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ces sur la perte qu'elles allaient souffrir; les supérieurs cédèrent à leurs instances, et ces établissements ont l'avantage de devoir leur conservation à la reconnaissance et à l'attachement des peuples.

Au reste, il n'est pas étonnant que le public se trompe sur les moyens de réformer les corps réguliers: cette entreprise exige tant de ménagement et de circonspection, elle touche à tant d'intérêts et à tant de droits, qu'il nous paraît bien difficile d'y travailler avec succès, si l'on n'est consommé dans la science de la discipline monastique sans cela on court risque de confondre l'essentiel avec l'accessoire (1), et de détruire au lieu d'édifier; un œil étranger ne peut assez percer l'obscurité des cloîtres, pour y reconnaître les secrètes issues par où s'échappe la régularité, et pour y découvrir ces causes imperceptibles, dont l'action lente, mais continue, rend inutiles les lois les plus sages. Aussi, comme on l'a vu, les plus heureuses révolutions ont-elles été, dans tous les temps, l'ouvrage des religieux euxmêmes.

Puissent ceux de nos jours, imitant ces grands exemples, s'occuper sérieusement de leur régénération! Il y va, leur dironsnous, de vos plus chers intérêts: la cognée est à la racine de l'état monastique; hatezvous d'en détourner les coups. Pourquoi dissimuleriez-vous les abus qui se sont glissés parmi vous ? c'est un malheur attaché à l'humanité ? il est beau d'en convenir quand c'est pour les réparer; et l'on porte avec gloire le joug qu'on s'est imposé soi

même.

Marquez le premier pas de votre retour à la règle, en étouffant vos querelles intestines. Ah! quand on vous attaque au dehors avec fureur, pourquoi faut-il que des dissensions domestiques déchirent votre sein, et préparent le triomphe de ceux qui ont juré votre ruine? Ils auraient moins de confiance, si vous ne leur aviez souvent fourai vous-mêmes des armes contre vous vos ennemis veillent à vos portes pour profiter de vos divisions; qu'ils ne voient plus régner dans vos enceintes qu'une paix qui les désespère. Toutes les fois que des hommes seront assemblés, il y aura sans doute entre eux diversité d'opinions et d'intérêts, et il est bien difficile qu'il n'en résulte quelque injustice; mais qu'il est glorieux de se dire à soi-même : J'immole de justes ressentiments à l'honneur et au salut de mon corps! Par ce sacrifice généreux, combien ne s'élève-t-on pas au-dessus de ses rivaux et de leurs vains succès? Unissez-vous pour mieux résister à la tempête, et conjurez l'orage par une sainte concorde.

Travaillez alors à votre réformation; armezvous d'une utile sévérité: remontant à l'origine du mal, suivez-en les progrès pour en découvrir plus sûrement le remède ressuscitez l'esprit de vos fondateurs, et pénétrez-vous des grandes vues de religion et de

patriotisme qui ont présidé à la naissance de vos Instituts.

Cette réforme doit avoir pour base le réta blissement de la subordination et des bonnes études. Si l'autorité n'est pas respectée, que servent les règles? On se prévaut de la fais blesse des supérieurs; leur fermeté erfante des révoltes. Ces désordres naissent souvent de l'incertitude des lois plusieurs sont obscures, équivoques, susceptibles de fausses interprétations; les nouvelles contredisent les anciennes; quelquefois ni les unes ni les autres ne s'accordent avec l'usage; enfin les particuliers peuvent, en mille circonstances, substituer leur volonté à la règle. Pour tarir la source de ces abus, donnez aux constitutions de la clarté, de la précision, de l'ensemble réduites à un petit nombre, qu'elles forment un code fixe, invariable et qui soit à la portée de tout le monde. L'amour-propre et la cupidité n'y chercheront plus de prétextes pour se soustraire à l'obéissance qu'ils ont vouée, et le ressort précieux de l'autorité recouvrera toute son influence.

En réprimant l'insubordination, craignez un autre excès: l'abus du pouvoir produit l'indépendance. Qu'à la tête des maisons particulières et des administrations générales soient placés des hommes vigilants et instruits, qui sachent que, s'il leur est donné de commander à leurs frères, c'est pour l'utilité commune; dont l'exemple et les vertus ajoutent à l'autorité de la règle; et qui, prévenant les murmures par la douceur et la persuasion, s'efforcent de faire aimer la loi pour la faire mieux observer. Alors le régime monastique marchera d'un pas ferme et sur entre le double écueil d'un despotisme accablant ou d'une funeste anarchie.

La paix ramenée ainsi dans les cloîtres, les religieux l'affermiront encore et la mettront à profit en se livrant à l'étude. Un véritable savant n'a que l'ambition de s'instruire heureux de vivre libre de tout autre soin, il fuit les charges et les honneurs, objets ordinaires des brigues et des cabales. Elles n'ont commencé d'agiter cette congrégation, dont les malheurs affligent les lettres et l'Eglise, qu'à l'époque où l'amour des sciences a cessé d'en être comme le génie tutélaire.

Voulez-vous ranimer l'émulation? veillez sur les novicials: ce sont les sources où vous vous renouvelez; il faut donc qu'elles soient pures. Eprouvez avec soin les dispositions des jeunes aspirants; assurez leurs premiers pas dans la carrière qui s'ouvre devant eux; proposez leur les grands modèles que fournit votre histoire; qu'ils entendent souvent les noms de ces religieux devenus si chers à la religion et à la société : Voilà les hommes, leur direz-vous, que vous devez remplacer; voilà ceux auxquels on a droit de vous comparer : voués à la perfection, ne comptez plus sur l'indulgence publique les services de nos pères nous ont mérité la faveur et la protection de tous les

(1) In reformando distinguenda essentialia religionis ab accidentalibus. Van-Espen, part. 1, tit. 52, cap. 55

ordres de l'Etat; elles sont encore au même prix de vos talents et de vos vertus dépendentà la fois votre gloire et votre conservation. Supposons les abus des cloîtres réformés, les religieux vertueux et instruits, pourquoi ne proposerions-nous pas d'étendre leurs services, et de les faire concourir plus puissamment au bonheur de la nation, en les appliquant à l'éducation publique? Dans notre siècle ce projet paraîtra sans doute un paradoxe. Quels hommes cependant sont plus propres à ces fonctions, que ceux qui, déchargés de l'embarras de pourvoir à leurs besoins, se consacrent sans distraction à la culture des lettres, et qui pour leurs travaux n'ambitionnent d'autre récompense que l'utilité de leurs concitoyens ?

Les préjugés de leur profession sont à craindre.... Nous ne sommes plus dans ces temps de ténèbres, où, les saines maximes étant méconnues, l'autorité mal affermie, les peuples pouvaient être aisément séduits. Quel intérêt les religieux auraient-ils de troubler l'harmonie de la société ? Les liens les plus chers à l'homme les attachent à nous; Français, ils vivent au milieu de leurs parents et de leurs amis; ils doivent à l'Etat les priviléges dont ils jouissent; enfin ils n'ont rien à attendre d'une puissance étrangère: ils sont donc vraiment citoyens; et cette nouvelle marque de confiance ne fera qu'accroître leur amour pour leur pays.

Nous pensons qu'il serait avantageux de confier l'éducation publique aux corps religieux. Qu'est-ce en effet qu'un collége gouverné par des séculiers? Des hommes que le hasard réunit, y vivent indépendants; presque jamais ils ne jouissent de cette considération qui produit la confiance; leur état n'est pour eux qu'un métier ; sans objet d'émulation, destinés à vieillir en répétant les mêmes leçons, comment se défendraient-ils du dégoût et de l'ennui (1)?

Que les écoles soient entre les mains des corps; les chefs, étudiant les dispositions et le génie des individus, prépareront des sujets pour toutes les chaires; leurs besoins étant bornés, le même revenu suffira à l'entretien d'un plus grand nombre de maîtres; éloignés du monde par état, ils seront forcés de s'appliquer à l'étude; les supérieurs locaux veilleront habituellement sur eux; à la fin des cours, des visiteurs viendront juger leurs travaux et les progrès des élèves; au moyen de la subordination, le professeur coupable sera corrigé ou remplacé avant que sa négligence ou sa faute ait été préjudiciable. Après avoir passé dans les colléges le seul temps propre à l'enseignement, l'âge de l'activité, les religieux se livreront aux sciences pour lesquelles ils sentiront un allrait particulier; et rassemblant les con

(1) Ce que nous disons ici ne convient aux Universités sous aucun rapport: elles forment des corps; et les honoraires en sont assez considérables pour fixer des hommes de mérite. Ce double avantage nanque aux colléges isolés.

(2) Voyez le procès-verbal de l'Assemblée de 1780. En conséquence de ce rapport, fait par M. l'ar

naissances qu'ils auront acquises par l'expérience, ils nous donneront de bons livres élémentaires. Le désir de se distinguer dans leur ordre sera pour eux un aiguillon utile; les prieurés et les honneurs monastiques deviendront alors la récompense de ceux qui auront bien mérité du public.

En proposant d'employer les religieux à l'éducation, nous ne craignons pas qu'ils nous désavouent. Une multitude de faits attestent leur bonne volonté; nous n'en cite ́rons qu'un. En 1780, l'abbé et la communauté de Saint-Bertin, fondateurs du collége de Saint-Omer, offrirent aux Etats d'Artois de s'en charger et de le défrayer aux dépens de l'abbaye, en formant, du revenu actuel, des bourses ou pensions gratuites pour les pauvres enfants de la province : ils ont été refusés.

De toutes parts les corps réguliers sollicitent le droit d'être plus utiles à la patric: mais pour qu'ils le deviennent, il faut commencer par détruire le principe de langueur qui les consume. D'après les opinions régnantes, nous l'avons dit, le cénobite le plus vertueux paraît encore un être inutile et méprisable: celle odieuse prévention a jeté le découragement dans les cloîtres. Quel ressort reste-t-il à des hommes qui ne peuvent aspirer à l'estime de leurs concitoyens? et comment s'occuperaient-ils avec succès de la réforme d'un corps auquel ils craignent de survivre?

Effrayée des malheurs que produirait ce désespoir, l'Eglise de France s'est empressée de rassurer les religieux par des marques authentiques d'intérêt et de bienveillance: « Opposons, disaient les prélats assemblés en 1780, opposons à la funeste tendance d'un siècle si fécond en projets et en révolutions, les fortes et touchantes leçons de nos pères, persuadés que l'esprit de conservation est une des bases fondamentales d'un heureux gouvernement. Nenous lassons pas d'exposer à tous les yeux les droits immortels que ces établissements ont acquis à la reconnaissance de la patrie.... Ils forment dans l'Eglise et dans l'Etat comme autant de redoutables et puissantes citadelles qui veillent sur le dépôt sacré de la foi, des mœurs, des lettres et même de l'autorité..... Que tous nos actes et monuments déposent à l'envi du vœu de l'Eglise gallicane en faveur de leur conservation (2) ».

Puissent ces témoignages glorieux du cler. gé de France, véritablement juge de l'utilité des ordres monastiques, imposer aux déclamateurs et concilier aux religieux l'estime et la considération publiques! Sous ces heureux auspices, « il refleurira cet arbre antique et vénérable, qui toujours couvrit les infortunés de son ombre bienfaisante, dont chevêque d'Arles, il fut délibéré de saisir avec empressement toutes les occasions de consigner, de la manière la plus expresse, la plus authentique et la plus honorable, le vœu persévérant de l'Eglise gallicane en faveur de l'institut monastique en lui-même, et des différents corps qui composent cette sainte et respectable milice.

les fruits ont si souvent porté dans le monde savant l'abondanee et la lumière, et qui, inême dépouillé d'une partie de sa gloire, orne avec tant d'éclat les vastes domaines de l'Eglise universelle (1). » Faibles et obscurs dans leur origine, les divers établissements de la société ne se sont élendus et affermis que par des progrès plus ou moins rapides. Les circonstances, l'utilité qu'on en attendait, leur ont mérité la faveur publique et une existence légale. Plus d'une fois aussi ces espérances ont été trompées; des principes inal analysés ont produit, en se développant, des inconvénients dangereux; et pour n'en avoir pas prévu toutes les conséquences, la politique a souvent été forcée de proscrire ce qu'elle avait adopté.

Mais supposons qu'à la naissance des ordres religieux, les dépositaires de la puissance civile et ecclésiastique se fassent assemblés afin de délibérer sur cette nouvelle association, et qu'un homme savant dans la connaissance de l'avenir, ayant été admis dans ce conseil auguste, leur eût dit : « Une religion sainte favorise nécessairement les principes d'un gouvernement éclairé, et concourt au but qu'il se propose, en commençant dans le temps le bonheur qu'elle promet pour l'éternité. Vous n'avez donc rien à craindre de toute institution avouée par l'Evangile. Ministres des autels, pourriez-vous ne pas admirer des chrétiens qui, prenant pour modèles les apôtres et les premiers disciples, pratiquent la vie commune et la désappropriation, et se vouent à la perfection, en accomplissant tous les conseils que Jésus-Christ nous a laissés. Tel est l'esprit qui les anime; voici quels en seront les effets.

« C'est loin du monde, c'est au milieu des déserts que doit être placé le berceau de l'élat monastique; là va se former une source abondante de vertus qui se répandra par toute la chrétienté, pour la gloire de l'Eglise et l'édification des peuples. Appelés aux fonctions du ministère et charges des plus glorieuses et des plus pénibles, les moines quittant leur solitude, combattront l'hérésie et porteront la lumière aux nations infidèles. Par eux, les plus sauvages connaîtront Jésus-Christ; instruits par eux, les Bretons et les Germains idolâtres adoreront un jour le même Dieu que nous, et désormais les conquêtes du christianisme seront le prix du sang de ces zélés missionnaires.

« Embrasés d'une charité sans bornes, ils se partageront, pour ainsi dire, tous les besoins de la religion et de l'humanité. Les uns, occupés de l'instruction des fidèles, feront sans cesse retentir nos temples des vérités du salut; d'autres iront arracher aux fers des musulmans les malheureuses victimes de la guerre et du commerce, et rendront à leur patrie des citoyens utiles; d'autres se dévoueront au généreux et sublime emploi de soulager les infortunés qu'accablent à la fois les maladies et la misère; enfin il vien

(1) Ibid. Mémoires sur les conciles provinciaux.

dra des jours malheureux où, le clergé ou bliant ses devoirs, le vaisseau de l'Eglise paraîtra n'être sauvé du naufrage que par leurs soins et leurs travaux. Parmi eux, combien de docteurs, d'évêques et de souverains ponlifes qui pourra compter les saints qui vivront dans les cloîtres?

Ardents propagateurs de la foi, les religieux seront en même temps les bienfaiteurs des Etats. Encore quelques années, et le colosse de la puissance romaine tombe de toutes parts. Des barbares viennent s'asseoir sur ses vastes débris, et font régner avec eux la férocité de leurs mœurs. Sous leur domination destructrice, les plus belles contrées seront frappées de stérilité; toutes les lois seront méconnues ou sans force, tous les droits violés, et la société humaine sera prête à se dissoudre.

« Dans ce bouleversement universel, les monastères serviront d'asile à la paix; ceux qui auront été assez heureux pour l'y trouver, sensibles aux maux de leurs frères, occupés de les adoucir, lutteront contre l'influence d'un gouvernement absurde et s'efforceront de ramener l'ordre et la tranquillité publics. Par leur défrichement l'agriculture est remise en honneur; le fruit de leur sueur devient la richesse du pauvre; ils associent les malheureux à leurs travaux, et les couvrent d'une protection utile. Entre leurs mains les lieux les plus arides se changent en habitations riches et agréables du milieu des forêts s'élèvent des villes importantes, et chaque empire leur doit quelquesunes de ses provinces.

« Ainsi que nos champs, toutes les sciences seront incultes et abandonnées, et ce sont encore les moines qui défricheront le domaine de l'esprit humain; ils conserveront les monuments et les chefs-d'œuvre de l'antiquité. Les cloîtres deviendront autant d'écoles, où les enfants des barbares iront abjurer l'ignorance de leurs pères, et les religieux répandront également l'abondance et les lumières.

« N'espérons pas cependant qu'inaccessi bles aux révolutions de la politique, des mœurs et des opinions, ils restent inébranlables, quand tout se troublera autour d'eux. Quelquefois, oubliant leurs propres principes, ils partageront les fautes et les erreurs de leur siècle; mais ils auront cet avantage qu'alors ils céderont au torrent, au lieu que le bien qu'on leur devra, ils le feront souvent seuls et toujours comme religieux. »>

Nous en allestons leurs ennemis mêmes; d'après cet exposé, dont chaque proposition vient d'être prouvée, avec quel empressement et quelle reconnaissance n'aurait-on pas accueilli une institution si précieuse? Et nous parlons de l'anéantir lorsqu'il est possible d'en accroître l'utilité par une heureuse réforme! Plutôt que de les réparer, nous aimons mieux renverser des monuments antiques et respectables. Quand IEglise manque de ministres, pourquoi la

priver des ressources qu'elle trouve dans les monastères ? Quand de toutes parts elle est attaquée, quel moment pour abattre ses remparts et pour licencier ses troupes auxiliairés! Est-ce donc pour que l'impiété marche triomphante au milieu des tombeaux des plus zélés défenscurs de la religion? Loin de nous les fanatiques qui prétendraient que sa durée dépend de celle de l'état religieux mais nous pensons, avec tous les Pères, que cette institution importe à la gloire du christianisme. Avant qu'on connût les moines, l'Eglise subsistait florissante: oui, sans doute, parce que les vertus du cloître étaient communes parmi les fidèles; et c'est un mérite de la vie religieuse d'offrir anx siècles les plus corrompus l'image de celle des premiers chrétiens.

Nous nous flattons que nos lecteurs ne les accuseront plus d'oisiveté ni d'ignorance; on les a montrés utiles par l'exercice des fonctions du ministère et par la culture des lettres saintes et profanes. Eux seuls semblent avoir conservé le goût du siècle dernier pour ces vastes dépôts de science et d'érudition. Par ordre du gouvernement, ils sont chargés de l'Histoire de toutes nos provinces, de la collection des historiens de France, du Recueil de toutes les chartes du royaume. Ces grands et importants ouvrages, qui exigent des recherches longues et suivies, le concours d'une multitude de coopérateurs, et qui, confiés à d'autres mains, coûteraient tant à l'Etat, sont exécutés avec succès par les religieux, qui, consacrant leurs veilles à la nation, ne lui demandent pour salaire que de pouvoir les continuer.

Ils sont trop riches..... On ne veut donc pas voir qu'ils jouissent à peine du tiers des biens qu'ils ont acquis; et ce tiers, nous sommes tous appelés à le partager. Nous en profitons réellement, puisque les religieux sont nos concitoyens et nos parents; c'est comme un supplément aux fortunes particulières. Les seuls ordres riches sont ceux qui, en défrichant, ont enrichi leur pays et fait naître des peuplades, qui ne subsistent aujourd'hui même que par l'emploi qu'ils font de leurs revenus (1); en sorte qu'il n'y a pas un propriétaire dont les richesses aient une source aussi pure, et dont l'usage tourne aussi directement au bien de l'Etat.

Si, malgré les services de tous les genres que les religieux out rendus, malgré ceux

(1) A l'occasion des secours de toute espèce que les Chartreux ont donnés aux habitants de Chiry, attaqués d'une épidémie cruelle, l'auteur du Journal général de France fait une observation judicieuse que nous rapporterons ici, parce que nous n'avons pu la connaître plus tôt. Il nous semble que ces exemples, qu'on ne saurait disconvenir être trèsmultipliés de la part des moines rentés, devraient servir à trancher la question agitée depuis si longtemps sur leur utilité ou leur inutilité pour l'Etat. lls consomment leurs revenus dans les cantons qu'ils habitent, ils répandent par conséquent l'abondance dans les villages des environs: ce sont des preuves de fait, qui ne sont que trop constatées par l'opposé de ce qui arrive lorsqu'on supprime des couvents

qu'ils rendent encore, malgré les titres les plus sacrés, qui assurent leur existence et la conservation de leurs biens, leurs adversaires, séduits par l'espérance d'un emploi plus utile, pouvaient encore solliciter leurs dépouilles, nous leur dirions: Des ordres entiers ont été anéantis sous vos yeux, quel fruit en a retiré la société ? nos terres sontelles mieux cultivées ? la dette du pauvre est-elle plus exactement acquittée? vos patrimoines se sont-ils accrus? Enfin nous leur dirions avec un auteur moderne : « Henri VIII, gorgé de richesses ecclésiastiques, ne s'en trouva que plus pauvre; et deux ans après ses rapines, il fut obligé de faire banqueroute. »>

Ecartons ces présages funestes; écartons l'idée d'une injuste destruction, dont gémiraient à la fois les lettres, l'Etat et l'Eglise : << Tant que, disait au Parlement de Paris, le 16 avril 1764, M. de Saint-Fargeau, alors avocat général, tant que les vertus et l'esprit de leur pieux ministère subsisteront dans leur sein, les ordres religieux subsisteront eux-mêmes. Si quelque injuste préjugé s'élevait contre eux, ils trouveraient des défenseurs dans les magistrats. Nous ne craignons pas que vos cœurs désavouent l'engagement dont nous sommes ici l'organe. Ils ont pour défenseur, ajouterons-nous en finissant, l'auguste héritier du trône et des vertus de saint Louis; Louis XVI a promis à l'Eglise gallicane de protéger toujours les corps réguliers, parce qu'il en connatt l'utilité (2).

[Ici se place naturellement une réflexion: nous voyons que les auteurs de l'excellent ouvrage que je viens de reproduire disaient, en 1784, époque à laquelle ils le publièrent: Des ordres entiers ont été anéantis sous vos yeux, quel fruit en a recueilli la société ? En effet, des ordres anciens et vénérés, tels que ceux de Grandmont, des Célestins, des Croisiers, etc., avaient été abolis en France; en somme, quinze cents monastères avaient élé supprimés avant la révolution; quels fruits ces suppressions iniques avaient-elles produits pour le bien-être de la France?

Mais ajoutons que les décrets désastreux de 1790 supprimèrent toutes les abbayes, déclarèrent nationales leurs riches possessions, et, par suite, en amenèrent la vente au profit de la nation! Quel avantage en a retiré la nation, sous quelque rapport qu'on dans certains endroits, où la plus affreuse misère succède à l'aisance dont avaient joui jusqu'alors les habitants. Les pauvres trouvent des secours dans leurs aumônes constamment soutenues. Dans quelles mains pourrait-on placer leurs biens pour en faire un meilleur usage? Il est inutile d'entrer dans des détails à cet égard: mais on peut faire toutes les suppositions qu'on voudra; et si l'on n'est aveuglé ni par l'intérêt personnel, ni par le préjugé, que l'on décide si, pour l'intérêt même des malheureux, il ne vaut pas encore mieux laisser les choses telles qu'elles sont dans l'état actuel ›. Affiches, Ann. el Av div. du 25 mai 1784.

(2) Voyez la réponse du roi au Mémoire de l'A&semblée du clergé. Procès-verbal de 1780.

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envisage les suites de cette mesure ? Le trésor public en a-t-il été plus riche? Nullement. Les cantons où étaient ces monastères ont-ils été plus avantagés sous les nouveaux propriétaires? Demandez le aux quelques vieillards qui restent dans le voisinage de ces abbayes en ruines. Ils vous apprendront ce que faisaient autrefois les religieux et ce que ne font pas les acquéreurs. Les habitants des monastères étaient les pères nourriciers de tous les pauvres de leurs quartiers, le recours et la providence des voyageurs indigents. Aujourd'hui les couvents détruits, devenus la possession de leur dixième ac

quéreur, n'ont enrichi que quelques spéculateurs qu'ils n'ont pas toujours préservés de la faillite.

Plût à Dieu que tout le corps épiscopal eût montré plus tôt l'énergie dont fit preuve l'assemblée du clergé en 1780, et qu'il eût paralysé l'influence funeste de la commission pour la prétendue réforme des réguliers Plût à Dieu que l'héritier du trône de saint Louis, qui toujours fut à même de connaître l'utilité des corps réguliers, les eût toujours protégés ! Que de maux auraient été épargnés à l'Eglise et à la France!} L'abbé BADICHE.

II.

CONSIDERATIONS

SUR LES ORDRES RELIGIEUX,

ADRESSÉES AUX AMIS DES SCIENCES;

PAR LE BARON AUGUSTIN CAUCHY,

Membre de l'Académie des sciences de Paris, de la Société Italienne, de la Société royale de Londres, des Académieg de Berlin, de Pétersbourg, de Prague, de Stockholm, de Goettingue, de la Société Américaine, etc.

AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR.

Ceux qui ne liront pas cet ouvrage s'étonneront peut-être que je l'aie écrit et publié. Mais, en France, où l'on aime la loyauté, où l'on apprécie le courage, tout étonnement cessera pour ceux qui, ayant pris la peine de me lire, pèseront les motifs de ma détermination. Peut-être la confiance que je témoigne ici redouble-t-elle la curiosité du lecteur. Je ne le ferai point attendre: j'énoncerai dès l'abord, sans hésiter et sans rougir, ces motifs qu'il est impatient de connaître, et que je vais indiquer en peu de mots.

Je suis chrétien, c'est-à-dire que je crois à la divinité de Jésus-Christ, avec Tycho-Brahé, Copernic, Descartes, Newton, Fermat, Leibnitz, Pascal, Grimaldi, Euler, Guldin, Boscovich, Gerdil, avec tous les grands astronomes, tous les grands physiciens, tous les grands géomètres des siècles passés. Je suis même catholique avec la plupart d'entre eux ; et, si l'on m'en demandait la raison, je la donnerais volontiers. On verrait que mes convictions sont le résultat, non de préjugés de naissance, mais d'un examen approfondi. În verrait comment se sont gravées à jamais dans mon esprit et dans mon cœur des vérités plus incontestables à mes yeux que le carré de l'hypoténuse ou le théorème de Maclaurin. Je suis catholique sincère, comme l'ont été Corneille, Racine, Labruyère, Bossuet, Bourdaloue, Fénelon; comme l'ont été et le sont encore un grand nombre des hommes les plus distingués de notre époque, de ceux qui ont fait le plus d'honneur à la science, à la philosophie, à la littérature, qui ont le plus illustré nos académies. Je partage les convictions profondes qu'ont manifestées par leurs paroles, par leurs actes et par leurs écrits, tant de savants distingués du premier ordre, les Ruffini, les Hauy, les Laennec, les Ampère, les Pelletier, les Freycinet, les Coriolis; et, si j'évite de nommer ceux qui nous restent, de peur de blesser leur modestie, je puis dire du moins que j'aimais à retrouver toute la noblesse, toute la générosité de la foi chrétienne dans mes illustres amis, dans le créateur de la cristallographie, dans les inventeurs de la kinine et du stéthoscope, dans le navigateur célèbre que porta l'Uranie, et dans l'immortel auteur de l'électricité dynamique.

Ce n'est pas tout. M'étant, depuis près d'un demi-siècle, beaucoup occupé d'analyse et de géométrie, je passe pour géomètre aux yeux d'un grand nombre de personnes, et en particulier aux yeux de mes confrères les membres de l'Académie des sciences et du Bureau des longitudes.

Mais les titres mêmes de catholique et de géomètre, ces titres que je chercherai de plus eu plus à mériter, m'imposent des devoirs auxquels je ne saurais me soustraire. Catholique, je ne puis rester indifférent aux intérêts de la religion; géomètre, je ne puis rester indifferent aux intérêts de la science.

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