis mis de vous écrire.... Ne voilà-t-il pas que je l'ai totalement oublié !.... c'étoit le petit envoyé qui parloit.... il rioit même à chaque mot de fon hiftoire..... Ah! je la tiens. Le chevalier de L*** difputoit un jour avec feu La Faye fur la préférence qu'on doit donner au ftile; il s'agifloit des lettres de madame de Sévigné. La Faye, après une longue differtation conclut en faveur du ftile naturel, dépouillé de tout ornement. En un mot, difoit-il, il faut écrire comme on parle. Le chevalier, qui avoit foutenu la néceffité d'y mettre un peu d'art, &i piqué de voir tout le monde de l'avis de La Faye frit par une mauvaise plaifanterie : Non, fieur, je n'écrirai jamais comme je parle. Tantpis, Monfieur. Eh! non point tant-pis; car je parle du nez.

Mon

LETTRE

De Madame du MONTIER.

JE E me trouvai l'année paffée à la campagne avec un bon religieux qui a plus de quatre-vingts, ans; & voici ce qu'il me raconta.

Il fut mandé il y a quarante ans pour difpofer à la mort un voleur de grand chemin. On l'enferma avec le patient dans une petite chapelle ; & pendant qu'il faifoit fes efforts pour l'exciter au repentir de fon crime, il s'apperçut que cet homme étoit diftrait, & l'écoutoit à peine. Mon cher ami, lui dit-il, penfez-vous que dans quelques heures il faudra paroître devant Dieu? Et qui peut vous diftraire d'une affaire pour vous de fi grande importance? Vous avez raison, mon pere, lui dit le patient; mais je ne puis m'ôter de l'efprit qu'il ne tiendroit qu'à vous de me fauver la vie; & une telle penfée eft bien capable de me donner des diftractions. Comment m'y prendrois-je pour vous fauver la vie, répondit le religieux? & quand cela feroit en mon pouvoir, pourrois-je hafarder de le faire, & de vous donner par-là occafion d'accumuler vos crimes? S'il n'y a que cela qui vous arrête, répondit le patient, vous pouvez compter fur ma parole; j'ai vu le fupplice de trop près pour m'y expofer de nouveau. Le religieux fit ce que nous euffions fait, vous & moi, en pareille occafion; il se laiffa attendrir, & il ne fut plús question que de favoir comment il faudroit s'y prendre. La chapelle où ils étoient n'étoit éclairée que par une fenêtre qui étoit proche du toit, & élevée de plus de quinze pieds. Vous n'avez, dit le criminel, qu'à mettre votre chaife fur l'autel, que nous pouvons tranfporter au pied du mur; vous monterez fur la chaife, & moi fur vos épaules, d'où je pourrai gagner le toit. Le religieux fe prêta à cette manœuvre, & refta enfuite tranquillement fur fa chaife, après avoir remis

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