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CH.VII. coupable, il eft bien éloigné de pouvoir juftifier ce qui n'eft criminel qu'à cause de lui. Il faut donc toujours en revenir à la premiere loi & au premier devoir, que l'ignorance & la corruption ne peuvent affoiBlir, & dont aucune prefcription ne peut empêcher ni fufpendre l'activité ni la force.

§. II. Cette obligation d'aimer Dieu devient une nouvelle loi pour la nouvelle créature, par le titre de la rédemption. Cette obligation fera entierement remplie dans le Ciel. Elle ne l'eft qu'imparfaitement fur la terre, à caufe de la cupidité, & ceft le fujet du gémissement des juftes. Que fautil donc penfer de ceux qui fentent plus le joug de la charité que celui de la cupidité ?

1. MAIS ce qui étoit du en vertu de la loi naturelle, & par le titre de création, devient pour la créature nouvelle, une nouvelle loi & un nouveau devoir. Nous nous devions entierement à Dieu, & à la Sageffe éternelle qui nous avoient donné l'être & la vic. Nous nous nous devons une feconde fois au Pere qui nous a donné fon Fils, & à fon Fils qui s'eft livré pour nous. Et cette feconde obligation ne confirme pas feulement la premiere, mais elle y ajoute un degré infiniment fupérieur au premier titre : puifque ce n'eft plus notre vie qui en eft le fondement, mais la vie du Fils unique du Pere, & que ce n'eft plus un bien limité, tel que notre être, mais le don ineftimable d'un Dieu qui nous engage à n'aimer que lui, & qui nous engageroit à l'aimer d'une maniere infinie, fi nous étions capables de lui rendre aurant que nous en avons reçu.

2. Les Saints dans le ciel s'acquitteront CHAP. VIK. pleinement de ces deux devoirs, en aimant felon toute l'étendue de leur volonté naturelle & felon la mesure de la grace qu'ils auront reçue, le Pere de notre Seigneur JESUS-CHRIST & JESUS-CHRIST fon Fils unique. Tout ce que la premiere création Ieur a donné, & tout ce que la feconde y a ajouté, fera uniquement tourné vers ce grand objet: & il y aura dans eux par cette raifon une parfaite juftice, parce qu'aucun amour particulier n'affoiblira dans eux la charité, & qu'il y aura une exacté proportion entre leur reconnoiffance & leurs dons

3. Mais il n'en eft pas ainfi dans cette malheureufe vie, où la cupidité, quoique vaincue, s'oppofe dans les plus juftes au regne de la charité; & où l'efprit & la chair fe combattent par des defirs contraires. Les plus faints ne font pas tout ce qu'ils veulent. Ils font pouffés & retenus par des mouvemens différens. Ils gémiffent, ils prient, ils réfiftent: mais leurs gémiffemens mêmes & leurs efforts font une preuve d'un combat qui partage leurs forces, en divifant leur volonté. Ce n'est pas à la vérité dans des points effentiels que la volonté des juftes eft partagée. Car ils aiment fincerement & fortement la loi de Dieu, & ils regarderoient comme une difpofition criminelle un état Hottant entre le vice & la vertu. Mais lors même qu'ils confentent du fond du cœur à la loi de l'efprit, ils ne peuvent éviter le combat d'une loi contraire qui les follicite & les inquiéte: & cette loi conttaire, fortifiée par les fens, par la préfence des ob jets qui leur plaifent, par l'ufage indifpenfa ble des créatures, par la foibleffe que le pé

CHAP. VIII. ché de notre naiffance nous a laissée, par l'ignorance qui nous cache certaines vérités, par l'oubli qui nous en ôte la vue dans des momens où il faut agir, par la laffitudė qu'une continuelle vigilance caufe à l'ame; cette loi, dis-je, contraire à l'efprit, cnleve atix plus juftes diverfes pensées, divers defirs, diverfes actions, ou par furprife, ou par leur négligence, & détourne ainfi divers petits ruiffeaux du principal canal de la charité, qui fe reffent de ces pertes fecrettes, &qui coule avec moins d'abondance & moins de force vers le bien fouverain, après avoir passé dans des fables brilans, où une partie de fes eaux s'eft perdue.

4. Voilà l'état des juftes & des faints en cette vie, qui ont un befoin continuel que la grace de Dieu répare leurs affoiblissemens & leurs pertes, qu'elle en empêche le progrés & les fuites, & qu'elle couvre par une continuelle indulgence une multitude de fautes legeres, qui deviendroient impor tantes, fi elle ne les leur faifoit expier par feurs larmes, par la pénitence, & par leur miséricorde envers leurs freres. Mais fi ccla eft ainfi, quel est donc l'état de ceux qui veillent peu, qui combattent mollement contre la cupidité; qui fe permettent beau coup de chofes fans les approfondir: qui fe croient libres dans tout ce qui n'eft pas clairement défendu ; qui fe regardent comme maîtres de leur tems & de leurs actions ; qui fe déterminent prefque toujours par Finclination ou par le dégoût; qui ne font que rarement attentifs à purifier la fource de leur amour: qui connoiffent peu les caux étrangeres qui s'y mêlent, & les paffages imperceptibles qui épuifent le princi

pal canal, bien loin de travailler fans relâ- CHAP. VIIL che à détourner le limon, & à conferver les eaux vives d'une charité qui doit remon ter avec force jufqu'à fa fource, & rejaillir, comme le dit JESUS-CHRIST, jusqu'à la vie éternelle : Ces hommes croient-ils remplir le précepte de l'amour ? Qu'ils le demandent aux Saints, fi pleins de follicitude & de vigilance, & fi amérement affligés, de ce que malgré tous leurs foins, & malgré même leurs inftantes prieres, ils ne peuvent offrir à Dieu, un cœur qui foit uni quement à lui, bien loin de lui confacrer Toutes leurs pensées, toutes leurs puiffances, & toute leur ame, qui porte dans fon fein les reftes du vieil homme avec les prémices du nouveau.

5. On confole les faints, & on a raifan de les confoler, en leur repréfentant que le deffein de Dieu en leur laiffant la cupidité, eft de les tenir dans une continuelle dépendance de fa grace, de les affermir dans fon amour par l'humilité, & de les affujettir à une continuelle pénitence par le befoin d'une remiffion continuelle des péchés inévitables aux plus juftes. On les confole en Leur faifant efpérer un autre état où la charité feule regnera, & où ils auront enfin une pleine & parfaite juftice, dont ils ont maintenant une fainte faim, & une ardente foif, & où il leur fera donné d'aimer autant qu'ils le defirent. Mais cette double confolation peut-elle convenir à ceux qui fentent plus le joug de la charité, que celui de la cupidité? qui refferrent, autant qu'ils le peuvent, le doux & continuel précepte de l'amour; qui cherchent des prétextes, des difpenfes, des excuses, an

CHAP. VII, moins contre fon exactitude & contre for étendue, & qui regardent comme un pays de liberté & de franchife tout le territoire qu'ils tâchent de fouftraire à fon empire,

Tai. 61. 8.

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6. Ne faut-il pas au contraire faire fouvenir ces perfonnnes foibles, dont le cœur eft lent & pareffeux, que lorfque tout eft dû, il n'eft pas poffible de rien excepter; que quand on eft infolvable, toutes les ré ferves fecrettes font interdites, & qu'il ne peut leur être perinis d'aimer quelque chofe hors de Dieu qui ne lui foit point rapporté, qu'à une feule condition, qui est d'avoir un autre cœur que celui qu'ils ont reçu de lui? Car il demande tout entier celui qu'il a donné. S'ils en ont un autre, an autre efprit, ou une autre ame, ou d'autres puiffances que celles qu'ils tiennent de lui, ils en peuvent difpofer. Mais fa volonté fur l'ufage de tout ce qu'il a donné, eft clairement marquée. Il veut tout, & il exige tout. Comment peut-on efperer qu'il fera contraire à lui-même ? ou qu'on lui cachera le larcin qu'on fait d'une partie de l'holocaufte, dont il ne peut fouf frir qu'on retranche quoique ce foit: Ego Dominus, diligens judicium, & odio babens rapınam in holocaufto.

§. III. Tout amour qui ne fe rapporte pas à Dieu, eft impur.

1. ON vous aime, Seigneur, moins qu'on ne doit, dit faint Auguftin, lorfqu'on aime avec vous quelque chofe qu'on 1.To. Conf.c. n'aime pas pour vous. Minus te amat, tecum aliquid amat, quod non propter te amat. Cette vérité eft non-feulement cer

29.

qui

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