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nous pas encore à voir dans ce bref toutes les dispenses de l'Eglise accordées à des religieux infidèles à leurs engagements? Nonseulement ils sont rendus à l'état séculier, mais ils en peuvent posséder tous les avantages. Non-seulement ces nouveaux concurrents sont donnés au clergé séculier sans le consentement de l'évêque, mais ce consentement même n'est pas requis. Non-seulement on leur donne tous les droits des prêtres séculiers dans l'ordre de la religion, on leur rend encore tous ceux auxquels ils ont renoncé dans l'ordre civil, et en conséquence on les rend habiles à recevoir des legs et donations et à en disposer par testament.

« Si nous nous abstenons de toute réflexion sur ces priviléges en eux-mêmes, il est impossible de n'en pas prévoir toutes les consé quences dangereuses pour le maintien de la discipline régulière et la conservation des monastères. Dès que les grâces du siècle et celles de l'Eglise seront ouvertes à l'indiscipline et au relâchement; dès que la facilité d'enfreindre toutes les règles sera la récompense même de l'infraction; dès que le relâchement, en montant à son comble, pourra se promettre non-seulement l'impunité, mais des faveurs, comment espérer que la régularité se maintienne dans les cloîtres ou s'y rétablisse? Comment le dégoût d'un état austère ne viendra-t-il pas à s'y introduire?

« Aussi voyons-nous que les tentatives faites sur l'ordre de Saint-Ruf se sont portées

sur d'autres ordres. Celui de Saint-Antoine avait presque succombé à des offres séduisantes; et une partie des mêmes conditions qui avaient eu lieu à Saint-Ruf avait été acceptée par un grand nombre de religieux. Un brevet autorise l'ordre de Saint-Lazare à traiter avec les Célestins plusieurs ordres ont été tentés,

Des pensions abondantes, une décoration extérieure, l'espoir d'un état honnête et recherché, porteront bientôt dans les cloîtres le découragement et les dissensions. L'asile de la paix et de la simplicité deviendra le séjour des troubles et de l'ambition; et la cupidité, excitée, fera naître un tel désordre, qu'il ne sera peut-être plus possible de l'arrêter.

« Tels sont les effets que produirait le bref. Et ces effets sont d'autant plus certains, qu'on n'attend pas même que la sécularisation soit prononcée pour jouir des distinctions qui y sont attachées. Le bref n'est que du mois de juillet 1771; les lettres patentes qui l'autorisent n'ont été enregistrées qu'au mois de septembre de la même année. Depuis cette époque, nulle procédure n'a été entamée; tout est encore dans le même état, et cependant les maisons sont en partie désertes. Les religieux ont quitté leur habit; la croix de l'ordre de Saint-Lazare les annonce comme appartenant à un autre corps que celui dans lequel ils ont fait profession, et ce changement existe depuis plusieurs années. Non contents de solliciter sans motifs la défense de l'Eglise, ces religieux la préviennent et déposent jusqu'aux marques extérieures de leur étal,

avant qu'il leur soit permis d'en embrasser

un autre.

<< Telles sont, par rapport à l'extinction et sécularisation de l'ordre de Saint-Ruf, les suites du bref que nous avons été chargé d'examiner. La sagesse du roi, celle du souverain pontife, ont été surprises; des causes légitimes ont été supposées. On a prétendu avoir observé les formes, lorsqu'elles ont été violées; mais, dans le fond et dans la forme, toutes les règles résistent à l'exécution de ce projet. Toutes les circonstances concourent à en faire voir l'irrégularité, et il est aussi vicieux dans son principe que dangereux dans ses conséquences. »>

A l'égard de l'ordre de Saint-Ruf, M. l'archevêque de Toulouse fit observer, dans la séance du 14 juillet, qu'il était nécessaire de prévoir quel en serait le sort, et que le soin de prononcer sur les maisons qui le composent, lui paraissait devoir être remis aux évêques. Mais on ne voit pas que l'assemblée ait pris aucune délibération à ce sujet.

On demandera peut-être pourquoi, voulaut tracer un tableau des destructions d'ordres ou congrégations qui ont été l'ouvrage de la commission royale, on parle, dans ce Mémoire, du projet de suppression et union de l'ordre de Saint-Ruf, à l'ordre militaire de Saint-Lazare, puisque, d'une part, ce projet n'a point été effectué, et que de l'autre il est absolument étranger à la commission, qu'il a été formé plusieurs années avant son établissement, et que M. l'archevêque de Toulouse l'a combattu avec tant de zèle et de succès.

Mais deux raisons ont semblé l'exiger. Il était indispensable de rappeler les principes qui doivent servir de règles dans les extinctions et sécularités d'ordres ou congrégations régulières, soit pour faire connaître les motifs qui peuvent les rendre, soit pour fixer la forme dans laquelle il faut y procéder. Ce double objet se trouve rempli dans le rapport de M. l'archevêque de Toulouse, désirer. Les maximes qui sont exposées ont avec la précision et la solidité qui étaient à acquis, par son témoignage et par l'approbation de l'assemblée du clergé de 1772, qui a fait insérer le rapport dans son procès-verbal, une autorité nouvelle, qui ne saurait permettre de les contester ou de les obscurcir; et dans le dessein où l'on était d'avoir un guide sûr, dans l'examen des opérations de la commission, on ne pouvait en choisir un qui dût être moins suspect aux prélats commissaires, el qu'on pût leur opposer avec plus d'avantage. Or il eût été difficile d'entendre le rapport de M. l'archevêque de Toulouse, de sentir toute la force et la justesse de ses réflexions, sans avoir quelque connaissance du traité de l'ordre de Saint-Ruf avec celui de Saint-Lazare, des suites qu'avait cues ce traité, des moyens employés pour le faire réussir, et de ceux qui l'ont fait échouer.

Il était d'autant plus essentiel de rapporter avec quelque étendue le discours de M. l'archevêque de Toulouse, que si la commission

n'a point en de part au premier projet de suppression et union de l'ordre de SaintRuf, c'est sous ses auspices que cette congrégation a été depuis éteinte et sécularisée. Et c'est la seconde raison qui a déterminé à faire mention du projet de M. l'archevêque de Toulouse; ayant déjà fait à l'ordre de Saint-Ruf, l'application des principes établis dans son rapport, il n'était plus besoin que de rapprocher les deux opérations, pour démontrer par leur ressemblance que l'une n'est pas moins contraire aux règles que

l'autre.

Lorsque les Chanoines de Saint-Ruf n'eurent plus aucune espérance de s'incorporer à l'ordre de Saint-Lazare, ils auraient dû sans doute reprendre leur habit, rentrer dans leurs maisons et y vivre suivant les observances de leur règle. La plupart avaient déserté leurs monastères, et changé d'état avant même qu'il leur eût été permis d'en embrasser un autre. On juge aisément qu'avec de telles dispositions, ils n'étaient pas fort empressés de rentrer dans le cloître et de se soumettre aux exercices de la vie régulière. Ils sollicitèrent, et obtinrent à Rome, au mois de février 1773, une bulle par laquelle le pape, annulant et révoquant l'union et l'incorporation précédemment ordonnée de l'ordre de Saint-Ruf à celui de Saint-Lazare, a autorisé les évêques qui ont des maisons de cette congrégation dans leurs diocèses à les éteindre et séculariser, et à en anir les biens à tel bénéfice, chapitre ou établis sement qu'ils croiraient plus utile et plus convenable. La bulle décharge les Chanoines de l'ordre de Saint-Ruf de tous les biens de la profession religieuse; elle les restitue au siècle, en leur assignant des pensions suffisantes sur les fonds de la congrégation, et en permettant aux évêques de conférer des bénéfices de toute espèce à ceux qu'ils en croiraient capables. Le pape défend enfin d'attaquer la bulle, sous prétexte d'obreption, subreption ou tout autre défaut, et déroge, pour son exécution, non-seulement à ce que prescrivent les règles de chancellerie, et à toutes les constitutions de ses prédécesseurs, mais encore à tous les décrets des conciles, même à ceux des conciles œcuméniques.

Cette bulle a été revêtue de lettres patentes du 12 juin 1773; M. l'évêque de Valence, par un décret du 12 août 1774, a prononcé la sécularisation de tous les Chanoines Réguliers de Saint-Ruf, comme étant tous profès de l'abbaye, chef-lieu situé dans sa ville épiscopale; i les a rendus à létat séculier; i les à déclarés libres des obligations contractées par l'émission de leurs vœux; en réservant tous les droits des évêques qui avaient des biens, ou des Chanoines Réguliers domiciliés dans leurs diocèses, à raison des bénéfices ou offices dont ils étaient pourvus. Le décret a lui-même été confirmé par des lettres patentes du mois de septembre 1774, que le parlement de Grenoble a euregistrées le 13 janvier 1775.

Etait-il donc survenu quelque nouveau

motit pour anéantir l'ordre de Saint-Ruf et en séculariser tous les membres ? La bulle n'en marque aucun; elle est purement interprétative du bref de 1771, in interpretationem brevis, elle y renvoie, elle en confirme toutes les dispositions, auxquelles elle n'a pas dérogé; il n'y a pas de différence essentielle entre l'un et l'autre, qu'en ce que le bref unissait à l'ordre de Saint-Lazare les biens de celui de Saint-Ruf, et que la bulle en laisse la disposition à chaque évêque, pour l'utilité de son diocèse. Si donc la bulle prononce la sécularisation des Chanoines de Saint-Ruf, et la suppression de leur ordre, c'est moins par une disposition nouvelle. qu'en confirmant ce qui avait déjà été ordonné par le bref de 1771; c'est sur les mêmes motifs, c'est sur les seules instructions, qui avaient servi de fondement à ce premier rescrit.

Il est sensible, par conséquent, que les moyens si convaincants que M. l'archevêque de Toulouse a développés dans son rapport ne frappent pas moins sur la bulle de 1775 que sur le bref de 1771.

Rappelons les principes de ce prélat. Les congrégations, une fois établies, ont une consistance qui ne saurait changer sans les raisons les plus fortes. Il faut une utilite très-évidente pour l'Eglise si l'on veut les sacrifier à quelque établissement plus avantageux pour elle; il faut une nécessité réelle si l'on a pour objet direct de les supprimer. Le désordre et le scandale sont, sans doute, des motifs légitimes d'éteindre un ordre; mais c'est lorsque le scandale est porte à une telle extrémité qu'on ne peut espérer d'y porter remède, c'est après avoir teate tous les moyens d'y rétablir la discipline; et l'extinction ne doit jamais avoir l'apparence de la faveur envers ceux qu'on n'a pu soumettre à la réforme. C'est sur ce principe, suivant M. l'archevêque de Toulouse, qu'on doit juger du mérite de l'extinction de l'ordre de Saint-Ruf. On a supposé que le relâchement, et un relâchement tel, qu'il était impossible d'y remédier, rendait l'extinction nécessaire; c'est le motif du bref de 1771; c'est encore celui de la bulle de 1773, qui n'en énonce point d'autres. Mais le relâchement n'était pas tel qu'on l'a dépeint au souverain pontife; il ne réunissait pas tous les témoignages propres à en assurer l'existence. Les évêques dans les diocèses desquels l'ordre de Saint-Ruf avait des maisons, devaient être entendus comme les parties les plus intéressées; leurs témoignages nécessaires n'étaient pas même de simples dépositions de témoins, ils auraient été rendus avec une sorte d'autorité; or, ces évêques, loin de demander la suppression, s'y opposaient.

L'information faite par M. l'évêque de Meaux n'avait pu suppléer à leur témoignage, et cette information d'ailleurs était insuffisante et irrégulière; les témoins entendus n'étaient pas à portée d'être instruits de ce dont ils avaient à deposer, plusieurs étaient suspects de partialité; le nombre el

l'accord des témoins prouvaient que leurs réponses avaient été concertées. Le procèsverbal du commissaire déposait donc contre lui-même; il était suspect et sans force; et à cause des témoins entendus, et à cause de ceux qui ne l'avaient pas été : n'y aurait-il eu que le vice essentiel d'avoir été fait à Paris, et fort loin des lieux, c'en était assez pour le faire rejeter.

On a toujours distingué dans l'Eglise deux manières dont les religieux peuvent déchoir de leur institut: l'une qui mérite la suppression de l'état régulier en réparation des crimes dont les religieux se sont rendus coupables, et alors on dispose de leurs biens en faveur d'établissements ecclésiastiques, ou l'on substitue d'autres religieux, ou même des ecclésiastiques séculiers dans leurs monastères. L'autre manière est lorsque les religieux ne sont pas chargés de crimes, et qu'on ne leur impute que de l'indiscipline et du relâchement; ce n'est pas alors le cas de les détruire, mais de les réformer. L'histoire fournit quelques exemples de suppressions fondées sur les désordres notoires des religieux. C'est ainsi que les Templiers furent détruits par le pape Clément V, qu'en 1571 le pape Pie V abolit, en Italie, l'ordre des Frères Humiliés, et qu'en 1656, Alexandre VII supprima la congrégation des PorteCroix d'Italie. Ces exemples sont plus fréquents pour les monastères particuliers: sous le règne de Philippe ler, en 1107, les religieuses du prieuré de Saint-Eloi ayant été convaincues de mener une vie scandaleuse, leur monastère fut donné à des religieux de l'ordre de Saint-Benoît. Sur le même motif, les religieuses d'Argenteuil furent privées de leur monastère, et le pape Honoré II l'unit à l'abbaye de Saint-Denis, à la charge d'y envoyer des religieux pour le desservir. Dans le XIe siècle, les religieux de l'abbaye de Saint-Paul de Verdun furent chassés pour cause de dépravation de mœurs, et l'évêque ayant mis à leur place des Chanoines Réguliers de l'ordre de Prémontré, le pape Innocent IV confirma ce changement par une bulle de l'an 1243. Il serait inutile de citer des exemples de simples relâchements, dans la vie régulière, qui ont obligé de réformer les ordres religieux ou les monastères isolés: ces exemples sont trop multipliés et trop connus pour les rappeler. Il n'est presque aucune des grandes abbayes du royaume où il n'ait été nécessaire de rétablir plusieurs fois la régularité; et personne n'ignore les heureux succès des dernières réformes des différents ordres ou congrégations religieu

ses.

Avait-on donc des désordres à reprocher aux Chanoines Réguliers de Saint-Ruf? Leur inconduite exigeait-elle qu'on usât envers cux du dernier remède de ces réformations éclatantes qui transportent les biens de l'état régulier à l'état séculier, ou ceux d'un ordre religieux à un autre? Ils n'en ont point été accusés, et moins encore convaincus. Il n'y avait aucune plainte rendue contre eux dans les tribunaux ecclésiastiques ou séculiers.

Les greffes n'étaient pas remplis d'informations faites contre les particuliers ou les communautés. Ils n'avaient point subi de jugements flétrissants de la part des officiaux ou des juges royaux; les évêques n'avaient pas même dressé, dans leurs visites, des procès-verbaux où ils fussent inculpés de crimes et de scandales. Ils n'étaient pas, enfin, du nombre de ces religieux incorrigibles que des efforts répétés n'ont pu ramener à leurs devoirs. Il ne pouvait donc pas être question de leur infliger la peine ignominieuse de la suppression.

Ce n'est pas qu'on veuille faire l'apologie de religieux qui, oubliant leurs engagements, n'ont pas craint de se déshonorer pour se procurer la liberté de les rompre avec impunité, qui ont eux-mêmes déféré leur indiscipline au saint-père. Cet aveu est plus criminel peut-être et plus honteux que le relâ chement qu'il sert à constater. Mais pendant que les religieux de Saint Ruf étaient peints à Rome sous des couleurs si noires, ils tenaient en France un langage bien différent; ils publiaient, dans des mémoires et des consultations répandus avec profusion : « qu'ils disputaient de régularité de mœurs et de doctrine avec les Chanoines Réguliers des différentes congrégations réformées de l'ordre de Saint-Augustin; que le relâchement chez eux n'était pas causé par la corruption du cœur, qu'il était involontaire, et ne procédait que de l'impossibilité où les mettait l'état de leurs maisons d'observer la vie com mune et régulière... Que l'abbé de Saint-Ruf avait attesté au chapitre général assemblé que, dans le cours des visites qu'il venait de faire, sa plus grande consolation avait été de voir par lui-même la régularité et la bonne conduite des Chanoines de Saint-Ruf... Qui oserait, ajoutait-il, blâmer un ordre régulier de craindre la contagion du siècle, de redouter les suites d'une vie passée forcément hors du cloître el de recourir au remède du changement d'état quand toute autre ressource manque? »

Si ce motif eût été regardé comme légitime et suffisant, on n'aurait eu garde de l'émeltre dans les suppliques présentées au pape, pour y substituer une cause déshonorante qu'on désavouait hautement dans le royaume. Mais on savait que ce motif n'aurait point été admis à Rome. On n'aurait pas oublié du moins de le faire insérer dans la bulle de 1773, surtout après les justes reproches qu'avaient éprouvés les Chanoines de Saint-Ruf sur la cause flétrissante annoncée dans le bref de 1771.

Mais le motif dont ces Chanoines cherchaient à couvrir leur réputation en France n'était ni canonique, ni réel. Des secours pécuniaires, des arrangements économiques, le sacrifice de quelques maisons, s'il eût élé nécessaire, auraient donc pu rendre plus réguliers ces religieux, que le pape a déclarés, d'après eux-mêmes, être devenus un objet de scandale. C'est la remarque de M. l'archevêque de Toulouse.

Les événements postérieurs ont prouvé que

le motif n'était pas plus sincère que légitime. M. l'évêque de Valence, qui n'a pu ignorer les facultés de l'ordre, et ce que ses revenus pouvaient fournir aux Chanoines de Saint-Ruf, a assigné à chacun d'eux, par son décret du 22 août 1774, une pension de 1500 livres, el ces pensions sont régulièrement payées par l'économe séquestre, chargé de la règle d'administration des biens de l'ordre de Saint-Ruf; cependant, quand on supposerait qu'il fût possible, sans enfreindre les règles de l'Eglise, d'éteindre et de supprimer la congrégation de Saint-Ruf, pourquoi fallait-il en séculariser les religieux ? Quelles raisons peuvent justifier leur restitution au siècle?

Ce n'est pas une simple dispense des observances du cloître que leur accordent la bulle de 1773 et le décret de M. l'évêque de Valence. Tous les engagements qu'ils avaient contractés aux pieds des autels, sont rompus, tous leurs liens sont dissous, ils sont déclarés libres de toutes les obligations régulières, ils sont rendus entièrement et pour toujours à l'état séculier. Etait-ce là le moyen de calmer les alarmes que leur causait la contagion du siècle? Autrefois les conciles ordonnaient de renfermer dans les monastères les ccclé siastiques qui déshonoraient leur état; auraient-ils prévu qu'il viendrait un temps, où les mauvais religieux seraient soustrails au cloître, pour les placer dans le clergé séculier?

Nous pourrions observer que, dans la doctrine de saint Thomas, le vœu solennel étant une espèce de consécration, il n'est pas au pouvoir des prélats d'empêcher l'effet de celte consécration, de même qu'un prêtre ne peut pas cesser de l'être, que le pape luimêne ne peut pas faire qu'un religieux ne le soit plus, et qu'aucun événement ne saurait servir de prétexte pour rendre au siècle le religieux qui a renoncé au monde. Nous pourrions ajouter que d'habiles théologiens, tel qu'Estius, sont, sur ce point, les fidèles disciples de saint Thomas, et que ceux mêmes qui pensent qu'en certains cas les religieux peuvent être absous de l'exécution de leurs vœux, enseignent en même temps qu'il ne faut rien moins qu'une cause publique, l'intérêt général de l'Eglise ou de l'Etat pour autoriser ces dispenses extraordinaires; que par conséquent l'avantage particulier du religieux, et, à plus forte raison, le dégoût ou l'ennui de son état n'en sauraient être des motifs valables.

Mais bornons-nous à dire avec M. l'archevêque de Toulouse qu'en s'abstenant de toute réflexion sur ces priviléges en euxmêmes, on ne saurait voir qu'avec la plus grande peine que toutes les dispenses de l'Eglise soient accordées à des religieux infidèles à leurs engagements, que non-seulement les Chanoines de Saint-Ruf soient rendus à l'état séculier, mais qu'ils en puissent posséder tous les avantages; qu'il est impossible de se dissimuler les conséquences qui en résultent pour le maintien de la discipline régulière; que, dès que les grâces de l'Eglise

seront ouvertes à l'indiscipline et au relâchement, la facilité d'enfreindre toutes les règles sera la récompense même de l'infraction; que, dès que le relâchement, en montant à son comble, pourra se promettre non-seulement l'impunité, mais des faveurs, on ne doit plus attendre que la régularité se soutienne, ou se rétablisse dans les cloîtres; que donner aux religieux l'espoir de pensions abondantes, de décorations extérieures, d'une situation honnête et recherchée dans le monde, c'était porter dans les cloîtres le découragement, introduire le trouble et l'ambition dans ces asiles de la paix et de la simplicité, et que la cupidité ainsi excitée fera naître un tel désordre, que peut-être il ne sera plus possible de l'arrêter.

Ces vérités n'ont rien perdu de leur force depuis 1772. Elles étaient décisives contre le bref de 1771, elles ne le sont pas moins contre la bulle de 1773. Pourquoi donc les prélats de la commission royale n'ont-ils pas crain! de se prêter à la suppression de l'ordre de Saint-Ruf, d'y concourir, d'y présider même ? Comment M. l'archevêque de Toulouse a-t-il oublié si promptement le jugement qu'il en avait porté, la dénonciation qu'il en avait faite, les preuves dont il s'était servi pour en démontrer l'irrégularité. L'assemblée du clergé de 1772 n'a ni prévu di autorisé cette conduite étrange. Elle n'aurait pu le faire sans se rendre suspecte d'être plus affectée de la perte des biens de l'ordre de Saint-Ruf, par leur union à celui de SaintLazare, que du violement des règles de l'Eglise dans l'extinction et la sécularisation de cette congrégation. M. l'archevêque de Toulouse l'a lui-même vengé de ce soupçon injuste. Il ne faut pas qu'on puisse dire que lo clergé de France n'a suivi que l'impression de son intérêt. Si les biens de l'Eglise sont menacés, par le projet d'union à l'ordre de SaintLazare, ce qui excite encore plus son zèle, loutes les règles ecclésiastiques sont évidemment enfreintes.

J'ai suivi ce récit judicieux et étendu du savant canoniste, sans partager sa manière de voir sur la révision d'un bref et d'une bulle par le clergé français. Il est vrai qu'on ne peut oublier que l'union malheureuse dont il est mention dans ces additions était faite par un pape tel que Clément XIV! mais le respect dû aux décisions du saint-siége ne permettait tout au plus au clergé français que de s'adresser au pape lui-même. Quoi qu'il en soit, l'ordre de Saint-Ruf finit ainsi, et donna le premier l'exemple du scandale. Dans le récit qui précède, on voit ce que nous aurons judicieusement et sévèrement à dire dans notre Supplément sur l'archevêque Brienne et la commission des Réguliers; car nous avons le projet de donner sur ce sujet un travail qui le fasse mieux connaître qu'il ne l'est aujourd'hui.

Nouvelles ecclésiastiques. Mémoire sur l'état religieux et sur la commission. B. D. B. RUPERT (ORDRE DE SAINT-). Voy. DRAGON RENVERSÉ.

SABINE (DOMINICAINS DE LA CONGREGATION DE SAINTE-).

Voy. LOMBARDie.

SAC.

Voy. l'article suivant.

SACHETS.

Des religieux et religieuses de l'ordre de la Pénitence de Jésus-Christ, appelés aussi du Sac ou Sachets.

Plusieurs écrivains ont parlé des religieux Sachets, ou de la Pénitence de Jésus-Christ, mais ils n'ont rien dit de leur origine. Le nom de Sachets leur a été donné à cause qu'ils étaient vêtus de robes faites en forme de sacs; c'est pourquoi les uns les ont appelés Fratres de Sacco, d'autres Fratres Saccorum; Matthieu Paris les nomme Fratres Saccati; saint Antonin, Fratres Saccita; Ciaconius, Saga de Pænitentia Christi, et le P. Marquez, dans ses Origines des Frères Ermites de l'ordre de Saint-Augustin, se récrie fort contre Samson de la Haye, qui, dans le livre qu'il a composé de la Vérité, de la vie, et de l'ordre de Saint-Guillaume, appelle ces religieux Sachets, Fratres Saccarii, comme s'il leur avait fait une grande injure, ce nom, dit-il, n'appartenant qu'aux croche teurs. C'est néanmoins le nom que leur donne le P. du Breuil, dans ses Antiquités de Paris; et je crois que ces auteurs ont pu leur donner ce nom à cause des sacs dont ils étaient vêtus, puisque par le mot de saccarius on doit entendre un porteur de sacs, de même que celui de sarcaria signifie une marchandise de sacs. M. Huet, évêque d'Avranches, dans ses Antiquités de la ville de Caen, dit aussi que leur habit était en forme de sac, d'où ils ont tiré leur nom que d'autres font venir de l'étoffe de leur scapulaire pareille à celle dont on fait les sacs; mais leur véri– table nom était celui de la Pénitence de Jésus-Christ.

S

Quelques-uns ont avancé que les JeanBonites et les Brittiniens, dont nous avons parlé précédemment, avaient été unis avec les Sachets. Mais Marquez prétend que l'origine des Sachets n'est pas aussi ancienne que celle des Jean-Bonites, et cela sans aucune certitude; il dit qu'elle peut venir de ce qu'un homme de Mantoue ayant eu différend avec sa femme, la quitta, et alla trouver saint Jean Bon, à qui il demanda avec tant d'instance l'habit de son ordre, que ce saint, le croyant libre, lui accorda sa demande; mais qu'ayant su par révélation qu'il était marié, il le renvoya, et qu'il alla même à Mantoue pour le réconcilier avec sa femme; que quelque temps après ils vinrent tous les deux trouver ce saint, qu'ils se jetèrent à ses pieds, et le prièrent de les recevoir comme servants ou oblats dans son ordre; qu'il les admit dans l'ordre de la Pénitence, qui était divisé en deux congrégations, l'une d'hommes et l'au tre de femmes, qui vivaient avec beaucoup de recueillement, sans aucune obligation de

væu, et se retiraient dans certains oratoires pour y vaquer à la prière et à l'oraison. Il se peut faire, dit-il, qu'après la mort du bienheureux Jean Bon, le nombre de ces Pénitents s'étant augmenté, ils demandèrent au saint-siége la confirmation de leur institut, une règle et une manière de vivre; qu'ils reçurent dans la suite du pape Léon X une rè gle, et qu'il leur donna apparemment celle de saint Augustin, parce qu'ils avaient été établis par saint Jean Bon; qu'ils prirent le nom de la Pénitence, qui était celui sous lcquel ils avaient été institués, et qu'ils firent ensuite bâtir des monastères. C'est de celte manière que Marquez, sans aucune preuve et sans aucun fondement, croit que l'ordre des Sachets a pris son établissement.

Ce que l'on peut dire de certain touchant cet ordre, c'est qu'il était établi longtemps avant l'union générale des Ermites de l'ordre de Saint-Augustin, dont nous avons parlé ailleurs, car Jérôme de Zurita, dans ses Annales du royaume d'Aragon, dit que les Sachets avaient un monastère à Saragosse du temps du pape Innocent III, qui mourut au mois de juillet 1216, et Doutreman, dans son Histoire de Valenciennes, dit qu'ils y avaient déjà une maison longtemps avant l'an 1251; qu'ils avaient la direction des Béguines de cette ville, et que pour cette raison on les appelait aussi les Frères Béguins.

Marquez prétend qu'ils n'entrèrent point dans cette union générale des Ermites de l'ordre de Saint-Augustin; mais il est certain qu'ils envoyèrent de leurs religieux à l'assemblée que le pape fit convoquer à ce sujet, et qu'il y eut quelques-unes de leurs maisons qui entrèrent dans l'union. La plus grande partie néanmoins resta toujours aux Sachets, qui, après cette union, obtinrent une bulle du pape Alexandre IV qui défendait aux religieux de cet ordre de passer dans un autre plus relâché. Ils firent même depuis de nouveaux établissements; car l'an 1261 saint Louis, à la recommandation de la reine Blanche, sa mère, en fit venir d'Italie, les établit à Paris, à Poitiers, à Caen et en plusieurs autres villes de son royaume. En 1257, ils entrèrent en Angleterre sous le règne d'Henri III, et firent un établissement à Londres. L'an 1263, D. Jacques II, roi d'Aragon, confirma leur établissement à Saragosse, et leur donna encore un jardin. I's avaient d'autres maisons en Allemagne et en Flandre; mais ils en perdirent la plus grande partie après la publication du décret du concile de Lyon, tenu l'an 1274, sous le pape Grégoire X, qui supprimait plusieurs ordres religieux, principalement ceux qui n'avaient point de rentes et qui ne vivaient que des aumônes des fidèles, excepté les quatre ordres appelés Mendiants, savoir les Dominicains, les Mineurs, les Augustins et les Carmes, et on prétendit que les Sachets avaient été compris dans le nombre des ordres sup primés.

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