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quelque chofe de plus indépendant dans la CHAP. VII. créature qui aime ainfi, que dans Dieu. Car tous les Théologiens conviennent que Dieu s'aime néceffairement, & que fon amour n'eft libre, c'est-à-dire, gratuit & définteressé, que par rapport aux créatures: au lieu que la créature qui aime Dieu de cette maniere pure & défintereffée, ôte cette diftinction entre Dieu & les autres êtres, en les mettant en égalité, & n'aiant rien dans fon fonds qui la porte vers Dieu plus néceffairement que vers les autres biens.

5. Quelle ignorance de la condition de l'homme, qui eft porté par tout le poids de fa volonté naturelle vers le fouverain bien; qui eft dans un mouvement continuel & néceffaire vers lui, foit * qu'il le fçache, foit qu'il l'ignore; qui n'eft grand que par la capacité prefque infinie qu'il a de le rece voir, & de lui être uni? L'homme eft un vui de infini, que Dieu feul peut remplir; un befoin univerfel que Dieu feul peut fatisfaire. Il eft dans une dépendance effentielle de fa bonté : il a un interêt général, empreffé, indifpenfable qui le pouffe vers Dieu & qui eft le fond de fa nature & de fon être. Comment la charité qui eft la perfection de la nature, arracheroit-elle l'homme à Dieu, que tous les liens naturels lui uniffent Comment détruiroit-elle la diftinction primitive que Dieu a faite de l'homme pour foi-même ? Comment s'oppoferoit-elle à fa fin, à fon bonheur, à tout le poids de fa volonté ? D'où viendroit une telle charité, fi contraire aux deffeins de Dieu & aux interêts de l'homme ? Et comment a-t-il pu

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* Deus, quem amat | five fciens, five nefciens, omne quod amare poteft, Aug.

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CHAP. VII. arriver qu'on regardât comme la perfection de l'amour, un défintereffement frénétique, qui dégrade Dieu, en le mettant au rang des créatures; qui s'efforce de rendre la créatuie auffi indépendante que Dieu, & qui détruit également & la nature de l'homme, & fes devoirs ?

6. S'il étoit poffible qu'il y eût deux Dieux diftingués l'un de l'autre, & mutuellement indépendans, on pourroit confidérer l'amour qu'ils auroient l'un pour l'autre, comme abfolument défintereffé, parce que l'un feroit parfait fans l'autre ; que l'un & l'autre feroient pleins, infinis, incapables de rien recevoir; & qu'il n'y auroit dans l'un ni dans l'autre aucun defir, parce qu'il n'y auroit aucun befoin. Encore ne fçai-je fi dans cette fuppofition, le plaifir de la focieté, de la conformité des fentimens, & d'une reffemblance parfaite, n'ajouteroit, pas au bonheur de l'un & de l'autre. Au moins il eft bien certain qu'ils ne feroient pas indifférens à la vûe l'un de l'autre, & qu'ils n'y renonceroient pas, de peur de mêler quelque interêt à leur amour.

7. On porte donc, par une illufion pleine de folie, le défintereffement de la créature à l'égard du feul Dieu véritable, pour qui elle eft faite, & de qui elle a tout reçu, plus loin que ne feroit pas Dieu même, s'il pouvoit y en avoir un autre qui lui fût égal. On ne fe contente pas de placer fur la même ligne Dieu & la créature, & de les mettre de niveau, en mettant de part & d'autre le même défintereffement, & par conséquent la même indépendance par rapport à la félicité: mais on pouffe le défintereffement de la creature à l'égard de Dieu, jus

qu'à un excès qui paroîtroit injufte & im- CHAP. VII. poffible dans Dieu même, s'il avoit un égal. 8. Mais c'eft affez parler contre un défintereffement imaginaire, qui eft comme le rival de celui de Dieu, & qui s'efforce de l'obfcurcit. Reconnoiffons que Dieu feul aime gratuitement ce qu'il aime hors de lui, dans le fens qui a été expliqué : c'est-à-dire, fans befoin, & avec une pleine indépendance; Que pour montrer les richeffes de fa miséricorde, il nous a aimés, quoique pécheurs, afin que nous ceffaffions de l'être; Que fa charité a été jusqu'à cet excès, que de livrer pour nous fon propre Fils, avant que nous fuffions touchés de repentir, & par conséquent lorfque nous étions très-éloignés de l'aimer; & que c'est fon amour pour nous, qui eft le principe & la fource de celui que nous avons pour lui & pour fon Fils, qui s'eft rendu notre victime. In hoc apparuit caritas Dei in nobis, dit l'Apôtre faint Jean, quoniam Filium Jaum unigenitum mifit Deus in mundum, ut vivamus per eum. In hoc eft caritas non quafi nos dilexerimus Deum, fed quoniam ipfe prior dilexit nos, & mifit Filium fuum propitiatio nem pro peccatis noftris. Obfervons ces paro les: In hoc apparuit caritas Dei in nobis: In hoc eft caritas. Comprenons bien ce qu'elles fignifient; plaçons-les bien avant dans notre cœur, & tâchons d'entrer dans les fentimens de reconnoiffance & d'amour, dont le difciple bien-aimé étoit plein, en répétant après lui: « C'eft en cela que « Dieu a fait paroître fon amour envers << nous, en ce qu'il a envoié fon Fils uni- «< que dans le monde, afin que nous vivions «e par lui. C'est en cela que confifte cet a ce

. Joan. 4.9.

10.

CHAP. VII.

mour, que ce n'eft pas nous qui avions. » aimé Dieu, mais que c'eft lui qui nous a » aimés le premier, & qui a envoie fon Fils, » pour être la victime de propitiation pour ≫ nos péchés.

Paffons maintenant à la feconde partie du fujet de ce chapitre, & expliquons comment JESUS-CHRIST crucifié est le motif le plus puiffant pour nous porter à aimer Dieu.

ARTICLE II.

JESUS-CHRIST crucifié eft le motif
le plus puiffant pour nous porter
à aimer Dieu.

L. crucifé et le motif le plus puiffant pour

ORSQU'ON dit que JESUS-CHRIST

amour >

nous porter à aimer Dieu, on ne le sépare point de fon Pere avec lequel il est une même chofe. C'eft lui-même que nous devons aimer, en aimant Dieu : car il eft la vérité auffi-bien que la voie. Il nous a prouvé fon en mourant pour nous: & il nous preffe de répondre à fon amour par le nôtre. Mais il eft en même-tems le terine de nôtre amour, auffi-bien que le motif: & nous ferions injure au Pere, bien-loin de l'honorer, fi nous séparions l'amour & les actions de graces que nous lui devons à cause du don qu'il nous fait de fon Fils, de l'amour & de la reconnoiffance que nous devons à fon Fils, qui s'est livré pour nous à la mort, & à un tel genre de mort que ceJoan. 23. lui de la croix. Qui non honorificat Filium

non honorificat Patrem qui mifit illum. Om- CHAP. VII. nes honorificent Filium, ficut honorificant Patrem. C'est donc la même chofe de regarder JESUS crucifié comme le motif le plus capable de nous porter à aimer fon Pere, ou à l'aimer lui-même, & je fuppofe qu'on fe fouviendra toujours de l'unité effentielle qui rend le Fils inséparable de fon Pere.

§. I. Pour avoir quelque idée de l'amour que Dieu a eu pour nous en livrant fon Fils, & de celui que nous lui devons, il faut fe représenter l'état où nous aurions été fans lui, & les peines éternelles de l'Enfer dont ce Fils nous a délivrés. Ces pensées, bien loin de diminuer la confiance, l'augmen

tent.

1. POUR avoir une connoissance au moins imparfaite de l'amour que Dieu a eu pour nous, & de celui que nous lui devons, il faut nous mettre en efprit dans l'état où nous aurions été, s'il ne nous avoit pas donné fon Fils unique pour nous en délivrer. Concevons donc que nous fommes nés pécheurs, & que dans la fuppofition que je fais, dont la feule miséricorde de Dieu a empêché la réalité à notre égard nous fommes fans libérateur & fans efpé rance qu'après une vie pleine d'iniquités fort courte & fort malheureufe, nous paffons d'une premiere mort à une feconde, qui nous prive de l'ufage de toutes les créatures, & qui nous cache par d'éternelles ténébres le fpectacle de la nature : que nous fommes livrés à des efprits pleins de haine & de fureur contre l'homme, & qui ne font confolés dans leurs tourmens, que par

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