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OBJECTIONS faites à M. DEPARCIEUX, des Académies Royales des Sciences de Paris & de Berlin, fur fon Livre des Probabilités de la durée de la vie humaine; avec les réponses à ces objections.

L'ESSAI sur les Probabilités de la durée de la vie humai ne, que j'ai fait imprimer il y a un an, a été fi favorablement reçu du Public, que j'aurois crû manquer à ce que je lui dois pour un accueil si flateur, si je n'avois répondu à deux Ecrits qui ont paru à ce sujet. Pour mettre les Lecteurs mieux en état de juger du fond & du vrai de cette dispute, l'on m'a conseillé de faire imprimer ensemble les deux Ecrits de M. Thomas, mon aggresseur, avec mes deux réponses. On verra: 1o. Si fa premiere Lettre étoit affez intéressante & affez instructive pour mériter d'être donnée au Public; 2°. Sij'y avois répondu; Et enfin si l'Auteur a été fondé à écrire sa réplique, à laquelle je ne réponds, que parce qu'elle n'est qu'un tissu de phrases tronquées ou de contre-fens de ce que j'ai dit & dans mon livre & dans ma premiere réponse, comme je le fais voir dans ma seconde, & comme il en est convenu lui-même en présence de Messieurs Robert, Géographe du Roi & Geanssane, tous les deux au fait de la matiere de la dispute.

LETTRE de M. THOMAS, au R. P. BERTHIER Jésuite, Auteur du Journal de Trévoux, fur l'Ouvrage de M. DEPARCIEUX.

D

MON RÉVÉREND PERE,

ANS Ns la lecture de votre Journal du mois de Février, je me suis attaché à l'extrait que vous nous avez donné de l'Ouvrage intitulé: Effai fur les probabilités de la durée de la vie humaine. Quoique l'Auteur qui est un grand Géometre, se soit répandu dans

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des réflexions profondes, & des observations laboricuses fort étudices, & qui paroissent même vraisemblables; j'ai trouvé dans. cette matiere une difficulté qui m'a paru un problême difficile à résoudre: je vais prendre la liberté de vous en faire un précis, que je vous prie de faire inférer dans vos Mémoires prochains.

Les moyens qu'il emploie pour parvenir à prouver son objet, font de trois natures: La vie des hommes qui vivent dans le monde sans être attachés à aucune compagnie: La vie des Réguliers, & la vie de ceux qui font intéressez dans les Tontines. Le premier moyen, dénué de tout principe fûr, doit être totalement réjetté; le fecond qui eft fondé fur les Nécrologes des Communautés Religieuses, me paroît équivoque à plusieurs égards, vû surtout la mutation de maifons que font souvent les Reguliers; le troifiéme moyen, fondé sur des observations juridiques, paroît incontestable. C'est aussi de ce fondement, que le célébre Auteur, M. Déparcieux, à tiré toutes ses probabilités ; & ce font ces titres de Tontines que j'ai. confultés, qui me fervent de preuve contre ses observations.

Un Particulier de ma connoiffance étoit intéressé dans la Tontine de 1689, connue sous le nom de premiere Tontine, & aussi dans la Tontine de 1709, connue sous le nom de troifiéme Tontine; il faut observer qu'au premier Janvier 1744, la classe de la premiere Tontine du Particulier en question, qui dans la clôture étoit compofée de 316 personnes, avoit encore 46 personnes furvivantes, dont deux marquées comme négligentes, devant être re tranchées, reftoit 44.

Dans la classe de la Tontine de 1709, où étoit inféré le même Particulier, fuivant la feuille du premier Janvier de la même année 1744, il est observé que la clôture de cette Tontine qui étoit de 109 personnes, étoit réduite à neuf. Il suit de la qu'il y a eû une grande difproportion du nombre des morts de la classe d'une Tontine, à la classe d'une autre Tontine, l'un & l'autre analogues néanmoins pour l'âge; car ne restant au premier Janvier 1744. que neuf personnes vivantes dans la classe originairement de 109 personnes, il n'auroit dû rester à la rigueur, que 27 personnes vivantes dans la classe de 316 personnes, (l'une & l'autre classe, quoique de différentes Tontines, renfermant des personnes de même âge,) en supposant même, qu'il y eût dans cette classe originairement 327 personnes, quoique effectivement, il n'y en ait eu que 316; & par des preuves incontestables on voit évidemment qu'il y a cû dans la classe de cette premiere Tontine 44 perfonnes vivantes, au lieu de 27, toutes proportions gardées, & ainsi le nombre des Survivans de la classe de la premiere. Tontine

excéde de plus de moitié le nombre des Survivans de la classe de la troifiéme Tontine.

Cette observation paroît entierement contraire à toutes celles qu'a fait M. Deparcieux fur cette matiere.

Je suis prêt a certifier ce que j'avance, ayant en main les feuilles imprimées annuellement des classes des Tontines dont je parle; j'espére que le profond Mathématicien trouvera, par fa fagacité, une solution à mon objection. Je suis, &c.

Journal de Trévoux, Avril 1746.

THOMAS.

JA

REPONSE de M. DEPARCIEUX.

MON RÉVÉREND PERE,

'AI lû dans votre premier Journal d'Avril les doutes ou objections de M. Thomas, fur les moyens dont nous nous fommes servis Messieurs Halley, Simpson, Kerseboom & moi, pour établir les ordres moyens de la mortalité du Genre-Humain, que je rapporte dans mon Effai fur les probabilités de la durée de la vie humaine,

Je ne doute point que si M. Thomas se fût moins pressé de vous écrire sa Lettre, & qu'il eût voulu penser à ce qu'il demande, il n'eût lévé lui-même ces difficultés: je vais tâcher de le fatisfaire.

M. Thomas diftingue fort bien les trois moyens, ou les trois fortes de personnes, qui ont été employées pour établir, les probabilités de la durée de la vie des hommes.

1°. Les personnes prises indistinctement, ou qui ne font attachées à aucune compagnie.

2°. Les Religieux & les Religieuses. 3°. Les Rentiers viagers des Tontines.

M. Thomas dit que le premier de ces moyens doit être totalement rejetté; tout le monde trouvera comme moi, que c'est aller un peu vite. Messieurs Halley & Kerseboom, que cet article regarde méritent un peu plus de ménagement. Il me semble qu'on ne doit pas ainsi rejetter ce qu'un Auteur a fait, parce qu'on ne connoit pas affez bien les moyens dont il s'est servi, ou qu'on ne sent pas affez par foi-même comment il a pû s'y prendre.

Je ne dis pas qu'il faille croire aveuglement tout ce qui vient des Auteurs célébres, mais leur réputation doit nous inspirer de la

défiance pour nous-mêmes, lorsque nous croyons pouvoir les reprendre, tout au moins jusqu'à ce que nous nous soyons parfaitement éclaircis.

M. Thomas ne connoît sans doute que ce qui se pratique en France à l'égard des morts, & en ce cas il auroit raifon. Les Curés de ce pays-ci, à l'exception de celui de faint Sulpice, & peut - être encore quelques autres, ne s'embarrassent guère des âges des personnes qu'ils enterrent, ou s'ils le font, c'est depuis peu de tems, & encore le font-ils avec peu d'exactitude; mais en Angleterre, en Hollande & dans la plupart des Villes d'Allemagne, on a grand soin depuis longtems d'écrire dans les Registres mortuaires les âges des personnes qu'on enterre.

Or ayant de semblables Registres de plufieurs années de suite, & d'une Ville de laquelle il ne forte personne, & où il n'entre aucun étranger, il est aifé d'en déduire un ordre de mortalité, qui sera d'autant plus approchant du vrai, qu'on aura les Registres mortuaires d'un plus grand nombre d'années, & cela en voyant combien il est mort de personnes de chaque âge, dans le courant de cha que année pris moyennement.

M. Thomas dira peut-être, que ceux qui assistent aux enterremens ne fçavent pas toujours les âges des personnes qu'on enterre; mais il n'est pas nécessaire de le sçavoir à l'heure & à la minute: comme dans ces pays-là on eft dans l'habitude depuis longtems d'écrire les âges des morts, tout le monde connoît cet usage; parlà tous ceux qui peuvent les donner exactement le font, les autres se contentent de dire ce qu'ils en avoient appris des personnes mêmes qu'on enterre, ou ce qu'ils peuvent en sçavoir d'ailleurs: on ne peut pas fe tromper de beaucoup, & comme la quantité dont on peut se tromper peut aussi souvent arriver en moins qu'en plus, & que le nombre de ceux dont les âges peuvent être douteux n'est pas bien considérable; l'erreur qui peut revenir de là, doit être regardée comme rien dans la matiere dont il s'agit.

Le défaut de ce premier moyen ne peut donc venir que du concours des Etrangers; par cette raifon là j'ai rejetté l'ordre établi d'après les Registres mortuaires de Londres; j'ai dit que M. Halley s'étoit servi des Registres mortuaires de Breflaw, parce qu'il en fort fort peu de personnes, & que peu vont s'y établir. M. Kerfeboom a obfervé les mêmes chofes, à quoi il a joint les observations qu'il a pû tirer des Registres des rentiers viagers des Etats de Hollande. Je ne crois pas qu'on puiffe beaucoup mieux faire pour tout le monde en général.

Le deuxième moyen paroît équivoque à M. Thomas, à cause que les Religieux changent souvent de maison: ceci ne tombe que fur les Religieux, car les Religieuses font toujours dans le même endroit, & le petit nombre de celles qui changent de maison ne peut pas caufer d'erreur. Quant aux Religieux le changement de maison n'y fait rien: car qu'un Religieux ait fait profession à Paris, & qu'il meure à Orleans, à Montpellier, à Toulouse, &c. il importe fort peu, pourvu qu'on scache l'âge qu'il avoit au tems de fa profeffion, & au tems de sa mort, & qu'on ait tous les Religieux qui font morts dans un certain espace de tems dans toute une Congrégation, ou dans une ou plusieurs de leurs Provinces, or c'est ce que j'ai observé dans mes recherches ainsi que je le dis page 76.

Si M. Thomas connoissoit les Registres des Religieux que je cite, il n'auroit aucun doute fur ce sujet, & l'uniformité qui se trouve entre tous les ordres moyens de mortalité que j'en ai déduit, est une forte preuve de leur exactitude. Au reste qu'il demande à voir la matricule des RR. PP. Bénédictins de saint Maur, je puis l'assurer qu'il fera content de l'ordre avec lequel ce Registre eft tenu, & il verra qu'il est aisé de bien faire avec un pareil secours, Iorsqu'on veut s'en donner la peine. Si ce n'est pas assez, qu'il tâche de voir le Nécrologe de Messieurs de sainte Genevieve, dont on imprime une feuille tous les ans, où on met les âges entiers & les âges de profession de tous les Religieux qui font morts dans le courant de chaque année, foit qu'ils meurent à Paris, à Orleans, à Poitiers &c. ou dans les Cures qui dépendent de la Congrégation.

Quant au troifiéme moyen M. Thomas ne le contefte pas, mais it doute que dans toutes les Tontines la mortalité des Rentiers suive une uniformité affez approchante de celle que j'ai établie, & il rapporte l'exemple d'un Rentier de la fixiéme classe de la Tontine de 1689, ou de l'âge de 25 à 30 ans. De 316 Rentiers qu'il y avoit dans cette classe lors de la cloture, il en restoit 46 en 1744; & le même Rentier se trouvant dans la seconde division de la onziéme classe de 1709, ou de l'âge de so à 55 ans, de 109 Rentiers qu'ils étoient lors de la cloture, il n'en restoit que neuf en la même année 1744, tandis qu'il en auroit dû rester 16 ou environ, pour être en proportion au restant de celle de 1689; telle est toute l'objection.

M. Thomas auroit dû observer que les Rentiers en général de la fixiéme clafse de 1689, n'avoient atteint en 1709, ou 20 ans après, que l'âge des Rentiers de la dixiéme claffe, & non des Rentiers de la onziéme; je ne dis pas pour cela que le Rentier en question ne foit légitiment dans les deux classes susdites, ce qui vient de la longueur du tems qu'on a été à faire les Constitutions;

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