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plusieurs ordres religeux, où le relâchement s'était introduit, et les fondations qu'il fit d'un grand nombre de monastères, de séminaires et de colléges. Nous nous contenterons de parler ici de l'établissement qu'il fit de la congrégation des Oblats de Saint-Ambroise, comme celle à laquelle peut être rapporté tout ce qu'il a fait de plus beau, tant pour le bon ordre de son Eglise, que pour l'uiilité du prochain.

Ce grand saint, ayant reconnu par une longue expérience de plusieurs années, qu'il lui était difficile de maintenir dans son diocèse la discipline ecclésiastique, d'y faire exécuter les saintes ordonnances qu'il avait faites, d'y gouverner les colléges, les séminaires et les autres lieux de piété qu'il avait fondés, sans être assisté de quelques bons ouvriers qui, étant dégagés de tous les embarras et de toutes les affaires du siècle, ne s'appliquassent uniquement qu'à gouverner les églises qu'il leur confierait; sachant surtout combien on avait besoin de bons pasteurs dans les paroisses qui étaient proches des pays infectés d'hérésie, et combien il était souvent à propos de changer les curés, et de les envoyer en d'autres cures vacantes où ils étaient plus nécessaires, particulièrement dans les paroisses abandon. nées, prit la résolution, après avoir tenu son cinquième synode l'an 1578, de fonder une congrégation de prêtres séculiers, qui, étant unis à lui comme à leur chef, fussent entièrement soumis à faire tout ce qu'il leur ordonnerait, et dont il pût disposer ainsi qu'il le jugerait à propos pour le gouvernement de son diocèse. Pour cet effet il fit choix de quelques ecclésiastiques qu'il connaissait avoir de l'inclination pour ce saint institut, et qui étaient propres pour ce dessein, auxquels il en joignit plusieurs autres, qui, touchés des discours qu'il leur avait faits au dernier synode, vinrent s'offrir volontairement à lui, pour être agrégés dans cette nouvelle congrégation qu'il mit sous la protection de la sainte Vierge et de saint Ambroise, dont il leur donna le nom, auquel il ajouta celui d'Oblats, à cause qu'ils s'étaient offerts d'euxmêmes. Cette sainte société commença le jour de la fête de saint Simplicien, l'un des prédécesseurs de notre saint, qui arrivait le 16 du mois d'août de la même année 1578. Elle fut approuvée par le pape Grégoire XIII, qui lui accorda plusieurs grâces spirituelles, et quel ques revenus qui avaient appartenu à l'ordre des Humiliés, qui, comme nous avons dit ailleurs, fut supprimé à cause des déréglements de ses sectateurs, et de l'attentat qu'ils commirent contre la personne de ce saint cardinal, qui enfin assigna à ces Oblats, pour faire leurs fonctions, l'église du SaintSépulcre, qui était en grande vénération à Milan, et qui acheta des maisons voisines pour les loger. Ce ne fut pas sans beaucoup de raisons qu'il choisit particulièrement cette église pour les placer; car, outre qu'elle est ancienne, ayant été bâtie dès l'an 1171, elle est au milieu de la ville et fort commode pour le peuple, qui y a grande dévotion, à

cause du sépulcre de Notre-Seigneur, et de quelques mystères de sa Passion qui y sont représentés en relief, fort dévots et touchants. Depuis longtemps elle avait été desservie par des prêtres de sainte vie, et quand saint Charles vint à Milan, il y trouva le père Gaspard Belinzago, homme de grande piété et fort zélé pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, avec quelques autres prêtres qui vivaient sous sa conduite et s'employaient à toutes sortes de bonnes œuvres sans être engagés à aucun bénéfice, assistant les pauvres, visitant les malades, et tâchant, autant qu'ils pouvaient, de rétablir la piété chrétienne dans un temps qu'elle était presque éteinte à Milan. Quelques-uns de ces prêtres, après la mort du P. Gaspard, qui arriva en 1575, entrèrent dans la congrégation des Oblats, et entre autres le P. François Gripa, qui fut un homme véritablement apostolique, et regardé de tout le monde comme un saint. La piété de ces bons prêtres fut un puissant motif au saint cardinal pour établir dans ce lieu sa congrégation des Oblats auxquels il les associa, dans l'espérance qu'il eut qu'ils la soutiendraient par leur vertu, qui était comme héréditaire depuis plusieurs années dans cette célèbre église.

Après que le saint cardinal eut ainsi établi cette nouvelle congrégation, qui, comme nous l'avons déjà dit, n'était qu'une assemblée d'ouvriers évangéliques dont il pût disposer, aussi bien que ses successeurs, selon le besoin de son diocèse, il leur prescrivit des règles et obligations convenables à cet état, dont les principales étaient qu'ils feraient un vœu simple d'obéissance entre les mains de l'archevêque de Milan; qu'ils le reconnaîtraient comme leur supérieur; qu'ils lui seraient unis comme les membres à leur chef; qu'ils n'auraient point d'autre volonté que la sienne; qu'ils ne chercheraient que la gloire de Dieu et le salut des âmes; qu'ils sc comporteraient en toutes choses avec une modestie et une sainteté qui fût digne de cette union; qu'ils n'auraient point d'autre occupation que celle d'assister l'archevêque dans la conduite et le gouvernement de son diocèse, et de travailler avec beaucoup de zèle dans tous les emplois et les différentes. fonctions auxquelles il les appliquerait, comme de visiter la ville et le diocèse, d'aller en mission, à l'exemple des apôtres, dans les lieux les plus difficiles et les plus fåcheux, où les âmes sont abandonnées et ont besoin d'instruction, de desservir les cures vacantes, d'être grands vicaires ou archiprêtres, de diriger les colléges ou séminaires, les écoles de la doctrine chrétienne et les confréries, de faire faire les exercices spirituels à ceux qui aspiraient aux ordres sacrés, en un mot, d'être disposés pour toutes les fonctions ecclésiastiques, comme de prêcher, confesser, enseigner et administrer les sacrements. Il voulut encore que dans l'église du Saint-Sépulcre on fit tous les jours les mêmes exercices qui se pratiquent à Rome dans l'église des prêtres de l'Oratoire, qui sont très-utiles pour les âmes, et qui

donnent lieu à quantité de personnes qui n'ont point d'affaires d'employer saintement leur temps.

Ces Oblats furent divisés en deux ordres. Les uns résidaient toujours dans la maison du Saint-Sépulcre, sans être engagés dans aucun bénéfice, afin d'être plus libres pour s'employer aux principaux exercices que nous venons de rapporter; et les autres étaient dispersés par la ville et par le diocèse dans les bénéfices où on les envoyait. Quoiqu'ils fussent ainsi séparés les uns des autres, saint Charles trouva cependant un moyen pour les tenir aussi unis d'esprit que s'ils avaient demeuré ensemble, afin de les conserver dans le premier esprit de l'institut, de les avancer dans la piété et de les perfectionner de jour en jour dans les fonc tions ecclésiastiques et la conduite des âmes: ce fut de partager toute la congrégation en six assemblées ou communautés, dont il y en avait deux dans la ville et quatre dehors, c'est-à-dire dans le reste du diocèse, et il donna à chacune un supérieur et un directeur pour le spirituel, ordonnant que tous les Oblats de chaque communauté s'assemblassent une fois par mois, ceux de la ville dans la maison du Saint-Sépulcre, en présence de l'archevêque, et ceux de la campagne, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, selon que le réglerait le supérieur ou le directeur de la communauté; que l'on commencerait ces assemblées par lire la règle des Oblats: qu'ensuite on traiterait par manière de conférence du moyen de la pratiquer fidèlement, de s'avancer dans la piété et de se perfectionner dans la conduite des âmes; et que le supérieur ou président de l'assemblée ferait une conférence particulière à tous ceux qui la composeraient pour les exhorter à la vertu. Par ce moyen tous ces prêtres, quoique dispersés en divers endroits de la ville et du diocèse de Milan, ne Jaissaient pas d'être toujours étroitement unis ensemble par les liens d'un même esprit et d'une charité fraternelle, et étaient loujours disposés à recevoir de l'archevêque, comme de leur chef, les lumières qui leur étaient nécessaires pour se conduire euxmêmes et pour conduire les peuples qui leur étaient confiés.

Saint Charles témoignait assez par les effets combien il aimait ces Oblats: il les considérait comme ses propres enfants, et leur donnait ordinairement ce nom. Il les allait voir souvent à la maison du Saint-Sépulcre, où il avait une chambre pour lui, dans laquelle il se retirait quelquefois pour jouir plus familièrement de leur conversation, et dans laquelle il se comportait avec autant d'humilité que s'il eût été le dernier de la maison. I assistait à tous les exercices qui s'y pratiquaient, avec tant de joie et de satisfaction, qu'il disait qu'il n'avait point de plus grand plaisir que lorsqu'il s'y trouvait : aussi avait-il coutume d'appeler cette maison les Délices de l'archevêque de Milan. Il avait des sein d'en établir de pareilles dans les villes, les bourgs et les lieux les plus considérables

du diocèse, comme on peut voir dans les règles qu'il avait dressées pour cela, et il voulajt mettre dans toutes ces maisons plusieurs Oblats; mais la mort l'empêcha d'exécuter ce dessein. Il associa à la même congrégation des laïques qui, restant dans le monde, demeuraient dans leurs propres maisons, et il leur donna aussi des règles particulières. Leur principale obligation était de s'employer à toute sorte d'œuvres pieuses, et surtout à enseigner la doctrine chrétienne. Il institua encore dans l'église du Saint-Sépulcre une congrégation de femmes, qu'il appela la Compagnie des Dames de l'Oratoire, auxquelles il prescrivit quantité de règles et d'exercices convenables aux personnes même les plus qualifiées de la ville, qu'il souhaitait attirer dans cette compagnie, dont les principales obligations étaient d'assister fidèlement à tous les sermons et à tous les autres exercices de piété qui se pratiquaient au SaintSepulcre, selon l'usage de l'Oratoire, et à s'appliquer souvent à la méditation de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce qui eut un succès admirable.

Le zèle de ce saint cardinal pour le salut des âmes était infatigable: il allait partout chercher les brebis égarées de son troupeau, et même quelquefois dans des lieux si inaccessibles, qu'il était obligé de mettre des crampons de fer à ses souliers pour pouvoir grimper sur les rochers escarpés, où leurs crimes, leurs déréglements ou leur rébellion à l'Eglise les obligeaient de se retirer, sans que les rigueurs les plus insupportables du froid et du chaud, de la faim, de la soif et de la lassitude, qu'il souffrait avec joie, fussent capables de le rebuter. Comme un bon pasteur, il exposa sa vie pour son troupeau dans la peste qui afiligea la ville de Milan, allant lui-même confesser les malades, leur donnant le viatique et l'extrême-onction, et les ensevelissant de ses propres mains. Ses aumônes n'avaient point de bornes : nonseulement il distribua tous les revenus de son archevêché aux pauvres et aux affligés, mais encore il vendit, pour les soulager, ses meubles et sa principauté d'Oria, en sorte qu'il se vit réduit à n'avoir plus que de la vaisselle de terre et à n'avoir pas un lit pour se coucher. Ses austérités étaient si surprenantes qu'elles abrégèrent ses jours, élant mort dans la quarante-septième année de son âge, le 3 novembre 1584. Le grand nombre des miracles qui se firent à son tombeau obligèrent le pape Clément VIII, l'an 1601, à changer la messe des morts que l'on disait tous les ans pour lui dans l'église du grand hôpital, en une messe solennelle du SaintEsprit. Et trois ans après, il donna commission à la sacrée congrégation des Rites de travailler aux procédures de sa canonisation. L'année suivante, 1605, son successeur, Léon XI, donna ordre, dès les premiers jours de son pontificat, de poursuivre cette affaire, et il se disposait à faire bâtir une église à Rome en l'honneur de ce saint et d'en faire même un titre de cardinal; mais son pontificat n'ayant duré qu'un mois, il ne put exe

cuter son dessein. Paul V, qui lui succéda, mit la dernière main à cette canonisation, qu'il célébra avec une solennité toute particulière le premier jour de novembre de l'an 1610. Saint Charles eut pour successeur dans l'archevêché de Milan le cardinal Frédéric Borromée, son cousin, qui fit imprimer', en 1613, les Constitutions des Oblats de SaintAmbroise. Jean-Baptiste Giussano, de la même congrégation, a été l'un des écrivains de la Vie de ce saint fondateur.

Gio. Baptist. Giussano, Vit. di san Carlo. La même, traduite en français par le P. Edme Cloiseaut, de la congrégation de l'Oratoire. Baillet, Vies des saints, 4 novembre. Herman, Hist. des ord. relig., tom. III. Epitom. institutionum ad Oblatos S. Ambrosii pertinentium, et Constitutiones ejusd. congreg.

OBRÉGONS.

Des Frères hospitaliers du tiers ordre de Saint-François, appelés les Frères infirmiers Minimes, ou les Obrégons, avec la

Vie du vénérable Père Bernardin d'Obrégon, leur fondateur.

De tous les historiens il n'y a que le P. Dominique de Gubernatis qui ait parlé, dans sou Orbis Seraphicus, de la congrégation des pauvres Infirmiers Minimes, ou Obrégons, et dom Joseph Michieli Marquez, vice-chancelier de l'ordre militaire de Constantin, dans son livre intitulé, Tesoro militar de cavaleria, etc.; mais ces deux écrivains en ont parlé d'une manière si succincte, que, sans ce qu'en a écrit le docteur François Herrera Maldonat, dans la Vie de Bernardin d'Obregon, qu'il a composée, nous n'en pourrions dire que fort peu de chose.

Ce fondateur naquit à las Huelgas, proche Burgos en Espagne, le 20 mai 1540, et cut pour père François d'Obrégon, et pour mère Jeanne d'Obregon, tous deux de même famille, qui tiraient leur origine des anciens chevaliers d'Obrégons. On lui donna le nom de Bernardin, à cause que la fête de ce saint arrivait le jour qu'il vint au monde, qui fut un jour heureux pour lui: car il fonda sa congrégation, prit l'habit avec ses premiers disciples, et fit aussi vœu d'hospitalité à pareil jour. Ses parents eurent un grand soin de l'élever dans la vertu, et le mirent sous la conduite de bons maîtres, pour lui enseigner les lettres humaines et l'élever à la vertu; mais à peine commençait-il à se connaître, qu'ils le laissèrent orphelin, et avec très-peu de biens, par rapport à sa naissance. Un de ses oncles, qui était chantre dans l'église de Siguença, lui servit de père, aussi bien qu'à deux de ses sœurs, dont il en fit une religieuse au royal monastère de Sainte-Marie de las Huelgas, et maria l'autre honorablement à Burgos. Pour le jeune Bernardin, il le mena avec lui à Siguença, et le mit dans la maison de l'évêque. Mais ce prélat étant mort quelque temps après, il prit le parti des armes, et servit le roi d'Espague Philippe II, dans la guerre qu'il eut avec Henri II, roi de France. Un

jour qu'il passait dans une des rues de Madrid, qui était fort sale et que l'on nettoyait, un des balayeurs ayant jeté par hasard de la boue sur son habit, il se mit si fort en colère, qu'il donna un soufflet à ce pauvre homme, qui, au lieu d'en témoigner du ressentiment, se mit aussitôt en devoir de neltoyer son habit, et le remercia du soufflet qu'il lui avait donné, en lui disant qu'il ne s'était jamais vu si honoré que par ce soulflet qu'il recevait volontiers pour l'amour de Jésus-Christ.

Bernardin fut si confos d'entendre ainsi parler cet homme, qu'il lui demanda aussitôt pardon de l'affront qu'il lui avait fait, et faisant réflexion sur cet exemple de patience qu'il venait de voir, il se dit à lui-même ce que saint Augustin dit à Alipe après avoir entendu le récit de la vie de saint Antoine : Qu'est-ce que je viens d'entendre? quoi! des ignorants s'élèvent et s'emparent du ciel; et

nous autres, avec notre science et toute notre

prudence, nous sommes assez misérables que de le perdre, abîmés dans la chair et dans le sang! Est-ce parce que de tels gens ont pris les devants, que nous avons honte de les suivre? et ne devrions-nous pas plutôt mourir de honte de n'avoir pas même le courage de les suivre, et de faire ce qu'ils ont fait (Confess., lib. vIII, c. 8)? De si saintes réflexions, qui ne venaient que de la grâce de Dieu, qui agissait dans son cœur, lui firent prendre la résolution de quitter les armes et de se donner entièrement au service de Dieu, auquel il demanda par de ferventes prières la grâce de lui faire connaître l'état qu'il devait embrasser pour le servir plus parfaitement. Ses prières ne furent pas inutiles: car Dieu lui donna de si fortes inspirations de servir les pauvres malades, que, ne doutant point que ce ne fût sa sainte volonté, il s'y adonna avec beaucoup de ferveur, allant tous les jours pour cet effet à l'hôpital de la cour à Madrid, comme faisaient plusieurs personnes pieuses, qui s'y rendaient soir et matin aux heures qu'on leur donnait à manger. Son zèle ne se borna pas à cet exercice de charité il alla ensuite consoler les malades, faisait leurs lits, balayait leurs chambres et s'occupait aux mêmes fonctions que les serviteurs qui étaient à gages. L'assiduité de Bernardin d'Obrégon à rendre ces services aux malades lui attira l'amitié et l'estime de l'administrateur de cet hôpital, auquel il voulut, par un plus grand désir de perfection, soumettre sa volonté, en lui obéissant comme à son supérieur. Non content de cela, commençant à se dégoûter entièrement du monde, il voulut en quitter non-sculement les maximes, mais même l'habit, revêtant d'une robe de couleur minime, et enfin de l'habit du tiers ordre de Saint-François qu'il prit quelque temps après; et sous l'un et l'autre de ces habillements il portait un rude cilice, qu'il ne quitta point pendant tout le temps qu'il vécut. I passa ainsi douze ans au service de cet hôpital: on ne parlait à Madrid que de ses vertus, et il y eut plusieurs personnes qui vinrent à l'hô

se

pital de la cour, dans le dessein d'imiter son zèle et son assiduité à servir les pauvres malades. Quelques-uns de ces imitateurs de 'son zèle et de sa charité lui ayant demandé avec instance de les recevoir pour disciples et de leur donner un habit pareil à celui qu'il portait, il forma le dessein d'établir sa congrégation, y étant porté par l'administrateur de l'hôpital, qui en avait un très-grand désir. Mais comme le roi était protecteur de cet hôpital, Bernardin ne voulut pas exécuter son dessein sans en avoir eu la permission de ce prince. Philippe II régnait pour lors, et comme ce grand roi joignait à ses autres vertus celle d'une grande piété, il accorda la demande de Bernardin, et lui permit de donner l'habit à ceux qui se présenteraient pour le recevoir. Ce zélé fondateur, muni de cette permission, demanda aussi le consentement de l'archevêque de Tolède, qui lui ayant été accordé, il donna, l'an 1567, l'hahit de sa congrégation à six jeunes gens. Le premier qui le reçut fut Jean de Matha, natif de Suen Major, qui mourut en odeur de sainteté. Le second fut Jean de Mendoça, de Ségovie, qui, après avoir servi les pauvres malades sous sa conduite pendant quelque temps, entra chez les Déchaussés de l'ordre de Saint-François, et mourut gardien du couvent de Medina del Campo. Le troisième se nommait Jean de Montès, de Madrid, qui entra quelque temps après dans l'ordre des Minimes. Le quatrième, Pierre de Hurtado de Cuença, qui entra dans la compagnie de Jésus, et souffrit le martyre au Japon. Le cinquième, Jean de Garcias, qui entra dans la même société, et le sixième, nommé Jean de Dieu, qui mourut dans sa congrégation, que plusieurs autres auxquels il donna l'habit augmentèrent encore: en sorte que la même année il eut vingt disciples. L'habit qu'il leur donna consistait en une robe de drap de couleur brune et un manteau de même, à la manière de celui des ecclésiastiques. Leur robe était serrée d'une ceinture de cuir. Ils avaient des chemises de serge et portaient des chapeaux noirs quand ils sortaient; mais dans la maison ils avaient de petits bonnets noirs.

Ce fondateur, se voyant un nombre suffisant de disciples, leur distribua à chacun les offices de la maison, voulant qu'ils obéissent en toutes choses à l'administrateur, et qu'ils ne s'employassent qu'au service des pauvres. Ils avaient les heures marquées pour faire l'oraison, se rendant pour cet effet à l'oratoire quand ils avaient donné aux malades ce dont ils avaient besoin. Bernardin était le premier à leur donner l'exemple. Cette charité qu'ils exerçaient envers les malades tant de jour que de nuit, jointe à tous les autres exercices de piété et de mortification qu'ils pratiquaient, leur attira une si grande estime, que tout le monde leur apportait comme à l'envi: ce qui ayant considérablement augmenté les revenus de l'hôpital, le pieux fondateur, qui ne cherchait pas à s'enrichir aux dépens des pauvres, mais au contraire qui les servait par une

charité désintéressée, augmenta à proportion des revenus le nombre des infirmiers, afin que les malades en fussent mieux servis et plus soulagés dans leurs maux. Il en reçut encore vingt l'année suivante 1568, ce qui le détermina à demander la confirmation de sa congrégation, qu'il obtint, en 1569, de M. Caraffa, archevêque de Damas el nonce du pape en Espagne.

La réputation de ces nouveaux hospitaliers se répandant par toute l'Espagne, il y eut plusieurs villes qui en voulurent avoir. La première qui en demanda fut celle de Burgos, où ils entrèrent dans l'hôpital royal; ensuite ils furent établis à Guadalaxara, Murcie, Najara, Belmonte, et en d'autres lieux.

Bernardin ayant compassion des pauvres malades qui sortaient des hôpitaux encore faibles, persuada au roi d'en fonder un pour les convalescents dans la ville de Madrid: ce que ce prince fit l'an 1569, et comme les fondements en furent jetés le jour de sainte Anne, on donna pour ce sujet le nom de cette sainte à cet Hôpital. Il y avait pour lors à Madrid dix-huit hôpitaux ; mais comme la plupart n'avaient pas suffisamment de revenus pour l'entretien des malades, le roi, voulant supprimer une partie de ces hôpitaux et unir leurs revenus à ceux que l'on conserverait, et ayant obtenu pour cette suppression la permission du pape Grégoire XIII l'an 1581, l'hôpital des convalescents fut du nombre des supprimés el fut uni à l'hôpital général, dont on donna la conduite à Bernardin d'Obrégon et à ses infirmiers. Comme on en unit encore d'autres à cet hôpital, ce saint fondateur eut de quoi exercer davantage sa charité par le grand nombre de malades qui s'y trouva, et Dieu fit voir combien elle lui était agréable, en pourvoyant miraculeusement à leur subsistance en plusieurs rencontres où les revenus n'étaient pas encore suffisants pour tous ceux qui y étaient reçus tous les jours.

La congrégation des pauvres Infirmiers augmentant tous les jours, Bernardin d'Obregon voulut l'aflerinir en obligeant ces Infirmiers à faire les vœux de chasteté, de pauvreté, d'hospitalité et d'obéissance aux ordinaires des lieux où ils seraient établis. Il proposa son dessein au roi et au cardinalarchevêque de Tolède, dom Gaspard de Quiroga, qui, l'ayant approuvé; commit son grand vicaire à Madrid pour faire les informations de vie et de mœurs de ces pauvres Infirmiers, et recevoir ensuite leurs vœux. Ce grand vicaire ayant fait ces informations, et n'ayant trouvé que des sujets d'édification dans la conduite de ces Hospitaliers, en rendit un bon témoignage à Son Eminence, et reçut leurs vœux sous la troisième règle de saint François, le 6 décembre 1589, leur donna à tous un habit tel qu'on le portait déjà dans la congrégation, el permit au fondateur de recevoir les vœux de ceux qui se présenteraient à l'avenir après les avoir éprouvés pendant deux ans.

Le cardinal de Tolède leur fonda ensuite un

hôpital dans sa ville. archiepiscopale, l'an 1590. Celle de Talavéra, Pampelune, Saraet gosse, Valladolid, Medina del Campo, quelques autres les demandèrent aussi. La ville de Lisbonne en Portugal fit des instances auprès du roi d'Espagne pour obliger Bernardin d'Obrégon de venir réformer les hôpitaux de cette ville. Il y alla l'an 1592, avec douze de ses Infirmiers, auxquels on confia le soin de l'hôpital de tous les Saints. Il en donna aussi d'autres pour plusieurs hôpitaux de ce royaume, et fonda une maison de filles orphelines dans la même ville de Lisbonne, où on lui suscita de grandes persécutions, qu'il souffrit avec une patience admirable.

Il demeurait dans l'hôpital de tous les Saints, lorsque, pour donner la dernière forme à sa congrégation, il voulut lui prescrire des règlements par écrit: mais comme ses occupations auprès des malades ne lui en auraient pas donné le loisir, il pria le roi d'Espagne de lui permettre de sortir de cet hôpital, et il se retira au monastère de NotreDame de Lumière, de l'ordre de Christ, où il écrivit ses Constitutions, qui furent achevées

l'an 1594.

De Lisbonne il alla demeurer à l'hôpital d'Evora, d'où il revint en Espagne pour assister le roi dans sa dernière maladie, et après la mort de ce prince, qui arriva l'an 1598, le 13 septembre, à l'Escurial, il retourna à l'hôpital général de Madrid, où il fut reçu avec beaucoup de joie des frères qui avaient élé privés de sa présence pendant près de six ans, mais leur joie se changea bientôt après en tristesse, par la perte qu'ils firent de ce saint instituteur, qui mourut le 6 août

1599.

Ces pauvres Infirmiers firent encore après sa mort d'autres établissements, et passèrent dans les Indes. Ils eurent aussi un hopital en Flandre dans la ville de Malines. Quelques autres personnes, s'étant revêtues de leur habit pour avoir plus aisément des aumônes, à cause de l'estime que l'on avait pour eux, obtinrent du pape Paul V, l'an 1609, la permission de porter une grande croix noire sur le côté gauche tant de leur robe que de leur manteau, afin d'être par ce moyen distingués de ceux dont nous venons de parler. Nous avons dit ci-devant quel était cet habillement (1).

Dominique de Gubernatis, Orb. Seraphic., tom. II. Joseph Michieli, Tesoro militar de cavaleria antiquo y moderno; et Francisc. Herrera y Maldonado, Vida y virtudes del siervo de Dios Bernardino de Obregon.

OBSERVANCE.

Voy. OBSERVANTINS (Frères Mineurs). OBSERVANCE DE CITEAUX (ETROITE). Voy. CITEAUX, § 3.

OBSERVANCE DE..... (ETROIte). Voy. l'article et le § spécial de l'ordre doat il est question.

(1) Vey., à la fin du vol., no 5.

OBSERVANTINS.

Des Frères Mineurs de l'Observance, appelés Soccolants, Observantins et Cordeliers.

La réforme que Jean des Vallées et Gentil de Spolette avaient entreprise, et qui échoua par l'imprudence de ce dernier, eut un sort plus heureux sous la conduite du bienheureux Paulet de Foligni, qui avait été disciple de ces deux réformateurs, avec lesquels il avait demeuré dans la solitude de Bruliano. Il renouvela, l'an 1368, cette même réforme, à laquelle on a donné le nom d'observance et qui s'est si fort multipliée qu'elle est présentement composée de plusieurs provinces et vicairies. Frère Paulet eut pour père un gentilhomme suédois, appelé Vagnotius de Trinci, qui s'établit à Foligni n'ayant encore que quatorze ans ; il reçut l'habit de l'ordre de Saint-François l'an 1323 : on lui avait donné au baptême le nom de Paul, mais à cause de sa jeunesse et qu'il était fort petit, les religieux l'appelaient communément Paulet. Il ne voulut être que frère lai, afin de s'adonner aux exercices les plus humbles, auxquels il joignit celui de la méditation, qu'il faisait d'une manière si fervente et avec de si grands transports de l'amour de Dieu, qu'on fut obligé de lui donner une cellule séparée des autres, parce qu'il troublait ses voisins par ses soupirs et par les cris qui lui échappaient dans ses extases. Les abus qui s'étaient glissés dans l'ordre lui faisaient tant de peine, qu'il ne cessait de prier Dieu qu'il voulût bien y apporter quelque remède, et qu'il plût à sa divine bonté de toucher les cœurs des religieux, qui s'étaient si fort éloignés de l'esprit de leur saint fondateur, qu'ils ne faisaient aucun scrupule de transgresser la pauvreté et les autres observances de la règle. Le bienheureux Thomas de Foligni, qui fut martyrisé par les Bulgares, demeurait alors dans le même couvent, et y était alors dans une si grande réputation de sainteté, que frère Paulet se le proposa pour modèle et l'imita si bien, qu'il acquit bientôt la même estime et la même sainteté. Ils con

féraient souvent ensemble sur les moyens que l'on pouvait prendre pour rétablir l'ordre dans sa première ferveur; mais toutes ces conférences ne servaient qu'à augmenter en eux le désir qu'ils en avaient, sans oser se flatter d'y pouvoir jamais réussir, les sentiments bumbles qu'ils avaient d'eux-mêmes ne leur permettant pas de se croire capables d'une telle entreprise, ni même d'y penser; mais Dieu qui se plaît à donner sa grâce aux humbles, et à les élever à proportion qu'ils s'humilient, voulut récompenser la confiance que Paulet avait en sa divine miséricorde, aussi bien que son humilité, en le choisissant pour exécuter ce qu'il demandait par de si ferventes prières et désirait avec tant d'empressement, ce qui arriva de la manière suivante:

La congrégation de Gentil de Spolette ayant été dissipée, comme nous avons dit dans un autre article, frère Paulet se retira seal sur

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