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la Valette, qui n'accepta que malgré lui. Ce Père, né d'une famille noble et ancienne, à Toulon, en 1678, était à peine entré dans la congrégation de l'Oratoire (1695), qu'il se retira à la Trappe, où l'appelait le désir d'une plus grande perfection, el y passa onze mois; mais le P. de la Tour le réclama. En 1710, il devint directeur de l'Institution de Paris, et le fut pendant vingt ans. Ensuite il fut supérieur de la maison-mère, puis assistant du général. Il eut aussi ses peines dans les moyens qu'il lui fallut prendre pour amener ses confrères opposants à la soumission à la bulle, et ce fut sous son administration que se tint la fameuse assemblée de 1746, dont j'ai parlé ci-dessus. Il mourut le 22 décembre 1772, à l'âge de quatre-vingtquinze ans.

A l'assemblée générale, convoquée en 1773, pour lui donner un successeur, les députés se trouvèrent divisés en deux partis, dont le plus nombreux aurait voulu le P. Danglade, assistant et ancien supérieur du collège de Lyon. Mais ses opinions furent, à ce que je crois, un obstacle devant la cour et l'autorité ecclésiastique. M. de Dillon, archevêque de Narbonne, et M. de Conzié, évêque d'Arras, commissaires du roi (1), se trouvant en harmonie avec le plus grand nombre des membres de l'assemblée, on choisit le P. de Muly, qui, après avoir gouverné aussi l'Institution, était depuis près de quarante ans curé de Montmorency. avait alors quatre-vingts ans, car il était né à Meaux en 1693, dans l'une des familles les plus distinguées de la ville. A la première proposition du généralat, il se déroba aux empressements des députés, et se cacha à l'extrémité de sa paroisse. On le trouva après bien des recherches et on le décida enfin à accepter et à venir à Paris. Il gouverna pendant six ans et mourut le 9 juillet 1779.

Après la mort du P. de Muly, la congrégation fut encore plus embarrassée pour lui donner un successeur qu'elle ne l'avait été pour en donner un au P. de la Valette. Presque tous les vœux portaient toujours à cette place le P. Danglade, qui résidait alors à Tournon. Le P. de Muly l'avait désigné pour député du roi à l'assemblée ordinaire qui devait se tenir en 1779. La cour, instruite de l'intention du défunt général, crut devoir s'y conformer, et la lettre de cachet par laquelle le roi nommait le P. Danglade son député, fut adressée aux assistants. Mais les raisons qui avaient prévalu contre lui après la mort du P. la Valette eurent encore leur force, et Ja lettre de cachet fut révoquée par le crédit de M. de Marbeuf, évêque d'Autun, ministre de la feuille des bénéfices. On parvint même à empêcher que le P. Danglade fût député de la maison de Saint-Honoré. On lui opposait le P. Daverdier; ce concurrent avait toutes les qualités sociales, mais manquait, dit-on, de celles qu'exigeait une place dans laquelle on n'avait vu jusque-là que des

hommes graves, édifiants, capables de gouverner un corps ecclésiastique, autant par l'exemple de leurs vertus que par la sagesse de leur conduite. Ce prétendant s'était néanmoins attiré la confiance de plusieurs prélats, qui peut-être ne cherchaient qu'à mettre à la tête de la congrégation un homme de saine doctrine dans ces temps difficiles, mais M. Dillon, commissaire du roi, quoique li d'engagement avec ces prélats, s'aperçut bientôt qu'il ne réussirait point à le faire élire par l'assemblée. Au reste, les opposants convenaient que le P. Duverdier était un homme de beaucoup d'esprit et de talent, de mœurs douces et d'un caractère liant; mais ils craignaient avec une apparence de raison, que les jeunes gens ne prissent trop d'ascendant sur lui. C'est la principale raison qui lui fit donner l'exclusion par les anciens; ses protecteurs, pour le dédommager, lui firent obtenir l'évêché de Mariana, en Corse. On élut le P. Moisset pour général.

Ces quelques détails à l'occasion de l'élection feront voir au lecteur comment se tenaient alors ces assemblées et de quel degré de liberté jouissaient les électeurs, qui (sans considérer ici l'esprit de parti qui les animain'avaient point besoin de commissaires, ni de député du roi pour faire leur devoir.

Le P. Sauvé Moisset, d'une famille noble et distinguée de Bayonne, avait été au si supérieur de l'Institution de Paris, assistant du général, et était, lors de son élection, supérieur de la maison de Saint Honoré et président de l'assemblée. Il vit éclater l'orage de la révolution, que l'esprit dominant dans sa corporation avait contribué à amener; il gouverna néanmoins paisiblement jusqu'à sa mort, arrivée en 1790, époque à laquelle il ne fut plus possible de lui donner un suc

cesseur.

La mort du P. Moisset concourut avec le bouleversement opéré dans l'Eglise de France par les décrets de l'Assemblée constituante. L'application de ces décrits fut provisoirement suspendue à l'égard des corps enseignants. Dans cet état de choses, le régime de l'Oratoire eut une tâche pénible à remplir. I voyait avec douleur les manœuvres employées par une influence étrangère pour soustraire à la subordination ceux des membres de la congrégation qui pouvaient se laisser séduire sous l'espoir d'une prétendue liberté, ou qui pouvaient céder à l'illusion d'une amélioration chimérique dans le clergé. Il s'appliqua, et fit bien, à suivre les mouvements du corps épiscopal, qui devait lui servir de boussole. Il réussit par là à conserver, dans la plus saine partie de la congrégation, l'attachement aux principes vraiment hiérarchiques. Malheureusement un nombre considérable de ses membres donna dans les nouveautés et dans le schisme; l'esprit qui dominait dans ce corps prédisposait à ces écarts.

Le sacre des premiers évêques constitutionnels eut lieu dans l'église de la maison

(4) H paraît qu'il ne faut pas, dans ces assemblées, conton Ire le député du roi avec 1's commissaires &1101.

de Saint-Honoré. La communauté ne fut pour rien à cet acte sacrilége. Elle n'en eut connaissance que la veille du jour où il devait avoir lieu; on ne l'avait point consultée. Sa première pensée fut d'opposer une protestation publique à cet acte qui allait donner naissance à un schisme déplorable le modèle en fut même dressé par un habile avocat, ancien membre de la congrégation. On craignit que cette mesure n'attirat une persécution sur les signataires et ne fit fermer la seule église de Paris qui fût encore ouverte à la piété des fidèles unis de communion avec leurs légitimes pasteurs. On renonça à cette idée, et on députa aux grands vicaires administrateurs, pour leur exprimer la triste situation où se trouvait la communauté, la douleur qu'elle éprouvait de voir son église servir à cette profanation, et les prier de donner au prélat absent avis de la conduite tenue par l'Oratoire en cette occasion, ce qui eut lieu et plut beaucoup à l'autorité. Le lendemain la maison fut investic par les troupes du général Lafayette, et les Pères de la maison, craignant qu'on usât de violencé à leur égard pour les forcer d'assister à la scène scandaleuse, se retirèrent à la maison de l'Institution, d'où ils ne revinrent que le soir. J'ai mis une sorte de complaisance à rapporter ce fait qui diminuera certaines préventions contre l'Oratoire. J'ajonte encore plus volontiers que, l'Assemblée législative ayant rendu le décret par lequel elle frappait de mort le corps enseignant, le régime de l'Oratoire crut devoir transmettre au souverain pontife un exposé de sa conduite depuis le commencement de la révolution et marquer à Sa Sainteté son entière adhésion à tous les actes émanés de l'autorité du clergé de France, destiné à maintenir l'anion intime qui a toujours existé entre l'Eglise gallicane et le saint-siége. La lettre du régime, adressée à Pie VI, et rédigée en lalin, est datée du 10 mai 1792, et contient les sentiments de la plus nombreuse et de la plus saine partie de la congrégation sur les fâcheux événements qui affligeaient alors l'Eglise de France. A la signature des Pères assistants étaient jointes celles des Pères de Saint-Honoré; de la maison de l'Institution; des membres les plus respectables de la maison de Saint-Magloire, de Juilly et d'un grand nombre d'autres qui, après avoir été obligés à quitter leurs postes, s'étaient réfugiés dans la maison-mère. Ces signatures, au nombre de soixante, se seraient considėrablement multipliées, si l'urgence des circonstances eût permis d'attendre l'assentiment de ceux des provinces.

Cette lettre fut adressée par le P. Veuillet, procureur général, qui chargea le cardinal de Bernis, ambassadeur de France à Rome, de la remettre à Pie VI, qui en fat fort satisfait, et se proposait d'y répondre. On écrivit aussi à Mgr de Juigné, pour lui envoyer copie de la lettre au pape, et l'archevêque de Paris, enchanté de cette démarche, répondit par une lettre obligeante.

Ces actes honorables furent comme le der

nier souffle de vie, ou le testament de la congrégation de l'Oratoire, dont l'esprit n'était point celui qui convient à un ordre religieux, à une congrégation même séculière. Čet esprit singulier en fit comme un corps à part, et maintint un grand nombre de ses membres dans la révolte contre les décisions de l'Eglise; il prédisposa ceux qui, en grand nombre, donnèrent dans les erreurs et même les excès de la révolution. Un très-grand nombre de prêtres de cette corporation s'avilit jusqu'à contracter mariage. Sous plusieurs rapports, cette société eut de singulières célébrités, et il suffit de nommer Fouché de Nantes, Daunou, etc. Le P. Tabaraud, prêtre érudit et laborieux, mort il y a peu d'années, connu par ses opinions singulières sur le contrat de mariage et son jansénisme, était aussi oratorien, et il a publié la Vie du cardinal de Bérulle, avec un certain nombre d'autres ouvrages portant toujours le cachet de ses opinions. Nonobstant ses préjugés, il avait été opposé à l'Eglise constitutionnelle.

On a souvent répété cette phrase de Bossuet, qui fait l'éloge de l'Oratoire en le qualifiant de corps où tout le monde obéit et personne ne commande. Si cette parole n'était pas de Bossuet, on aurait le bon sens de n'y voir qu'une antithèse insignifiante, appuyée sur un mensonge; car, en ce qui concerne spécialement l'affaire du jansénisme, les supérieurs de l'Orato re avaient beau commander, généralement parlant, personne n'obéissait.-Aujourd'hui, l'église de la maison-mère, rue Saint-Honoré, sert de temple aux calvinistes; la maison de Saint-Maglo re est occupée par les sourds-muets, près de l'église SaintJacques du Haut-Pas, et la maison de l'Institution est aujourd'hui l'hospice des EnfantsTrouvés, près l'Observatoire.

On avait dressé une carte oratorienne, qui donnait le nombre et la position topographique des maisons de l'Oratoire de France.

Lesupérieur de l'Oratoire flamand subit l'arrêt de la déportation avec les prêtres catholiques français; cette fraction de la congrégation n'existe plus en Flandre. On a essayé de rétablir l'Oratoire à Juilly; je donnerai dans le volume de Supplément l'histoire de cette congrégation éphémère, trop mal basée pour avoir un succès durable.

Journaux, passim. Nouvelles ecclésiastiques. Notes prises sur les manuscrits de l'Oratoire, déposés aux archives de France. Histoire de Pierre de Bérulle, par Tabaraud, elc. B-D-E.

ORATORIENS.

Voy. ORATOIRE DE JESUS, ci-dessus.

ORVAL (RÉFORME DE L'ABBAYE D`).

Des religieux Bernardins Réformés d'Orval, avec la vie de Dom Bernard de Montgaillard, leur Réformateur.

Le dernier siècle a produit dans l'ordre de Citeaux trois célèbres réformes qui, par leur austérité et leur exacte observance, ont cu plus d'admirateurs que d'imitateurs; ce sont les réformes d'Orval, de la Trappe et

de Sept-Fonts. La première est due au zèle de Dom Bernard de Montgaillard, qui a été si connu en France au temps de la Ligue, sous le nom du Petit-Feuillant. Il naquit en 1562, de Bernard de Percin, seigneur de Montgaillard, descendu de l'une des plus illustres et des plus anciennes maisons d'Angleterre, où elle a possédé longtemps les premières charges; et sa mère se nommait Antoinette de Vellay. Dès l'âge de douze ans il eut achevé son cours d'humanités et de mathématiques; et à seize ans, après avoir étudié la théologie, il entra dans la congrégations des Feuillants, que Dom Jean de la Barrière venait d'instituer. A peine l'année de son noviciat fut-elle finie, qu'on le vit prêcher dans les villes de Toulouse, de Rhodez et de Rouen, et ce fut avec tant d'onction et de succès, que les pécheurs se convertissaient en foule à ses prédications, ce qui le faisait regarder comme un prodige. Le roi Henri III et la reine Catherine de Médicis sa mère le firent venir à Paris, et l'ayant entendu prêcher aux Augustins, dans l'assemblée solennelle des chevaliers du SaintEsprit, Leurs Majestés voulurent qu'il préchat devant elles le carême suivant à SaintGermain-l'Auxerrois. Les sermons qu'il fit dans la suite à Saint-Séverin sur le Symbole des apôtres opérèrent un nombre infini de conversions, et le firent passer pour le plus habile prédicateur de son siècle. Ces travaux apostoliques joints à la pauvreté et à l'austérité de sa vie, engagèrent le pape Grégoire XIII à lui accorder une dispense pour prendre l'ordre de prêtrise à l'âge de dix-neuf ans. La réforme de son ordre, quoi que très-rigoureuse, lui paraissait encore trop douce. Il n'avait pour lit que deux ais, pour chemise qu'un cilice; il ne mangeait ni víande, ni poisson, ni œufs, ni beurre; ses mels ordinaires étaient des légumes, et il ne prenait qu'un peu de nourriture après le soleil couché. Heureux si, dans une vie aussi sainte et aussi pénitente, il avait su se borner au service de son Dieu et au salut du prochain, rendre à César ce qui appartient à César, respecter son roi, et comme sujet lui être fidèle et soumis, quand bien même il aurait troublé la paix et le repos de ses sujets ! Mais il eut le malheur de se laisser entraîner par le parti de la Ligue avec la plus grande partie des catholiques, et il poussa avec trop d'ardeur son zèle, aussi téméraire et iudiscret dans son exécution qu'il pouvait être juste et pur dans son motif, selon l'idée qu'il s'était formée des affaires du temps.

Sur la fin des troubles, pendant lesquels il fut attaqué d'une maladie dont il ne guérit que par miracle, il fit un voyage à Rome, où il fut très-bien reçu de Clément VIII. Ce pape le fit passer de l'ordre des Feuillants dans celui de Citeaux, et lui ordonna de se retirer en Flandre. Il alla à Anvers, où il ne ce fit pas moins admirer par ses prédications qu'il l'avait fait en France. Après avoir séjourné dans cette ville pendant six ans, il fut appelé à la cour de l'archiduc Albert, en qualité de prédicateur ordinaire. On accou

rait de toutes parts pour l'entendre, et le docteur Stepleton venait souvent de Louvain à Bruxelles dans ce te seule vue. Dom Bernard ayant suivi l'archiduc en Allemagne, en Italie et en Espagne, fut pourvu à son retour de l'abbaye de Nivelle, et en 1605 de celle d'Orval. Son désintéressement était connu : il avait refusé en France les évêchés de Paniers et d'Angers, et l'abbaye de Morimond. Aussi n'accepta-t-il celles-ci, dont le temporel et le spirituel étaient également ruinés, que pour s'appliquer à les rétablir, et y introduire une réforme austère qui approche de celles que nous avons vu introduire de nos jours à la Trappe et à Sept-Fonts. Il eut plusieurs difficultés à surmonter pour réussir dans un si bon dessein. La calomnie lui livra plusieurs assauts: tantôt elle attaquait sa charité, tantôt sa chasteté. On voulut le rendre coupable de la mort d'un de ses religieux qui était tombé dans une forge, et on alla même jusqu'à l'accuser d'avoir conspiré contre l'archiduc son bienfaiteur; mais ces impostures, qui se détruisirent d'elles-mêmes, ne servirent qu'à mettre son intégrité dans un plus grand jour. La plus sensible pour lui fut celle qui le chargea d'être entré dans un attentat contre la personne d'Henri IV. Les hérétiques, dont il était le fléau le plus redoutable, firent naître et fomentèrent ces bruits injurieux. Cayet, qui avait été un de leurs ministres, et qui, malgré son abjuration, n'a jamais passé pour bon catholique, osa même insérer un récit de ce complot prétendu dans sa Chronologie novennaire; et c'est sur ce faible fondement que des auteurs modernes en ont parlé; mais pour faire voir la fausseté de cette accusation, il ne faut que leur opposer la joie que marqua Dom Bernard de Montgaillard à la conversion d'Henri IV; l'affront qu'il essuya pour l'avoir publiée le premier; le témoignage avantageux que M. de la Boderie, ambassadeur de France à Bruxelles, rendit à Sa Majesté du zèle de Dom Bernard pour sa personne, et la résolution que le roi avait prise de le rappeler en France, où il serait effectivement retourné, si sa reconnaissance pour les bontés de l'archiduc ne l'en eût empêché, outre qu'on ne peut disconvenir qu'il faut avoir des preuves en main, et non des fables produites par des gens suspects, pour noircir d'un crime si odieux une vertu aussi reconnue et aussi épurée que celle de cet abbé. C'est ainsi que l'un des continuateurs de Moréri a fait l'éloge et l'apologie de Dom Bernard de Montgaillard, que nous avons fidèlement suivi. Ce saint abbé, épuisé par ses austérités et accablé de longues maladies, mourut à Orval à l'âge de soixante-cinq ans, le 8 juin 1628, ayant eu la consolation d'y voir refleurir la discipline monas ique au milieu d'une communauté de cinquante religieux. Mais avant de parler des observances régulières qui sont encore en pratique dans cette abbaye, et qui y attirent l'admiration de toutes les personnes qui y vont, nous raporterons son origine.

L'abbaye d'Orval, en Latin Aurea Vallis,

située dans le comté de Chini, au milieu des bois, à deux lieues de Montmédy et à six de Sedan, fut fondée l'an 1070 par des moines Bénédictins calabrois, qui sortirent de leur pays avec la permission de leur abbé, pour venir prêcher la foi de Jésus-Christ en Allemagne, du temps de l'empereur Henri IV. Comme ils allaient de province en province, étant arrivés au duché de Luxembourg, ils trouvèrent à son entrée un vallon si agréable, et qui inspirait tellement le goût de la solitude qu'ils résolurent d'y bâtir un petit monastère, pour y vivre éloignés de la conversation des hommes. Ayant appris que ce lieu appartenait au comte de Chini, ils l'allèrent trouver pour le lui demander, ce qu'il leur accorda fort volontiers. Ils bâtirent d'abord une église en l'honneur de la Reine des Enges, et ensuite un monastère qu'ils nommèrent Or-val, à cause de la beauté de la vallée où il était situé. Ils y vécurent dans une observance si exacte et une si grande pauvreté, n'ayant ordinairement pour toute nourriture que des herbes et des légumes qu'ils avaient plantés ou semés, qu'ils devinrent l'admiration de tout le pays, dont les habitants leur firent de grandes aumônes et charités.

Godefroi le Bossu, duc de la basse Lorraine, ayant été tué dans un combat, sa femme Maltide n'eut pas plutôt essuyé les larmes qu'elle avait versées pour la perte de ce prince, qu'elle aimait tendrement, que son afiliction se renouvela par la perte qu'elle fit encore de son fils unique, qui se noya dans la rivière de Semoi. Arnoul, comte de Chini, étant venu pour la consoler, lui parla avec tant d'estime des religieux nouvellement établis à Orval, que celle princesse prit la résolu tion de les aller voir. Après une conférence qu'elle eut avec eux sur leur manière de vivre, elle se retira auprès d'une fontaine qui était proche le monastère pour se reposer. L'eau en était si claire et si fra che qu'elle y lava ses mains, et laissa tomber dedans, sans y penser, une bague d'or qu'elle avait au doigt, laquelle se perdit au fond. Elle en fut extrêmement affligée, non pour la perte de l'anneau d'or, ni pour les pierre ries dont il était garui, mais à cause que son mari le lui avait laissé comme un gage de son amitié, afin qu'elle se ressouvint de lui. Ayant fait inutilement toutes les diligences possibles pour le retrouver, elle fit vœu à la sainte Vierge, en l'honneur de laquelle l'église de ces religieux avait été dédiée, et lui promil que si, par son moyen, son anneau se pouvait retrouver, elle ferait de nouveau consacrer ce lieu en son honneur, en y faisant bâtir un temple plus dine de la majesté de Dieu, et un monastère pour la commodité de ses serviteurs. A peine cette princesse eut elle prononcé son vœu, que l'anneau parut au-dessus de l'eau ; elle le prit et, le recevant comme la récompense de sa promesse, elle alla sur-le-champ donner part aux religieux de ce miracle, en mémoire duquel celle abbaye a toujours porté dans ses armes un anneau d'or en champ d'azur.

Maltide, pour s'acquitter de son vœu, donna une somme considérable pour construire une magnifique église, et assigna au monastère de gros revenus; mais les bâtiments de l'église et de ce monastère n'étaient pas encore achevés, lorsque ces religieux calabrois reçurent ordre de leur abbé de retourner dans leur pays après une si longue absence. Ils obéirent aussitôt, aimant mieux quitter leurs commodités que de perdre le mérite de l'obéissance.

Tout le pays fut affligé de la retraite de ccs serviteurs de Dieu, et surtout Arnoul, comte de Chini, et son fils Othon. Celui-ci, après la mort de son père, qui arriva presque dans le même temps, ne voulant pas laisser un lieu si saint et si vénérable en proie à la profanation des laïques, alla trouver l'archevêque de Trèves, pour le prier de prendre ce monastère sous sa protection, et d'y envoyer des personnes qu'il jugerait à propos pour y célébrer les divins offices. L'archevêque incorpora le monastère à son église, et y envoya des chanoines, qui mirent la dernière main aux édifices. Henri, évêque de Verdun, consacra l'église, et mit les chanoines en possession de ce monastère, qui n'avait alors que le titre de prieuré. Ils menèrent d'abord une vie très-sainte; mais autant ils édifièrent dans le commencement, autant ils causèrent de scandale dans la suite par leur vie déréglée, ce qui les fit chasser de ce monastère, pour faire place aux moines de Citeaux. Adalbéron, de la maison des comtes de Chini, qui était monté sur le siége épiscopal de Verdun après la mort de l'évêque Henri, demanda des religieux à saint Bernard, qui lui en envoya sept, qui furent tirés de l'abbaye de Trois-Fontaines, au diocèse de Langres, et qui prirent possession d'Orval en 1131. Constantin en fut premier abbé, et il y en avait eu déjà trente-huit lorsque Dom Bernard de Montgaillard leur succéda en 1605. Les religieux de cette abbaye étaient bien déchus de l'observance régulière et de la vie tout angélique que ceux qui les avaient précédés avaient menée sous les premiers abbés. C'est pourquoi il en coûla beaucoup de peines et de fatigues à Dom Bernard, qui eut bien des obstacles à surmonter pour y pouvoir rétablir la discipline monastique et les observances qui y sont encore aujourd'hui en pratique.

M. de Ville-Forre, dans sa petite Histoire des Pères d'Occident, nous a donné un détail de ces observances, qu'il a tiré de la Relation qui lui a été communiquée par un chanoine de l'Eglise de Paris, qui visita ce lieu dans le cours d'un de ses voyages. Comme la même Relation nous a été aussi communiquée, nous la rapporterons aussi fidèlement : nous ajouterons seulement que ce savant chanoine est feu M. l'abbé Châtelain, et que ce fut en 1682 qu'il al'a à Orval, où il arriva le 11 juin.

« Nous arrivâmes, dit-il, bien tard à Orwal, qui est hors de France, dans le Luxembourg et le diocèse de Trèves. C'est une abbaye de l'ordre de Citeaux, de la filiation de Clairvaux,

DICTIONNAIRE DES située dans la forêt d'Ardennes, qui est l'anrienne Hercinia. On y vit comme à la Trappe, hors qu'on y mange ou plutôt qu'on y présente du poisson quand on pêche; mais aussi on y suit la règle de saint Benoît plus à la lettre, et l'on n'y mange en carême que le soir, sans dire vêpres le matin. Saint Bernard y a demeuré, et leur fit présent du corps de saint Menne, martyr et moine d'Egypte, qu'il avait eu de quelque chevalier, qui le lui avait apporté de Constantinople au retour d'une croisade. L'abbé de ce lieu est un gentilhomme allemand, d'une sainteté solide, mais très-agréable.

« Le vendredi 12 juin, je suivis les religieux dans la plupart des cérémonies. Je n'allai pas à matines, qu'ils commencent à deux heures, et qu'ils accompagnent d'une demi-heure de méditation. Après qu'elles sont finies, ils ne se recouchent pas, mais vont au lieu nommé Lectrois, qui est une salle longue à deux rangs de bancs, dont la partie antérieure est en pupitre et en table, et la postérieure en siége. Il y a une allée large au milieu, et deux étroites près des murs. Les jeunes ont un autre Lectrois séparé. Ils ont sur chacun des Bibles commentées et d'autres bons livres, avec une petite écritoire et du papier. L'hiver ils sont là jusqu'à cinq heures et demie, auquel temps on sonne Laudes, et l'été jusqu'à six, que l'on sonne Prime. Après que l'on a dit l'oraison, si c'est jour de deux mes es, on dit la première, puis ils vont lire le Martyrologe, et dire le Pretios", au chapitre; après l'avoir sonné en braule quelque temps avec la pctile cloche du chœur. Je les suivis, et l'un d'eux m'invita d'y entrer par signe. Je demeurai à la porte en dehors. Sous la bénédiction, Dies et actus, etc., on lut de la règle de saint Benoit, sur le ton des leçons de Matines. Après la prière pour les morts, ils allèrent dans le vestiaire, qui est un lieu carré au bout du cloître, plein de porte-manteaux. Là ils quillèrent leur grande coule blanche, et ayant traversé le cloître par différents chemins, ils allèrent en divers endroits du bois travailler. A huit heures un quart on sonna la fin du travail avec la grosse cloche du chœur. Ils revinrent se laver au lavoir, allèrent au vestiaire prendre leurs habits de chœur, et montèrent au Lectrois pour se préparer à l'efice par la lecture.

A buit heures trois quarts on sonne Tierce avec la petite cloche. Ils furent tous rendus au chœur en très-peu de temps; récitèrent Tierce de la Vierge, et chantèrent celles de la férie, ensuite Sub tuum, etc. C'était le célébrant en aube et en étole, accompagné du diacre et du sous-diacre, qui avait commencé Tierce; il était allé à la sacristie dès la demie, au son de la c'oche qui avait tinté. On dit la messe simple de saint Basilide; le sous-diacre vint après l'Epitre recevoir la bénédiction de l'abbé dans sa chaise du chœur; le diacre alla au même lieu faire bénir l'encens et demander la bénédiction. Pendant Tierce et la messe, pas un religieux ne me regarda. Dès qu'on eut dit e missa

ORDRES RELIGIEUX,

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est, on s'en alla droit au Lectrois, sans quitter l'habit de chœur. A dix heures trois quarts on sonna Sexte. Après les avoir chantées, ils allèrent droit au réfectoire sans laver leurs mains. On lut pendant le repas du livre des Rois, auton des Matines; on vint en disant Miserere, achever grâces dans le chœur, après lesquelles ils dirent De profundis, à genoux, pour les bienfaiteurs, ce qu'ils ne font que tous les vendredis. Comme on disait la collecte, l'horloge sonna midi, et ils demeuré. rent à genoux pendant l'Angelus. Après ils allèrent se promener, sans se parler, jusqu'à sioste, c'est-à-dire, la méridienne, qu'ils almidi et demi, auquel temps on sonna la lèrent passer chacun dans leur cellule pendant une heure, soit en dormant, soit en redans la règle de saint Benoît. posant en silence, comme il est ordonné

« A une heure et demie, selon la même règle, on sonna None; après les avoir chanlées, ils allèrent au vestiaire quitter leurs pluie qu'il faisait, ils s'enfoncèrent dans les habits blancs, et ensuite, malgré une grosse bois pour travailler. A trois heures et demie on sonna la fin du travail; ils revinrent, ils bits de chœur, et se rendirent au Lectrois. A se lavèrent, et allèrent reprendre leurs haquatre heures on sonna Vêpres; après les avoir chantées, ils allèrent pendant un petit soins. A cinq heures on sonna le souper. quart d'heure satisfaire à leurs différents be

« Cependant j'allai voir les jardins et le
dans le jardin d'un des anciens religieux, un
parc, la pluie étant un peu diminuée. Je vis
saint Denis de bois peint, portant sa tête, et
qui jette de l'eau par le haut de la gorge; et
là tous les instruments de la Passion sont en
jardin est une petite église d'une fort belle
buis. Sur une terre qui est dans le grand
jubé et des orgues feintes. Les religieux y
architecture du temps d'Henri II, avec un
viennent dire la grande messe le jour de la
près; l'abbé ne voulut pas me dire qui il était,
Dédicace. Un ermite couche et travaille au-
et à mon retour à Paris, j'appris que c'était
M. de Pont-Château, Sébastien Joseph du
Cambout, frère de madame la duchesse d'E-
pernon et de feue madame d'Harcourt.

pelle de structure gothique, près laquelle
« Plus haut, il y a une autre petite cha-
est la porte du parc, où il y a de grandes
allées tirées au cordeau et dont quelques
unes ont des contre-allées. La chaleur avait
été si grande depuis huit jours, principale-
l'abbé, suivant la règle, avait relâché le jeune
ment le mercredi qu'ils devaient jeûner, que
de ce jour-là.

glise, et ils quittèrent les Lectrois où ils
A six heures et demie on sonna à l'é-
étaient, et vinrent au chapitre, où sous la
bénédiction, Noctem quietam, etc., on lut le
Martyrologe de Citeaux, et tout de suite les
Conférences de Cassien, du ton des leçons de
Matines, jusqu'après les trois quarts. Tu au-
tem, etc., ayant été dit par le président, et
Domine miserere, etc., par le lecteur, ils sor-
tirent, et je les suivis au chaur, où ils réci-
tèrent les psaumes des grandes Complies.

t

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