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fe prend prefque plus que dans un mauvais fens. Les ennemis de la Religion, en fe l'appropriant, l'ont avili au point que l'on

toyens. Ce que les Ecrivains de l'Hiftoire ancienne nous racontent de leur zèle pour maintenir la conftitution politique de leur pays, paroît incroyable. Mais pour être autorisé à les comparer avec les Philofophes d'aujourd'hui, il faudroit qu'on pût les convaincre de n'avoir travaillé de toutes leurs forces au foutien de la liberté républicaine, que parce qu'il eft plus aifé de la faire dégénérer en licence, que toute autre forme de Gouvernement. Il étoit naturel que l'efprit démocratique infpirât des hommes qui avoient à inftruire & à rendre bons des Peuples qui naif foient dans ce régime. Tour Philofophe qui propofe des vues dont l'exécution demande de grands changemens doit être mis au rang des rêveurs inutiles ; & s'il s'attache à porter la fermentation dans les efprits, & à attirer fur fes idées, une attention qui ne peut que déprécier aux yeux d'une Nation, le caractère de fon Gouvernement, il eft l'ennemi le plus dangereux qu'une Société puiffe nourrir dans fon sein. La sageffe ne confifte pas à vouloir produire ce qui n'eft pas; mais à rendre bon ce qui eft. Xénophon, qui connoiffoit auffi-bien qu'aucun Philofophe, le prix de la liberté, donnoit perfonnellement la préférence à la Monarchie, fur tout autre Gou vernement. Mais il n'en étoit pas moins ardent que tous fes Collègues, à entretenir parmi les Grecs l'ef prit républicain. Son Traité fur le Gouvernementzge Lacédémone, eft un des plus beaux chef-d'oeuvres de

craint d'injurier les vrais Sages, en les qualifiant de Philofophes: tant l'abus des titres les plus refpectables a de force pour

Politique qui foient fortis de la plume d'un Philofophe. On y voit qu'aux yeux de ce vafte génie, l'art de gouverner n'eft point l'art de méditer, de propofer & d'amener de grandes révolutions; mais l'art de former les hommes tels qu'ils doivent être, de les remplir de l'efprit qui convient à leur fituation politique, de les pétrir, , pour ainfi dire, fur la forme du Gouvernement auquel ils font foumis, & qui doit toujours être regardé comme néceffaire, unique & immuable. Jamais Lycurgue ne fut mieux loué que par Xénophon, parce qu'aucun Philofophe n'a mieux su que lui pénétrer l'efprit & la profondeur des principes de ce grand Légiflateur. Xénophon n'a craint pour les Grecs, que ce qui feroit aujourd'hui le triomphe de nos Philosophes : c'est-à-dire, le fuprême abus de la liberté, l'oubli de toute Religion, & le mépris des bonnes mœurs. C'étoit pour les fortifier de plus en plus dans l'eftime & la pratique des vertus graves & auftères, que ce Philofophe s'appliquoit à entretenir parmi eux cette dispoTM fition de dédain & de haine contre les moeurs efféminées & voluptueufes des Afiatiques, qu'on regardoit dans toute la Grèce comme les plus vils de tous les Peuples. On fait tout ce qu'il tenta pour rappeller dans Athènes l'amour de la vertu, du travail, de la fobriété & de tous les exercices propres à former des appuis & des défenfeurs de la Patrie. Si fes confeils avoient été fuivis, il eût fait d'Athènes une autre Lacédémone; &

les rendre odieux & déshonorants! On dira de quelqu'un; il ne craint ni Dieu ni les Hommes; il méprife & brave tout,

ces deux grandes Républiques, au lieu de s'embarraffer & de fe heurter l'une l'autre, par l'incompatibilité de leurs humeurs & la contrariété de leurs intérêts, euffent été capables d'opposer, par leur réunion, une force invincible à toutes les entreprises faites contre leur liberté, & de rendre peut-être l'Etat de la Grèce indeftructible. Mais tandis que Lacédémone, austère dans les mœurs, immuable dans fes maximes, inébranlable dans fes deffeins, & infatigable dans fes travaux, donnoit les exemples les plus frappans de ce que peut produire un Peuple imbu des principes de la grande & folide Philofophie; la fauffe, c'est-à-dire une Philofophie toute femblable à la nôtre, corrompoit & amol liffoit les Athéniens, à qui il ne coûtoit rien d'abandonner leur ville au pillage & à l'incendie, au moment même où, fous leurs yeux, les Spartiates immoloient des armées entières de Barbares, à la confervation de la liberté commune.

Les Philofophes de nos jours ne parlent que de liberté : c'est-à-dire, que fous un nom innocent, & qui eft devenu infiniment équivoque fous leur plume, ils afpirent à dégoûter les hommes de la fujétion même néceffaire à toutes les formes d'adminiftration. Mais les anciens qui étoient plus inconteftablement les amis des Peuples, loin de les porter à étendre le cercle de la liberté républicaine, & de faire fervir leurs lumières à effréner l'efprit d'indépendance; ils réuniffoient tous,

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excepté les moyens de faire fa félicité perfonnelle. Et l'on répondra naturellement ; C'est donc un Philofophe. On a vu de nos

leurs efforts contre la pente naturelle des Républiques vers l'Anarchie, & les repouffoient plutôt du côté de la févérité d'une dépendance totale & univerfelle, qu'ils ne favorifoient le relâchement de l'obéiffance. Ils s'appliquoient à imprimer aux Loix qui étoient fimplement écrites & en petit nombre, un caractère de majefté & d'inflèxibilité, qui les rendît, s'il étoit poffible, auffi fortes & auffi impérieufes, que l'autorité fuprême de la Monarchie la plus abfolue. Plus ces Peuples étoient libres, plus leurs Philofophes croyoient nécessaire d'y établir fur les plus folides fondemens, les règles des mœurs & de la Société. Pythagore, Thalès, Anaxagore, Socrate, Archytas, Platon, Ariftote & une infinité d'autres, remplirent la Grèce des plus beaux préceptes., de cet efprit de zèle, de dévoûment & de patriotisme, de cette civilité qui alors ne fignifioit pas feulement la douceur des moeurs qui rend les hommes fociables: mais l'homme civil n'étoit autre chofe qu'un bon Citoyen accoutumé à fe regarder, lui & toute fa famille, comme partie d'un plus grand Corps, qui étoit le Corps de l'Etat ; qui élevoit fes enfans dans cet efprit, qui les inftruifoit dès le berceau à refpecter & à chérir la Patrie comme la mère commune à qui ils appartenoient plus encore qu'aux auteurs de leurs jours. Il y eut aussi, à la vérité, dit M. Boffuet, des extravagans qui prirent le nom de Philofophes: mais ceux qui étoient suivis,

jours des malheureux condamnés à l'échaffaud, repouffer jufqu'au dernier moment les fecours de la Religion, & expirer en infultant au zèle d'un Prêtre qui versoit des larmes à leurs côtés. Et les fpectateurs ont dit en s'en retournant, c'étoient donc des Philofophes! Ainfi toutes les classes

étoient ceux qui enfeignoient à facrifier l'intérêt particu lier, & même la vie a l'intérêt général & au falut de l'Etat ; & c'étoit la maxime la plus commune des Philofophes, qu'il falloit, ou fe retirer des affaires publiques, ou n'y regarder que le bien public.

Ainfi, admirez comme les idées fe dénaturent & fe métamorphofent par le progrès des âges. Le mot de liberté emportoit chez les Anciens la néceffité de s'enchaîner & de fe facrifier pour le falut de l'Etat; l'amour de la liberté rendoit tous les particuliers esclaves des Loix les plus pénibles & les plus févères; il immoloit tous les intérêts de l'individu, à l'intérêt de la liberté publique. Aujourd'hui ce nom ne fait que réveiller des idées d'égoïsme, d'infubordination, de liberfinage & d'impunité. Voilà où aboutiffent toutes ces apoftrophes érudites, toutes ces maximes grecques, toutes ces fentences Platoniques qui donnent une fi noble vigueur aux Ecrits de nos Lycurgues modernes, & qui font fi agréablement répétées dans nos fociétés, par tous les Epagneuls de la Philofophie.

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