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CHAP. VII. ceux qu'ils lui font fouffrir; que nous fommes avec eux plongés dans des gouffres de feu, & que ce feu ne s'éteindra jamais = qu'un ver immortel & infatigable nous rongera toujours le cœur, fans nous porter jamais à un falutaire repentir: qu'un affreux & continuel défefpoir ajoute à chaque moment à notre fupplice une impatience qui le redouble: que le frémiffement & le grincement de dents, marque funefte de notre impénitence auffi-bien que d'une douleur infupportable, eft notre feule confolation: que toute iffuë de cette horrible demeure eft fermée pour toujours, & que nous en fommes convaincus : que la lumiere de la juftice nous fera toujours refusée : qu'un anathême irrévocable, & un intervalle fans fond, nous sépare de la célefte Jérufalem, & de fes heureux citoyens : que Dieu n'eft pour nous qu'un Dieu irrité & infléxible, & que notre volonté créée pour lui, fera éternellement privée du bien fouverain, vers lequel elle fera malgré elle dans un mouvement qu'il ne fera pas en notre pouvoir d'interrompre. Uniffons enfemble ces terribles circonstances, & tâchons d'en foutenir un moment la vûë, non pour effrayer inutilement une imagination qui ne va point au remede, mais pour en édifier notre foi, & pour la porter par cet affreux amas de miséres & de châtimens que nous avons mérités, à rendre de continuelles & d'immortelles actions de graces à JESUSCHRIST qui nous en a délivrés.

2. C'eft lui-même qui nous a fait la pein ture de cette inconcevable misére, à laquel le nous étions condannés fans lui, & qu'au cun ne peut éviter qu'en croyant en lui, &

en l'aimant. Ce feroit accufer de menfonge CHAP. VII la vérité même, que de chercher quelque exagération dans fes paroles, qui font d'ailleurs fi claires & fi précifes, qu'on ne fçauroit les obfcurcir. C'est le Juge de tous, qui condanne le ferviteur inutile à des ténébres extérieures: qui dit que le feu de la gêne ou de l'enfer ne s'éteint point, & que le ver qui confume ceux qui y font condannés, ne meurt point. C'est lui qui nous parle de larmes éternelles & infructueuses, & de grincement de dents. C'eft lui qui met entre Lazare & le mauvais riche un abîme infurmontable, & qui fait refufer par Abraham une goutte d'eau à ce malheureux plongé dans les flammes. C'eft lui enfin qui prononce contre les réprouvés ce formida ble arrêt: Retirez-vous de moi, mau- «e dits, & allez au feu éternel, qui a été «e préparé pour le diable & pour fes anges. « Eft-il permis, en l'entendant, de faire au tre chofe que de trembler ? & un fi effrayant tonnerre dans la bouche de la vérité & de la juftice même, ne doit-il pas reveiller de leur affoupiffement ceux en qui la foi n'est pas éteinte ?

3. Je fçai qu'il y a des perfonnes qui s'occupent rarement de ces vérités, & qui en é loignent même la. vûe à deffein, parce qu'elles font plus propres, felon leur pensée, à exciter la crainte, qu'à nourrir l'amour, & qu'elles répandent dans l'ame une terreur qui diminue la confiance, dont ces perfonnes évitent de troubler la douceur & la tranquillité. Mais y a-t-il quelqu'un qui foit meilleur juge de l'amour que nous de vons à Dieu, & de la confiance que nous devons prendre en fa miséricorde, que JGy

CHAP. VII.

SUS-CHRIST? Et néanmoins c'est lui qui nous répete fouvent dans l'Evangile ces vérités, qu'on s'imagine fauffement être contraires à la confiance & à l'amour. C'est lui qui les inculque, qui nous y rend attentifs, qui nous commande de les avoir toujours préfentes. Il l'a fait fans doute pour des motifs très-importans: mais entre ceux que la foi & la piété peuvent difcerner, y en a-til aucun qui foit plus vifible, que le deffein d'exciter notre amour & notre reconnoiffance pour celui qui nous a délivrés des maux incompréhenfibles dont ces vérités nous font fouvenir ?

4. De quoi en effet s'occupe cet amour qu'on a fi peur de troubler, s'il ne s'occupe pas des miséricordes de Dieu ? Et quelle miséricorde peut-il avoir en vûe, s'il oublie celle qui l'a tiré de la plus profonde misére? Sur quoi eft établie la confiance, fi JESUS-CHRIST n'en eft pas le fondement ? Et quelle preuve nous a-t-il donnée d'une bonté capable de fervir d'appui à une ferme cfpésance, fi l'on compte pour peu la charité qu'il a euë de donner fa vie pour nous délivrer d'une perte éternelle ? Un amour fans reconnoiffance, eft un amour très - fufpect. Une confiance fans humilité est une fausse confiance. Une paix qui n'eft tranquille que parce qu'on en écarte la crainte de l'avenir, & le fouvenir du paffé, eft une léthargie plûtôt qu'une véritable paix.

5. Si l'un de nous avoit été tiré d'un embrafement par la charité & par le courage d'un ami, qui fe feroit jetté pour lui dans les flammes, afin de l'en délivrer, affecteroit-il d'oublier l'extrême péril d'où il n'auroit été fauvé que par l'intrepide charité de fon ami; & crain droit-il de l'aimer moins,

& d'avoir moins de confiance en lui, s'il fe
fouvenoit des flammes où fans lui il auroit
été confumé ? Il en eft de même de celui qui
auroit été fauvé des eaux & du naufrage
par le fecours d'un homme qui fe feroit jet-
té dans le péril pour l'en tirer, & qui l'an-
roit ramené du fond de la mer fur le riva-
ge. Ne prendroit-il pas plaifir à fe repréfen.
ter l'horreur d'un danger évité, pour en
devenir plus reconnoiffant ? Et pourroit-il
même l'être, fi en oubliant le danger, il
oublioit auffi le fervice de celui qui l'en au-
roit tiré? Un homme prêt a être dévoré
par un lion qui l'a terraffé, & qui le tient
entre fes griffes & fous fes dents, mais qui
tout à coup en eft arraché par un autre Sam-
fon, & par un autre David, fait-il autre
chofe dans le premier moment de fa liberté,
que de fe profterner devant fon libérateur
& de fe répandre en actions de graces? Et
ne forme-t-il pas la réfolution d'avoir tou-
jours préfente dans fon cœur, plûtôt que
dans fa memoire, une charité fi héroïque,
& de joindre toujours l'affreux état où il a
pû périr, avec le fecours inefperé d'un fi
généreux libérateur; Joignez à ces idées
celle d'un homme qu'un dragon d'une énor-
me grandeur tient lié par les divers con-
tours d'une longue queue, & qui va dans
l'inftant être englouti par le vafte gouffre
de fa gueule : mais qui voit expirer cc mon-
ftre par le trait qu'un homme d'une force &
d'une adreffe incroïable lui lance dans le
cœur. Peut-on rien comparer aux fentimens
dont celui qui eft fi fubitement délivré, eft
faifi? Et en se mettant à sa place, que di-
roit-on? que penferoit-on ? que voudroit-
on faire pour témoigner le tranfport de fa

CHAP. VII.

CHAP. VII, reconnoiffance & de fon amour ? fur-tout fi le libérateur venoit aider ce pauvre captif à fortir des longs replis du dragon, qui le lient & l'embarraffent; s'il versoit dans fes plaies mortelles un excellent contre-poison; s'il lui rendoit une pleine fanté avec la liberté & la vie ; & s'il affectoit de mettre en pieces à fes yeux le monftre terrible qui commençoit à le dévorer.

6. Tous ces exemples, quoique vifs & touchans, ne font qu'une légere peinture des maux infinis & incomprehenfibles, dont la charité de JESUS-CHRIST nous a déli- · vrés. Et les fentimens de ceux qui font pénetrés de reconnoiffance ponr le libérateur qui les a tirés de l'incendie, du profond de la mer, de la gueule du lion, & des ferres du dragon prêt à le dévorer, ne font qu'u̟ne foible image des actions de graces & de l'amour que nous devons au feul libérateur qui mérite ce nom. Car dans tous ces éxemples, les maux ne font que temporels. La mort évitée n'eft que fufpendue, & elle n'en fera pas un jour moins réelle, quoique les circonstances en paroiffent moins tragiques. Celui qui en a délivré, n'a point donné fa vie pour racheter celle de fon frere & de fon ami. Il l'a exposée pour lui: mais il n'a point confenti à être dévoré par le lion & par le dragon, pour faire périr par fa mort l'un & l'autre. Il étoit ami de celui qu'il fe hâtoit de fecourir, & il n'en avoit été mortellement offensé. Il étoit fon frere & fon égal, & non fon Dieu. Il expofoit pour lui une vie qui devoit finir, & il n'étoit pas devenu mortel par miséricorde & par charité, étant immortel par fa nature. Toutes ces différences mettent l'a

pas

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