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Des antres, des volcans & des mers inutiles, 260 Des abîmes fans fin, des montagnes ftériles,

Des ronces, des rochers, des fables, des déferts.
Ici de fes poifons elle infecte les airs;

Là rugit le lion, ou rampe la couleuvre.

De ce Dieu fi puissant voilà donc le chef-d'œuvre?

265 Et tu crois, ô Mortel, qu'à ton moindre soupçon, Aux pieds du tribunal qu'érige ta raison,

Ton Maître obéiffant doit venir te répondre ? Accufateur aveugle, un mot va te confondre. Tu n'apperçois encor que le coin du tableau: 270 Le reste t'eft caché fous un épais rideau;

Et tu prétends déja juger de tout l'ouvrage ! A ton profit, ingrat, je vois une main fage Qui ramene ces maux dont tu te plains toujours. Notre art des poisons même emprunte du fecours. 275 Mais pourquoi ces rochers, ces vents & ces orages? Daigne apprendre de moi leurs fecrets avantages, Et ne confulte plus tes yeux fouvent trompeurs. La mer, dont le foleil attire les vapeurs,

259 Les imperfections de la Terre font fouvent une fuite du bouleverfement général caufé par le déluge, comme je le dirai dans le cinquieme Chant.

274 On fait des remedes avec la vipere, la ciguë, &c. 278 Soit que les rivieres, dit Derham dans fa Théologie Phyfique, viennent des vapeurs condensées, ou des pluies; foit qu'elles viennent de la mer par voie d'attraction, de filtration, ou de diftillation;

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Par ces eaux qu'elle perd, voit une mer nouvelle, Se former, s'élever & s'étendre fur elle. De nuages legers cet amas précieux, Que difperfent au loin les vents officieux, Tantôt féconde pluie arrofe nos campagnes, Tantôt retombe en neige, & blanchit nos montagnes. Sur ces rocs fourcilleux, de frimats couronnés, Réservoirs des tréfors qui nous font destinés, Les flots de l'Océan apportés goute à goute Réuniffent leur force, & s'ouvrent une route. Jufqu'au fond de leur fein lentement répandus, Dans leurs veines errans, à leurs pieds defcendus, 290 On les en voit enfin fortir à pas timides, D'abord foibles ruiffeaux, bientôt fleuves rapides. Des racines des monts qu'Annibal fut franchir Indolent Ferrarois, le Pô va t'enrichir.

Impétueux enfant de cette longue chaîne,

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Le Rhône fuit vers nous le penchant qui l'entraîne;
Et fon Frere emporté par un contraire choix,
Sorti du même fein va chercher d'autres loix.

foit que toutes ces causes concourent ensemble
il eft certain que les montagnes ont la plus grande
part dans ces opérations. Ces excrefcences énormes
de la terre font comme autant d'alambics.

294 Ferrare bien différente autrefois de ce qu'elle eft aujourd'hui, brilla par le commerce & les beaux

arts.

297 Le Pô, le Rhône & le Rhin, ont leurs fources dans les Alpes; ces deux derniers fortent de la même montagne.

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Mais enfin terminant leurs courfes vagabondes, 300 Leur antique féjour redemande leurs ondes:

Ils les rendent aux mers; le Soleil les reprend,
Sur les morts, dans les champs l'Aquilon nous les rend.
Tel eft de l'Univers la conftante harmonie.

De fon empire heureux la difcorde eft bannie :
305 Tout confpire pour nous, les montagnes, les mers,
L'Aftre brillant du jour, les fiers tyrans des airs.
Puiffe le même accord régner parmi les hommes !

Reconnoiffons du moins celui par qui nous fommes, Celui qui fait tout vivre, & qui fait tout mouvoir. 316 S'il donne l'être à tout, l'a-t-il pu recevoir ?

Il précede les temps; qui dira sa naissance ?
Par lui l'Homme, le Ciel, la Terre, tout commence,
Et lui feul infini n'a jamais commencé.

Quelle main, quel pinceau dans mon ame a tracé 315 D'un objet infini l'image incomparable?

Ce n'eft point à mes fens que j'en fuis redevable.
Mes yeux n'ont jamais vu que des objets bornés,
Impuiffans, malheureux, à la mort destinés.

315 Loke prétend que nous formons l'idée de l'infini, par la puiffance que nous avons d'ajouter toujours à l'idée du fini. Descartes, & avant lui Platon & Cicéron, ont cru que l'idée de l'infini étoit innée en nous. En effet, pourquoi trouvons-nous finis, les objets que nous voyons? Le fini fuppofe l'infini, comme le moins fuppofe le plus: ainfi nous ne nous trouvons finis qu'à caufe de l'idée de l'infini qui eft en nous.

Moi

Moi-même je me place en ce rang déplorable,
Et ne puis me cacher mon malheur véritable;
Mais d'un Être infini je me fuis fouvenu
Dès le premier inftant que je me fuis connu.
D'un Maître souverain redoutant la puissance,
J'ai, malgré ma fierté, senti ma dépendance.
Qu'il eft dur d'obéir, & de s'humilier!

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Notre orgueil cependant eft contraint de plier;
Devant l'Être éternel tous les peuples s'abaissent;
Toutes les Nations en tremblant le confeffent.
Quelle force invifible a foumis l'Univers ?
L'homme a-t-il mis sa gloire à fe forger des fers ? 330
Oui, je trouve par-tout des refpe&ts unanimes,
Des Temples, des Autels, des Prêtres, des Victimes:
Le Ciel reçut toujours nos vœux & notre encens.
Nous pouvons, je l'avoue, esclaves de nos fens,
De la Divinité défigurer l'image.

A des Dieux mugiffans l'Egypte rend hommage;
Mais dans ce bœuf impur qu'elle daigne honorer
C'est un Dieu cependant qu'elle croit adorer.

327 On n'a jamais trouvé aucune Nation, même dans le nouveau Monde, qui n'eût un culte établi en l'honneur de quelque Divinité; & ce confentement de toutes les Nations doit être regardé, fuivant Cicéron, comme la loi de la Nature: Omni in re confenfio omnium gentium lex natura putanda eft.

331 C'est ce que dit Plutarque contre Colotes: Pous trouverez des villes fans murs, fans rois, fans théâtres ; mais vous n'en trouverez jamais fans Dieux, fans facrifices, pour obtenir des biens & écarter des maux,

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L'efprit humain s'égare, & follement crédules 340 Les peuples fe font fait des maîtres ridicules. Ces maîtres toutefois par l'erreur encenfés, Jamais impunément ne furent offenfés: On détefta Mézence ainfi que Salmonée, Et l'horreur fuit encor le nom de Capanée. 345 Un impie en tout temps fut un monftre odieux; Et quand pour me guérir de la crainte des Dieux, Epicure en fecret médite fon fyflême,

Aux pieds de Jupiter je l'apperçois lui-même.

Surpris de fon aveu, je l'entends en effet 350 Reconnoître un pouvoir dont l'homme eft le jouet,

339 C'est encore Cicéron qui le dit: Multi de diis prava fentiunt; omnes tamen effe vim & naturam divinam cenfent. L'idolatrie, dont je parlerai au troifieme Chant, prouve que l'homme a toujours été perfuadé d'une Divinité; qu'il l'a toujours recherchée; mais que plongé dans les fens, il a pris pour divin tout ce qui a frappé fes.fens."

343 Mézence, contemptor divúm, eft repréfenté par Virgile comme un tyr. n hai de tout le monde. Sal monée & Caprnée furent, fuivant les Poëtes, fou droyés caufe de leur impiété. Protagoras & Prodicus furent mis à mort pour avoir mal parlé des Dieux : on fe fervit du même prétexte pour faire mourir Socrate.

348 Diocles voyant Epicure dans un Temple, s'écria: Jamais Jupiter ne m'a paru fi grand que depuis qu'Epicure eft à jes genoux.

350 Ufque adeò res humanas vis abdita quædam Obterit, & puleros fafces favafque fecures Proculcare, ac ludibrio fibi habere videtur.

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