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» Le Roi & la Reine d'Espagne s'a714-15 vançoient chacun de leur côté vers » Guadalaxara, où devoit fe faire la

premiere entrevue, à-peu-près à » quatorze lieues de Madrid. `La ri"gueur de la faifon, à la fin de Dé»cembre 1714, les mauvais chemins, » & la briéveté des jours, obligerent » Philippe à en mettre trois à ce petit » voyage. La Princeffe des Urfins » avoit repris le titre de Camerera » major. Elle feule avoit compofé la » Maifon de la Reine, & avoit eu» grand foin de la remplir unique» ment de fes créatures, hommes & » femmes. Le Roi ne marchoit qu'ac. » compagné de perfonnes de fon » choix, à qui elle avoit bien recom» mandé de n'en pas laiffer approcher » d'autres. Ellè fuivoit de près fon » carroffe, & en arrivant, le Monar» que s'enfermoit feul avec elle, &

voyoit qui que ce foit autre juf» qu'à fon coucher. Elle le gardoit » ainfi à vue; mais il fallut bien le » quitter le dernier jour, pour aller » au-devant de la Reine, qui n'étoit » plus qu'à fept lieues.

» Madame des Urfins fe met en

route le 22 Décembre, croyant al»ler jouir de toute la reconnoiffance 1714-15. » de celle qu'elle avoit fait Reine, » paffer gaiement la journée avec » elle, & la présenter le lendemain » au Roi. Elle arrive dans cette agréa »ble difpofition d'efprit, aborde la » Reine, commence la conversation.

A peine a-t-elle dit quelques mots, » que la Reine l'interrompt, lui dit » qu'elle n'eft pas vêtue décemment, » & qu'elle lui manque de respect. » Madame des Urfins, dont l'habit » étoit fort régulier & les manieres » très-refpectueufes, veut s'excufer. » Sans l'écouter, la Reine s'écrie » qu'on l'infulte, commande avec » violence à Madame des Urfins de » fortir de fa préfence. Sur ce qu'elle » héfite, la Reine crie encore plus » haut Faites fortir cette folle, la »pouffe elle-même hors de la cham»bre, appelle Enfenaga, qui com. » mandoit le détachement des Gardes, » lui ordonne de l'arrêter, & de ne >> la point quitter qu'il ne l'ait mife » dans un carroffe avec une feule » femme, deux Officiers Suiffes & 2 une garde fuffifante, & de la faire

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» partir pour la frontiere, avec dé 714-15. fenfe de s'arrêter dans les villes. Enfenaga veut repréfenter qu'il n'y » a que le Roi qui ait le pouvoir » qu'elle veut prendre. N'avez-vous » pas, lui dit fiérement Elifabeth, » n'avez-vous pas ordre du Roi de m'o» béir en tout, fans réserve ni représen tations? Il en convient. Allez donc, » reprendrelle, & obtiffez. Le premier » Ecuyer, mandé par elle, fait trou» ver en un moment un carroffe à fix » chevaux ; on y enferme la difgra»ciée avec fa femme-de-chambre & » les deux Officiers, toute parée, en » grand habit, comme elle s'étoit » présentée chez la Reine, & elle » part à fept heures du foir, la fur» veille de Noël, par un froid très» vif & une nuit fi obfcure, qu'on ne voyoit qu'à la faveur de la » neige.

» L'excès de l'étonnement & de » l'étourdiffement parut d'abord fuf» pendre en elle tout autre fentiment. » Bientôt la douleur, le dépit & le » défespoir fe firent place. A ces fen» timents fuccéderent les terribles & » profondes réflexions fur une dé

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» marche auffi violente, auffi ex» traordinaire, fans raifons, fans 1714-15 » prétextes même les plus légers. » Qu'en penferoit le Roi? Combien >> ne feroit-il pas indigné d'un pareil » abus de fon autorité, & combien »ce grouppe de perfonnes dévouées » à elle, dont elle l'avoit environné, >> alloit fe remuer pour lui faire ob> tenir vengeance d'un fi cruel af» front!

» Cette longue nuit fe paffa ainfi » avec un froid terrible, & rien pour » s'en garantir. Le matin, néceffité » fut de s'arrêter pour faire repaître » les chevaux. Quant aux hommes, » ils firent comme ils purent. On ne >> trouve rien dans les hôtelleries » d'Espagne, on vous indique feule»ment où fe vend chaque chofe. La » viande eft ordinairement vivante, » le vin épais & plat, le pain fe colle » à la muraille, l'eau fouvent eft dé» teftable, il n'y a des lits que pour » les Muletiers. Il faut tout porter " avec foi, & Madame des Urfins » & ceux qui l'accompagnoient n'a» voient pas eu le temps de faire » aucune provifion. Elle fut donc Lettres à Αν

Madame

» réduite à coucher fur la paille & a 1714-15 » fe nourrir de deux vieux œufs par » jour, jeûne, dit-elle, bien oppofe » aux repas que j'avois coutume de » faire.

de Mainte

non, t. 7, P. 186

Jufqu'au jour, malgré les réfle>xions tumultueufes, le filence avoit » été profond. Elle eut le loifir, pen»dant ce temps, de compofer fon » vifage, & parla affez tranquille»ment de fon extrême furprife, du » peu qui s'étoit paffé entre la Reine » & elle. Les deux Officiers, accou» tumés, comme toute l'Espagne, à » la craindre & à la refpecter, lui » répondirent ce qu'ils purent, du » fond de cet abyme d'étonnement » dont ils n'étoient pas encore reve »nus. On marchoit, on s'éloignoit:

elle avoit écrit au Roi & à la Reine, » & point de nouvelles. A mefure que » le temps s'écouloit, fes efpérances » s'affoibliffoient, & elles s'évanoui» rent enfin tout-à-fait à la vue de » Chalais & Lanti, fes deux neveux, » qui l'informerent de ce qui s'étoit paffé après fon départ.

» La Reine avoit dépêché au Roi » un Officier, qui le trouva prêt à fe

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