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cette maison l'avantage qu'il y avait à tirer d'un tel sujet, et les supérieurs lui confièrent des emplois importants et honorables, tels que ceux de professeur, de prieur au college de l'ordre à Paris, etc., et il avait reçu le bonnet de docteur en Sorbonne l'année même où se tint le chapitre national dont j'ai parlé. Quand Lécuy fut mis à la tête de son ordre, l'orage amoneelé contre la religion était bien près d'éclater, et les malheureuses suites de la formation de la commission pour les réguliers s'étaient déjà souvent montrées sensibles. Lécuy n'en travailla pas moins à améliorer la Bibliothèque et les études dans sa maison. Il traita même avec le cardinal de Loménie, de l'introduction de ses chanoines réguliers dans l'école de Brienne, pour y professer. La révolution arrêta l'exécution de ce projet. Lécuy avait tenu trois fois le chapitre national, prescrit par les nouvelles constitutions, et en avait publié les décisions: je n'ai pas eu l'avantage de les consulter. I céda à la manie de l'époque, et donna aussi une nouvelle édition du Rituel et du Bréviaire de Prémontré, dans le goût du temps. Forcé de quitter son abbaye en 1790, Lécuy n'était pas à Prémontré quand on vint signifier à ses enfants la fin de leur existence régulière. Un nominé Mauduit, chef de la commission, arrivant à Prémontré, trouva les religieux au chapitre après Tierce et avant la messe canoniale. On le reçut avec indignation; on voulut bien lui reprocher de s'être présenté dans une maison telle que la leur en mauvaise tenue; car il portait un pantalon, qui alors n'était pas de mise en pareilles circonstances, et sans lui laisser le temps de sortir de son état déconcerté, le circateur, nommé M. Grébert, entonna, selon l'usage, le Salve Regina (du 5 ton), et tous les religieux se rendirent au chœur.

Lécuy eut la consolation de voir, à son exemple, la plupart de ses Prémontrés refuser le serment à la Constitution civile du clergé. Néanmoins quelques membres de cet ordre, même de l'étroite observance, donnèrent dans les nouveautés et les erreurs du temps. Le savant abbé fut incarcéré (1793) à Chauny. Rendu à la liberté, après quelques jours de détention, il alla se réunir à son frère retiré dans une maison solitaire, aux Grandes-Vallées, près de Melun. Ce frère n'était pas religieux de son ordre, comme je l'ai dit par erreur dans la Biographie universelle, mais il était Cistercien et homme d'une capacité fort médiocre. Il obtint l'année suivante la restitution de ses livres, déposés au district de Chauny; et, privé de tout revenu il se décida à se charger de l'instruction de quelques jeunes gens. Il eût pu trouver dans l'émigration une position heureuse. Un de ses religieux n'a dit qu'un abbé d'une maison de l'ordre en Allemagne avait offert à Lécuy une maison digne de lui; Lécuy préféra resler en France. Il se fixa à Paris, en 1801, coopéra à plusieurs entreprises littéraires, publia des ouvrages, et devint aumônier de Marie-Julie, épouse de Joseph Bonaparte, femme bienfaisante, qui lui fournit en peu d'années plus de 200,000 fr. à distribuer en aumônes. Il fut accueilli avec une faveur

marquée par Pie VII, quand ce pape vint à Paris pour sacrer Bonaparte. Le pape ne faisait en cela que ce que demandaient l'anciennne position et l'état actuel de l'ex-abbé de Prémontré. Lécuy demanda et obtint une place au chœur de Notre-Dame, en qualité de chanoine honoraire. Ainsi, M. de Belloy ne lui avait pas offert cette moselle donnée si souvent pour des motifs que le public ne peut découvrir dans le mérite des préférés. Plus tard, Lécuy devint chanoine en titre, eut des lettres de grand vicaire, sous M. de Quelen, et fut chargé de l'examen des livres soumis par les auteurs à l'approbation archiépiscopale. Lécuy aimait à revoir ses anciens confrères, et comme on faisait, en son ordre, la fête de Saint-Norbert le 11 juillet, il choisissait quelquefois ce jour-là pour les voir ou leur donner un souvenir. Ainsi leur envoya-t-il en 1822, le Planctus Norbertinus, élégie qu'il avait composée en vers français et latins; ainsi, à pareil jour encore, leur en voya-t-il, avec son portrait, l'élégie du P. Werp, Jésuite liégeois, sur saint Norbert, et la traduction en vers qu'il en avait faite quelques mois avant sa mort; Lécuy, plus que nonagénaire, fit imprimer ces opuscules avec quelques autres; il venait aussi, depuis peu, de publier deux volumes in-8° intitulés Essai sur la vie de Gerson.

Peu de mois avant sa mort, dans l'opuscule dont je viens de parler, Lécuy donnait sur son ordre les détails suivants, et qui sont très-propres à faire connaître l'état actuel de Prémontré: « De cet ordre illustre, et autrefois si étendu, il ne reste plus que quelques débris. Le schisme d'Angleterre commença par l'appauvrir. La réformation augmenta ses pertes par la suppression d'un grand nombre de maisons dans les contrées où on l'embrassa. Les abbayes d'Espagne, vers 1573, se séparèrent du corps de l'ordre, pour former une congrégation à part, qui néanmoins en conserva l'habit et les statuts. Sous l'empereur Joseph II, d'autres suppressions eurent lieu dans les provinces héréditaires; cependant, outre les abbayes de l'une et do l'autre observance, situées en France, et à peu près au nombre de cent, avant 1789, il restait, dans la Belgique, et dans diverses parties de l'Allemagne, de très-beaux établissements qui se distinguaient par leur régu larité et le goût des sciences ecclésiastiques. La Souabe, notamment, où les abbés étaient prélats de l'Empire, n'avait rien perdu; et malgré tant de suppressions, l'ordre de Prémontré se trouvait encore assez florissant. Toutes les maisons de France, à la révolu tion, subirent le sort des autres institutions ecclésiastiques, enveloppées dans une proscription générale. L'invasion de la Belgique par les armées révolutionnaires étendit à ce pays les mesures destructives prises en France; ce que l'ordre de Prémontré possédait encore dans la Germanie dut périr avec les grands siéges et les riches dotations de l'Eglise d'Allemagne, sacrifiées à un système d'indemnité, lors de la formation de la confédération du Rhin. Du bel héritage de SaintNorbert, soumis à la crosse de Prémontré, il restait, en 1805, dix abbayes, dont deux si

luées en Silésie, dans les Etats du roi de Prusse, avaient été jusque-là religieusement conservées par les princes de cette maison, quoique protestants. Il était naturel que, les princes catholiques s'emparant des biens des religieux, un prince qui ne l'était point ne fût pas plus scrupuleux, et ces deux abbayes (1) cessèrent d'exister. Il en reste donc aujourd'hui seulement huit, redevables de leur existence à la piété et à la bienveillance royale de l'empereur d'Autriche, François I. Trois (2) sont situées en Bohême, desquelles Strahow, dans la ville de Prague, qui est la plus considérable, est dépositaire des reliques du saint patriarche, fondateur de l'ordre. Les études y sont en honneur, même celles des langues orientales. L'Autriche a deux maisons (3) et la Moravie une (4). Deux autres en Hongrie (5), supprimées par Joseph II, ont été rétablies en 1802 par l'empereur François I, et sont honorées de sa protection. Il les a chargées de la desserte. d'un certain nombre de cures, et de l'enseignement dans plusieurs colléges: il leur a confié en outre la garde et le soin des archives du royaume. Ces détails, sans doute, ne seront pas sans intérêt pour ceux de l'ordre de Prémontré qui survivent. Ils apprendront avec joie que s'il est infiniment réduit, il n'est pas du moins tout à fait éteint. Toutes ces maisons sont composées d'un grand nombre de religieux. D'après l'un des derniers catalogues de Strahow, cette abbaye en comptait Soixante-quinze employés ou dans le ministère ou à l'enseignement. L'abbé Népomucène Pfeiffer, à la tête de ce grand établissement, est jeune encore, et est un des principaux dignitaires de l'Université de Prague. A ce titre, il en joint plusieurs autres, tels que ceux de doyen de la faculté de théologie, d'aumônier du roi, de membre du consistoire archiepiscopal, etc., etc.

« Aux huit maisons dont il a été fait mention, il faut en ajouter une neuvième, savoir: l'abbaye de Wilten dans le Tyrol, près d'Inspruck. Les événements de la guerre ayant fait passer ce pays sous la domination des Bavarois, ils avaient supprimé cette abbaye; l'empereur François étant rentré en possession de cette partie de ses Etats, la rétablit aux mêmes conditions que les autres, c'està-dire en lui imposant les mêmes obligations et les mêmes services. Des journaux annonçaient, il y a quelque temps, qu'il s'agissait du rétablissement de quelques-unes des abbayes de la Belgique, et parlaient principalement de celle d'Averbode, dans la Campine, et de Grimberg, près de Bruxelles, dont les religieux avaient racheté les bâtiments. En effel, ceux d'Averbod ont écrit à leur ancien abbé général pour lui faire part de ce projet, dont l'exécution, si elle pouvait avoir lieu, consolerait un peu ses vieux ans. Voici ce qu'ils lui mandaient :

(1) Saint-Vincent, dans la ville de Breslau, et Czarnovans, maisons de femmes.

(2) Sirahow, Tepla, Siloë, toutes trois dans le diocèse de Prague.

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« Ex occlusa hisce copia facile colliget reve rendissima dominatio vestra quale sit tuorum in circaria Brabantia in Belgio in Christo filiorum desiderium, cum hucusque nullum Roma advenerit responsum, scilicet ut auctoritate qua caput et totius ordinis generalis (dubitamus enim de nostra qua regentes); uni ex regentibus requisitum concedere dignetur potestatem cum facultate subdelegandi, quatenus candidatos ad vestitionem et professionem, observatis observandis, solemnem admil· tere valeat, communitati incorporare, cætera quæ ad bonum monasterii regimen opportuna impertiri velit. Quod si Roma postea respondeat, sedi Romanæ nos subjicere, sumus paratissimi,

« Misericordiarum Patrem rogare pergimus, ut reverendissimam dominationem quoque pergat conservare incolumem : omni veneratione et obedientia vere filialibus signor,

« Reverendissimæ ac amplissimæ dominationis vestræ humitl. tuus in C. J. filius fr. IGNA TIUS LOYOLA CARLEER Rel. Avb. provisor et regens.

« Averbodii, 1 Aug. 1833.

<< Des nouvelles plus récentes apportées de Prague par une personne qui en revient, qui a visité l'abbaye de Strahow et vu l'abbé Pfeiffer, nous apprennent que le chaléra y fait de furieux ravages. Voici, au reste, ce qu'en mande l'abbé Pfeiffer lui-même dans une lettre écrite de sa main :

a Nostræ in Bohemia, Austria, Moravia, Ungaria, et Tyroli existentes canoniæ piissimi et clementissimi imperatoris, quasi patris, gaudent tutela, earumque incolæ; sint Deo laudes; ubique optimam disciplinæ et laborum suorum servant famam; licet tristi morte tum pestiferi morbi cholera, tum exantlatis in cura animarum viribus, nostræ Sioneæ communitati intra decursum 14 mensium fratres UNDECIM abrepti fuerint.

tulum tetigit; ast hoc anno malevolus morbus Meipsum ante duos annos cholera aliquangripp in pulmones transiit, ita ut inde a februario atroci pu'monum affectione et contiproximus sim, quamvis haud pridem 51 --nua tussi laborans, magis morbi quam vitæ

ætatis annum

ingressus. Exinde supplex rogo et figito, ut reverenlissima amplitudo me piis precibus velit habere commendatram, et dignetur quamprimum possibile, aliquot lineolis illum recreare filiorum ultimum, qui profundissima veneratione paternas manus

3) Gerussen et Plaga, toutes deux du diocèse de Passau.

(4) Neureischen, du diocèse d'Olmutz. (5) Jassau et Czorna, celle ci du diocèse de Javarin.

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deosculans ac benedictionem petens, pra obedientia emoritur, etc. »

« Cette lettre, datée de novembre dernier, laisse de vives inquiétudes sur l'existence d'un prélat distingué, à qui son âge peu avancé aurait permis de rendre encore de longs et importants services (1).»Je crois savoir que cet abbé se releva de cette maladie. Depuis le jour où M. Lécuy écrivait ce qu'on vient de lire, les Prémontrés se sont effectivement rétablis à Averbode, dans la Campine, m'a dit un ancien Prémontré français, qui est allé les visiter, et je crois savoir qu'ils ont envoyé quelques-uns de leurs frères en Amérique.

Ce fut pour l'ordre de Prémontré un titre précieux à la reconnaissance de la religion et des lettres ecclésiastiques que d'avoir continué jusqu'à la mi-octobre les Acta sanctorum, commencés par les Bollandistes; car on sait que l'institut Bollandien (institutum Bollandianum) ayant été éteint en 1788, Godefroi Hermans, abbé de Tongerlo, de l'ordre de Saint-Norbert, fit acquisition, pour son monastère, du musée et du mobilier typographique de cet institut, et continua avec ses religieux de travailler à cette immense entre prise jusqu'à l'année 1794.

Le 22 avril 1834, touchant à sa quatrevingt-quatorzième année, Lécuy mourut à Paris, dans la maison qu'il habitait rue de l'Eperon, no 8, et fut inhumé dans le cimetière dit du Mont-Parnasse. Le chapitre de Paris ne paraissait pas remarquer qu'il perdait un membre comme son corps illustre n'en avait jamais eu et n'en devait plus avoir, le général d'un ordre tel que Prémontré Mes sympathies et mon estime pour l'abbé et le religieux (qu'on excuse ces détails) me firent procurer à l'ornement de son cercueil, pendant la cérémonie du convoi, une partie des insignes de la dignité abbatiale, et peut-être, pour le genre de lecteurs que ceci intéresse, ne sera-t-il pas superflu d'ajouter une sorte de coïncidence due au hasard je mis sur le ca'afalque du dernier abbé de Prémontré la mitre du dernier abbé de Pontigni. Lecuy avait voulu que son cœur fût porte à Prague et déposé sous les quelques reliques de saint Norbert que l'on a arrachées à la fureur des bérétiques et qu'on y conserve dans l'abbaye de Strahow. Ses intentions ont été remplies; elles étaient consignées dans son testament, elles l'étaient aussi dans une pièce de vers hexamètres intitulée: De corde suo ad reliquias diri Norberti Praga in Strahovia præsentando, pièce trop longue pour trouver sa place naturelle ici, mais qui finit par un vœu trop touchant pour ne pas le faire connaître en parlant de Prémontré et de son dernier abbé. C'est un double souhait pour Strahow et pour Lécuy lui-même :

Ah! semper maneat, maneat Strahovia semper;
Ex ipsis atque exurgant frutices aliquando,

(1) Reverendissimus, amplissimus, eximius, spectabilis ac magnificus dominus Benedictus Joannes Nep. Pfeiffer. Tes sont les titres réunis qu'on lui donne.

Queis tuus inter eas cultus, Norberte, perennet.
Hoc vivus voveo, moriens hoc quoque vovebo;
Tu Christum mihi propitium fac, o Pater alme!

Si les règles de l'art ne sont pas ici fidèlement gardées, on est bien édifié en lisant ces vers d'une fidélité bien plus précieuse, celle qui avait été vouée au plus noble, au plus saint des engagements.

Depuis la suppression de Prémontré, Strahow est devenue comme le chef d'ordre, et son abbé est visiteur perpétuel de plusieurs couvents de Prémontrés, et, à ce que je crois, vicaire général de l'institut.

L'histoire de Strahow a été écrite en allemand, et renfermée en trois petits volumes, que je crois inconnus en France.

Vers l'an 1130, l'ordre de Prémontré s'était établi en Palestine, et y fit de rapides progrès sous la bénédiction et la protection du pape Innocent II. Le pieux Henri Zdick, évêque d'Olmutz, fit pour la seconde fois le pèlerinage de Jérusalem en 1138, et y passa près d'un an. Il eut l'occasion d'apprécier le nouvel ordre, qu'il ne connaissait pas auparavant, et en prit l'habit, et revint en Bohème avec son costume blanc, et le projet, et sans doute aussi la mission, d'établir les Prémontrés en ce pays. Au mois de mars 1139, il visita son ami, Jean I', évêque de Prague, qui était malade, et il trouva dans ce prélat un coopérateur zélé qui lui accorda tout ce qui était nécessaire pour bâtir une demeure pour ses Prémontrés. Henri Zdick, protégé aussi par Wladislaw II, qui venait de monter sur le trône de Bohême, et par la reine, son épouse, fut, dès 1140, en état d'élever une petite maison, mais construite en bois, pour loger ses frères. Il la bâtit sur la montague nommée Zizi ou Syzi, occupée par une garde préposée à la sûreté de la ville. Le nom de Strusa ou Straz, mot bohémien qui veut dire garde, est l'origine et l'étymologie du nom de Strahow. La maison provisoire construite, Heari Zdick chercha des colons pour l'occuper; il n'est pas certain qu'il ait amené des religieux de Palestine; il paraft même certain qu'il mit d'abord à Strahow des religieux d'un autre ordre, pour y célébrer le service divin et instruire le peuple, et qu'il leur donna Blasius ou Blaise pour supérieur. Après avoir assisté à une dièle tenue à Ratisbonne en 1141, l'évêque Henri passant, à son retour, par la Bavière, visita les Prémontrés du couvent de Windeberg, et demanda des frères pour sa maison. On lui répondit que pour en accorder il fallait la permission du général de l'ordre. Il envoya donc à Prémontré sa demande appuyée du crédit du roi et de la reine. Il fut facilement exaucé, et s'adressa au célèbre couvent de Steinfeld, du diocèse de Cologne (où s'est sanctifié le bienheureux Herman) et le prévôt de ce monastère eut ordre du général de Prémontré de seconder et de faire réussir le projet de l'évêque Henri. Ce prévôt vint lui

Ce prélat, né en 1783, fut bénit abbé le 16 février

1817.

même à Prague, en 1142, accompagné du pieux Gollschalk (qui dans la suite fut abbó de Scelau) et d'un certain nombre de religieux, qu'il laissa sous la direction de Gollschalk, recommandant à celui-ci d'agrandir la maison provisoirement en bâtisses en bois.

Plus tard, et probablement en 1158, Henri remplaça cette demeure provisoire par un superbe bâtiment. Ce saint évêque fit un second voyage en Bohême, et ramena avec lui Gezo, qui avait été nommé à Steinfeld premier abbé de Strahow. La sagesse et la prudence du pieux et savant abbé Gezo procurèrent à Strahow une telle renommée, que l'ordre de Prémontré s'étendit promptement au dedans et au dehors de la Bohême. Pour preuve de sa confiance, Wladislaw mit son fils cadet, Adalbert, entre les mains des Prémontrés, et plusieurs personnes illustres fu

rent élevées aussi à Strahow.

Telle fut l'origine de cette maison destinée à remplacer le chef d'ordre; je n'ai point regardé comme un hors-d'œuvre les détails que j'ai donnés sur son établissement. L'abbaye de Prémontré, aujourd'hui enclavée dans le diocèse de Soissons, devint une fabrique de verre. Du moins ne fut-elle pas entièrement démolie, et en l'année 1847, la verrerie ayant cessé de marcher, les papiers publics offraient la vente du célèbre monastère, comme convenant parfaitement à un établissement religieux. J'ignore quel a été son sort. Que Strahow soit plus heureuse, et je dirai, en partageant vivement le vœu de l'abbé Lécuy:

Ah! semper maneat, maneat Strahovia semper.

Dans les Etats autrichiens il y a actuellement sept maisons de Prémontrés, contenant cent vingt-deux religieux. Peut-être que ce chiffre a été diminué à la suite des révolutions et des guerres de l'année 1848. L'ordre de Prémontré, était, suivant moi, la plus belle et la plus célèbre des familles canoniales qui suivaient la règle de saint Augustin.

Au dernier siècle on établit en Italie un institut nouveau, dit des Norbertines, dont je parlerai dans mon volume de Supplément.

Depuis que ce qui précède est écrit, j'ai visité Prémontré, qui est enclavé dans la paroisse de Brancourt, mais qui est actuellement une commune civile, ayant son maire et sa municipalité. Les ouvriers qui travaillaient à la fabrique de verre avaient établi là leur demeure, et plusieurs ont bâti des maisons fort décentes, presque élégantes, dans la gorge du vallon qui à les restes de l'abbaye à son extrémité. Ces habitations nouvelles n'ont presque rien enlevé à l'aspect solitaire qu'avait gardé Prémontré jusqu'à son dernier jour. Il est surprenant que l'une des abbayes les plus puissantes du monde eût gardé toute la majestueuse horreur de son état désert pendant sept siècles. La forêt de Coucy l'enveloppe dans un vallon de dix minutes de chemin, et la cache à peu près, comme au temps de saint Norbert, à la vue du monde. Les hêtres de cette forêt

sombre et épaisse sont plantés à quelques mètres des murs de l'abbaye, dont la vaste enceinte est toute conservée. Après avoir longé le grand jardin de l'abbatiale, on entre dans la grande cour de l'abbaye, et on voit en face le corps du monastère dont la façade majestueuse, quoique abaissée sur les deux côtés par l'acquéreur, ferait illusion et porterait à croire que tout subsiste encore; mais il n'y a plus que cette façade; le cloître immense, le dortoir, l'escalier si surprenant et si célèbre, qui, du dortoir, conduisait au chœur, et les lieux réguliers sont détruits. On voit encore en entier le chapitre, etc., mais dans un état déplorable, comme le reste de ce qui n'est point démoli. Les murs de l'église sont presque à leur hauteur en certaines parties, et laissent voir quelle était l'étendue de ce monument, le plus important, le plus sacré de Prémontré, et font comprendre aussi qu'il était loin d'être en rapport avec la richesse et l'élégance des autres parties de l'abbaye. Les chanoines l'avaient compris mieux que personne, et quoique cette église fût, à ce qui m'a paru, d'une date assez récente, ils allaient en bâtir une autre, si la révolution n'était pas venue les chasser de leur demeure. Le plan de l'église projetée était arrêté, et, dans la bibliothèque publique de Laon, on voit, en relief et sur une grande échelle, tant l'intérieur que l'extérieurde cette église, qui aurait été absolument ce qu'est l'église Sainte-Geneviève à Paris.

Les entrepreneurs de la verrerie avaient construit dans l'enceinte de Prémontré une pompe à feu, des ateliers, etc., qui s'y voient encore, et qui, dans l'état d'abandon de cette usine, font un singulier contraste avec les autres bâtiments de l'abbaye, qui a encore ses écuries, son infirmerie et de vastes et nombreuses constructions servant à l'usage des religieux et à l'exploitation de leurs terres. La partie de la façade qui reste encore serait déjà suffisante pour loger une communauté; mais cette partie n'est rien auprès de l'étendue de la procure, bâtie à droite dans la cour, et qui est toute conservée, et qui elle-même est peu de chose comparativement à l'abbatiale, construite à l'auire extrémité de la cour, et qui est comme un immense palais, ayant une entrée majestueuse, avec ce surprenant escalier en spirale, non soulenu, qu'on retrouve dans presque toutes les maisons de Prémontrés, et ayant aussi gardé presque tout son luxe et la propreté de ses appartements si nombreux, qu'ils serviraient seuls à une grande communauté.

On voit à l'extrémité du jardin de cette abbatiale les restes de la petite église SaintJean, qui servait autrefois d'église paroissiale à ceux que les chanoines avaient sous leur juridiction. Le culte de saint Jean était, comme on l'a vu dans le récit d'Hélyot, établi dans ce lieu, et le vaste portail qu'on voit à l'autre extrémité de l'abbaye s'appelle encore la porte Saint-Jean.

Le culte de saint Norbert est encore en

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honneur parmi les ouvriers qui habitent ces déserts. La statue du fondateur est conservée chez l'un d'eux, et avant la révolution de juillet, qui a anéan'i l'esprit et les habitudes de religion en tant de contrées, ils portaient solennellement cette statuette, au jour de sa fête, à l'église de Brancourt. Aujourd'hui, ils se bornent à lui porter un bouquet chez le voisin qui la possède, et à tirer quelques boites, au retour de sa fête, qui est le 11 juillet, dans l'ordre de Prémontré.

Les propriétaires de l'usine de glaces de Saint-Gobain ont acheté et anéanti la verrerie de Prémontré, qui leur faisait concurrence; et actuellement cette belle abbaye est mise en vente avec quatre-vingts ou cent arpents de terre, ou prairie, étang, moulin, etc., et l'un des établissements les plus illustres du monde ne trouve point d'acquérear! Illic sedimus et flevimus.

Dans la biblio'hèque de Laon, j'ai vu la Biographie latine de Lécuy, écrite par luimême, et j'y ai lu que Joseph Il avait supprimé dans ses Etats toutes les maisons de Prémontrés. En 1802, quelques-unes furent rétablies par la permission de François II, mais on imposa pour condition l'enseigne ment et l'administration de douze paroisses. La maison de N. (Jassoviensis), dout M. Maximilien Bernath était abbé, fut mise à la tête de ces chanoinies restaurées, et c'est de ce prélat que M. Lécuy connut l'état de l'ordre en Autriche, à cette époque.

Je ne sais pourquoi les statuts nationaux dont j'ai parlé ci-dessus prescrivent encore des dispositions pour des maisons de femmes, puisqu'il n'y en avait plus en France. Les Prémontrés avaient, dans les dernières années, modifié leur habit. De plus de soixante maisons qu'ils possédaient en Italie, il ne leur en restait pas une depuis longtemps. En Espagne, ils avaient une cyrcarie spéciale sous un vicaire général, qui devait ne pas être abbé. Dans cette cyrcarie, composée d'hommes et de femmes, la dignité abbatiale n'était que pour trois ans. Le Dictionnaire historique portaiif des ordres religieux, dont l'auteur m'est inconnu, dit qu'il y a eu un tiers ordre de Prémontré pour les personnes séculières, mais qu'il est supprimé depuis longtemps, et l'on ne dit ni quel en était l'habit, ni quelle règle saint Norbert lui avait prescrite. J'ai peine à croire que ce tiers ordre ait existé.

Nouvelles ecclésiastiques, passim.-Statuta sacri et canonici Præmonstratensis ordinis, renovata jussu regis Christianissimi, et auctoritate capituli nationalis, anni 1770. Decreta capituli nationalis anni 1770. Instituta congregationis reformate in ordine PræMa monstratensi, Paris, Simon, 1773. notice sur Lécuy, dans la Biographie universelle. Notes diverses. Renseignements venus de Prague et procurés par l'abbaye de Strahow. - Opuscula Norbertea, par Lecuy,

ric., etc.

B-D-E.

-

DICTIONN. DES ORDRES RELIGIEUX. III.

PRÉSENTATION (Religieuses, FILLES DE LA).

Des religieuses filles de la Présentation de
Notre-Dame, en France et dans la Valteline,
avec la Vie de M. Nicolas Sanguin, évêque
de Sentis, fondateur de celles de France.-
PRESENTATION de Jeanne de Cam'ry, etc.

Il y a deux ordres différents, sous le nom
de la Présentation de la sainte Vierge au
Temple, qui ne se sont point éten lus depuis
leur établissement: l'un en France dans la
ville de Senlis, l'autre dans la Valteline, an
bourg de Morbogno. Le premier reconnaît
pour fondateur Nicolas Sanguin, évêque do
Senlis. Il vint au monde l'an 1580, et eut
pour père Jacques Sanguin, seigneur de Li-
vry, conseiller au parlement de Paris, qui,
par son grand mérite, fut élu plusieurs fois
el continué prévôt des marchands de cette
capitale du royaume. Sa mère se nommait
Marie da Mesnil; elle était fille du président
du Mesnil.

Sa jeunesse se passa dans une vie molle et sensuelle, aimant les plaisirs, ans se mettre en peine si la vie qu'il menait était conforme aux règles de l'Evang le. Après avoir achevé son cours de théologie, il étudia en droit et fut fait conseiller clerc au parlement de Paris, étant déjà pourvu d'un canonicat dans l'église métropolitaine de cette ville, sans néanmoins quitter ses première habitudes; mais Dieu le retira de cette vie molle, par un accident qui lui arriva lorsqu'il s'y attendait le moins. Il profita de cette disgrâce: it changea de conduite et retourna à Dieu. Cet accident fut suivi d'un autre, dont il n'échappa que par la protection de la sainte Vierge, à laquelle il fit un vœu qu'il observa le reste de sa vie.

Cette délivrance miraculeuse fut le motif de sa parfaite conversion; car, renonçant dès lors à toutes les vanités du monde, il se donna tout entier à Dieu, il fit un aveu sincère de ses faiblesses par une confession générale, il entra dans le sacerdoce, et vécut depuis d'une manière si sainte et si édifiante, que le cardinal de la Rochefoucauld, pour lors évêque de Senlis, voulant se démettre de son évêché, crut qu'il ne pouvait pas mieux faire que de s'en démettre en faveur de M. Sanguin, qu'il fit agréer par le roi Louis XIII, qui lui en accorda le brevet. Ayant obtenu ses bulles de Rome, il fut sacré le 12 fevrier 1623, par le cardinal de Richelieu, dans l'église de la maison professe des PP. Jésuites. Il se sentit aussitôt rempli d'un nouvel esprit, il fortifia les bonnes intentions qu'il avait commencé de contracter, et conçut tout de nouveau une grande horreur du vice. La charité, l'humilité, la mortification et la patience, furent ses vertus favorites: elles jetèrent de profondes racines dans son cœur, et autant qu'il avait senti d'opposition pour la pratique de ces vertus, il les pratiquait en toute occasion avec autant de joie et de satisfaction.

Après s'être défait de sa charge de conseiller de la cour, il fut pourvu par le roi de celle de conseiller d'Etat. fi prit ensuite pes

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