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35 Tantôt je pourfuivois un ftérile problême;
De Descartes tantôt renverfant le fystême,
D'autres Mondes en l'air s'élevoient à mes frais.
Armide étoit moins prompte à bâtir un palais;
Et d'un fouffle détruits, malgré leur renommée,
40 Tous les vieux tourbillons s'exhaloient en fumée.
Par mon anatomie un rayon divisé,
En fept rayons égaux étoit fubtilifé,
Et voulant remonter à la couleur premiere,
J'ofois à mon calcul foumettre la lumiere.

45 Dans ces rêves flatteurs que j'ai perdu de jours!
Cherchant à tout favoir, & m'ignorant toujours,
Je n'avois point encor réfléchi fur moi-même.
Me reprochant enfin ma négligence extrême,
Je voulus me connoître un espoir orgueilleux
50 Inspiroit à mon cœur ce projet périlleux.

Que de fois, ô fatale & triste connoiffance,
Tu m'as fait regretter ma premiere ignorance !

40 M. Newton détruit les tourbillons de Descartes, & fon fyftême, fur les couleurs. Suivant fes expériences, la lumiere eft un amas de rayons colorés. Un rayon fe divife en fept parties, & le mêlange des couleurs primitives produit les différentes couleurs. Mais malgré ce qu'il dit des fept premieres couleurs, M. du Fay lut à une Affemblée publique de l'Académie des Sciences un Mémoire, pour prouver qu'au lieu des fept couleurs primitives que compte M. Newton, on n'en doit admettre que trois.

le me figure, hélas ! le terrible réveil

D'un homme qui fortant des bras d'un long fommeil,
Se trouve transporté dans une ifle inconnue,
Qui n'offre que déferts & rochers à sa vue:
Tremblant il fe fouleve, & d'un œil égaré
Parcourt tous les objets dont il eft entouré.
Il retombe auffi-tôt il fe releve encore;

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Mais il n'ofe avancer dans ces lieux qu'il ignore. 60
Telle fut ma terreur, fitôt qu'ouvrant les yeux,
Et rompant un fommeil, peut-être officieux,
Je me regardai feul, fans appui, fans défense,
Egaré dans un coin de cet efpace immense;
Ver impur de la Terre, & Roi de l'Univers,
Riche, & vuide de biens; libre & chargé de fers.
Je ne fuis que menfonge, erreur, incertitude;
Et de la Vérité je fais ma feule étude.

53 Dans ce morceau il eft aifé de reconnoître M. Pafcal: c'eft ainfi qu'il fait humilier l'homme. En` même-temps qu'il l'abaiffe, il le releve. Montagne le jette à terre, & l'y laiffe fans confolation ni efpérance. S'il parle de lui-même à tout moment, ce n'est que pour fe décrier. Mon efprit, dit-il, eft fi affreté à mon corps, que quand fon compagnon a la colique, il l'a aussi. Ši la fanté me rit & la clarté d'un beau jour, me voilà honnête-homme.... Ma vertu eft une vertu, ou innocence, pour mieux dire, accidentelle.... L'incertitude de mon jugement eft fi également balancée, qu'en la plupart des occurrences, je la compromettois volontiers à la decifion du fort & des dez. Voilà un homme qui fait bien de l'honneur à fon jugement, à fon efprit & à fa vertu.

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Tantôt le monde entier m'annonce à haute voix 70 Le Maître que je cherche; & déja je le vois : Tantôt le monde entier dans un profond filence A mes regards errans n'eft plus qu'un vuide immense, O Nature, pourquoi viens-tu troubier ma paix ? Ou parle clairement, ou ne parle jamais. 75 Ceffons d'interroger qui ne veut point répondre. Si notre ambition ne fert qu'à nous confondre, Bornons-nous à la terre, elle eft faite pour nous.

Mais non, tous fes plaifirs n'entraînent que dégoûts :
Aucun d'eux n'aflouvit la foif qui me dévore :
So Je defire, j'obtiens, & je defire encore.

Grand Dieu, donne-moi donc des biens dignes de toi;
Ou donne-m'en du moins qui foient dignes de moi.
Que d'orgueil! c'eft ainfi qu'à moi-même contraire.
Monftre de vanité, prodige de mifere,

85 Je ne fuis à la fois que néant & grandeur.

Mécontent des objets que pourfuit mon ardeur,
Je n'eftime que moi tout autre que moi-même,
Si je femble l'aimer, c'est pour moi que je l'aime.

80 J'apporte en naiffant, dit M. Boffuet, Intr. à la Philofophie, cet amour du bonheur. La raifon, fitôt qu'elle commence, me le fait chercher par des moyens bons ou mauvais : mais enfin elle le cherche. Cepen. dant je defire: ce qui prouve que je ne poffede point. Le defir & le parfait bonheur ne peuvent se trouver enfemble.

88 On a reproché à M. de la Rochefoucault d'avoir dans fes Maximes anéanti nos vertus, en rapportant toutes nos actions à l'amour-propre. Il nous a peints

Je me hais cependant, fitôt que je me voi;
Je ne puis vivre feul occupé loin de moi
Je n'afpire qu'à plaire à ceux que je méprise.

Sans doute qu'à ces mots, des bords de la Tamife
Quelque abftrait Raifonneur, qui ne fe plaint de rien,
Dans fun flegme anglican répondra, Tout est bien.
« Le grand Ordonnateur dont le deffein fi fage,
» De tant d'êtres divers ne forme qu'un ouvrage,
» Nous place à notre rang pour orner fon tableau ".
Eh! quel trifte ornement d'un spectacle si beau!
En me parlant ainfi, tu prouves bien toi-même
La grandeur du défordre, & ta mifere extrême.
Quand tu foutiens que l'homme eft fi bien partagé,
Dans tes raisonnemens, que tout est dérangé !

tels que nous fommes, depuis le défordre du péché,
comme je le dirai au fixieme Chant: Quand l'homme
n'eft qu'à lui, tout l'homme eft à l'orgueil.

94 Suivant Pope dans fon Efai fur l'homme, tout ce qui est, est bien; & dans le fyftême général de l'Univers, l'homme eft à sa place. Sénéque avoit dit auffi, que notre état ne comporte pas de plus grands biens. Nous avons, felon lui, reçu de grandes chofes; nous n'étions pas capables d'en recevoir de plus grandes. Magna accepimus, majora non capimus. Il eft vrai que nous avons reçu de grandes choses; mais la Religion nous apprend que nous en avons perdu de plus grandes. Du refte, ce Vers qui fit de la peine à Pope quand cet ouvrage parut, l'engagea à m'écrire la Lettre qui fe trouve à la fuite de ce Poëme, avec celles du Chevalier de Ramfay au fujet du fyftême de Pope; & j'ai ajouté à ces Lettres, l'expofition de mes fentimens fur le Poëme très-dangereux de Pope.

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Quoi! mes pleurs (n'eft-ce pas un crime de le croire ?)

D'un Maître bienfaifant releveroient la gloire ?

105 Pour d'autres biens fans doute il nous a réservés,
Et tous fes grands deffeins ne font point achevés.
Oui, je l'ose espérer. Juste Arbitre du Monde,
De la folide paix fource pure & féconde,
Etre par-tout préfent, quoique toujours caché;
110 Des maux de tes fujets quand feras-tu touché ?
Tendre Pere, témoin de nos longues alarmes,
Pourras-tu toujours voir tes enfans dans les larmes?
Non, non. Voilà de toi ce que j'ofe penfer.
Ta bonté quelque jour faura mieux nous placer.

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Mais comment retrouver la gloire qui m'eft due? Qui peut te rendre à moi, Félicité perdue ?

Eft-ce dans mes pareils que je dois te chercher ? Ils m'échappent, la mort me les vient arracher; Et frappés avant moi, le tombeau les dévore: 120 J'irai bientôt les joindre; où vont-ils ? je l'ignore.

Eft-il vrai? n'eft-ce point une agréable erreur, Qui de la mort en moi vient adoucir l'horreur? O Mort! eft-il donc vrai que nos ames heureuses N'ont rien à redouter de tes fureurs affreufes, 125 Et qu'au moment cruel qui nous ravit le jour, Tes victimes ne font que changer de féjour? Quoi! même après l'inftant où tes ailes funébres M'auront enféveli dans tes noires ténébres, Je vivrois! Doux espoir! que j'aime à m'y livrer!

129 Dabam me tantæ fpei, dit Sénéque, bien dif

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