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CHAP. VIII. étant l'amour, & notre cœur étant comme la vie de notre ame, nous ferionstoujours indigens & toujours malheureux,fi nous étions contraints d'errer de biens particuliers en biens particuliers, fans pouvoir nous fixer dans aucun, parce qu'aucun n'a les mêmes caracteres que nos defirs, qui font immenfes & infinis, & que rien ne peut les fatisfaire, s'il n'eft le bien univerfel, le bien même dans fa fource, le bien par effence & par état.

2. Quelque injuftes & quelque aveugles que nous foions, notre injuftice & notre crreur ne changent ni nous, ni les biens. Nous n'avons rien de moins, & les biens n'ont rien de plus. La difproportion entre eux & nous fubfifte malgré nous. Nos pensées & nos paffions peuvent nous tromper avant l'expérience & l'effai: mais l'expérience & l'effai nous détrompent, fans que nous puiffions en empêcher l'effet.

3. Nous accufons alors notre méprife, ou l'objet; mais avec efpérance de mieux réuffir, en faifant un autre choix. Et ce nouveau choix, causé par la même illufion, eft puni par le même repentir. Nous fommes ainfi toujours occupés de la recherche, & toujours trompés. Ne ferions-nous pas bien malheureux, fi cette inquiétude & cette continuelle méprife étoient fans remede? Et n'est-ce pas pour nous une grace d'un prix infini, qu'il nous foit permis. car je mets à part le commandement) de fixer enfin notre cœur & fes defirs dans le feul bien capable de les remplir?

4. Où pouvons-nous en effet les fixer, que dans la vérité même, & dans celui de qui nous tenon's tout ce que nous avons, & tout ce que nous fommes? Y a-t-il pour

nous un afyle plus sûr? Pouvons-nous CHAP. VII. mettre en dépôt nos defirs & nos espérances dans des mains plus fidelles plus puiffantes? Et après tant d'expériences, qui n'ont fervi qu'à nous laffer & qu'à tromper notre avidité, ne devons-nous pas regarder comme un bonheur la liberté que Dieu nous accorde, de venir enfin nous repofer auprès de lui, & de le fupplier de remplir un cœur dont le poids nous accable, & dont l'activité nous devore Ibi fige man- S. Aug. lib. fionem tuam; ibi commenda quidquid inde 4. Conf. c. 1 habes, anima mea, faltem fatigata falla- n. 1, ciis. Veritati commenda, quidquid tibi eft à veritate, non perdes aliquid.

§. VI. Ce feroit pour nous un grand malheur de laiffer perdre par les différens écarts de l'amour notre bien le plus précieux, au lieu de le réunir en Dieu feul.

1. CEs mots, non perdes aliquid, renferment un grand fens, & font une puiffante exhortation pour réunir en Dieu & en JESUS-CHRIST fon Fils tout notre amour. Car que deviendront tous les ruiffeaux particuliers qui fe détournent de cette fource? Ou fe terminent-ils ? Quelle en eft la fin, & quel en eft le fruit? Je fuppofe que ces écarts foient permis, au lieu qu'ils font injuftes. Je fuppofe qu'ils foient exemts de péché, au lieu qu'ils font contre l'ordre & contre la loi naturelle. N'est-ce pas pour nous un grand mal, qu'ils foient infructueux & stériles? Pourquoi laiffonsnous tomber dans un égout des eaux defti nées à embellir & à arrofer un jardin ? A, quam fluentem in cloacam converte in hote

CHAP. VIII. tum, nous dit faint Augustin ; & n'a-t-il raifon de nous le dire?

pas

2. Que nous reftera-t-il à la fin de la vie, de tout ce qui fe fera répandu en chofes frivoles, en ufages temporels, en defirs fugitifs & paffagers? Pourquoi confentons-nous fi facilement que notre amour fe partage & s'épuife en mille objets que le tems nous enleve? Et pourquoi tra➡ vaillons-nous nous-mêmes à nous appauvrir, en diffipant le plus précieux & le plus cher de nos biens, qui eft l'amour? Le menfonge & la vanité nous enlevent par notre imprudence, ce que la vérité nous eût confervé. Ferons-nous toujours la même faute ? & ne comprendrons-nous point enfin que c'eft nous feuls qui perdons, quand nous diminuons quelque chofe de l'amour que nous devons à Dieu ? Veritati commenda, quidquid tibi eft à veritate, & non perdes aliquid.

§. VII. Dieu en nous ordonnant de l'aimer, nous commande de chercher notre bonheur où il eft, & nous défend d'être malheureux.

SI un autre bien.. que Dieu pouvoit nous rendre heureux, Dieu qui cft l'équi té même, nous permettroit de l'aimer. Le commandement qu'il nous fait de l'aimer feul, & de l'aimer fouverainement, eft uniquement pour nous: & ce commandement fe réduit à celui de chercher notre bonheur où il eft, & à la défense d'être misérables. Cherchez, nous dit Dieu par ce grand précepte, ce que vous cherchez; mais cherchez-le où il eft. Vous defirez d'être heureux: & puifque c'est moi qui vous en

infpire le defir, je n'ai garde d'y mettre CHAP. VIIT obftacle. Mais où voulez-vous être heureux? En quel tems, & comment ? Est-ce dans votre exil, & dans le tems de votre pénitence, que vous devez l'être? Et pouvez-vous le devenir par l'abus des créatures, d'ont l'ufage feul vous eft permis, & qui ne font point votre fin? Puis-je leur ceder mon rang & ma gloire? Puis-je vous dégrader pour elles, & effacer en vous mon image? Puis-je, parce que vous ne connoiffez pas votre dignité, changer votre deftination, & confentir à votre aviliffement? Dois-je contribuer à vous tromper, ou confentir à votre séduction Mon commandement eft pour vous rappeller à vous-même & à vos interêts, en vous attachant à moi. Comprenez-te bien, & regardez-le comme une défense que je vous de vous dégrader vous-mêmes, & de

vous rendre malheureux. Quarite quod Aug. lib. 42 quaritis fed ibi non eft, ubi quaritis. Bea- Conf. c. 12-24 tam vitam queritis in regione mortis; non eft illic. Quomodo enim beata vita 2.

vita?

ubi néc

§. VIII. L'amour de Dieu fans partage peut feul nous rendre heureux dans cette vie.

1. Si quelque chofe peut nous rendre heureux dans cette vie, quoique mêlée de mille afflictions, & destinée aux larmes & à la pénitence, c'eft de nous livrer pleinement à l'amour que nous devons à Dieu, non-feulement parce qu'un tel amour eft néceffairement accompagné d'une vive efpérance, & qu'une efpérance d'un bonheur

2.

CHAP. VIII. éternel eft déja une réelle félicité: mais parce que l'amour de Dieu, quand il rem plit le carur, le confole, le fixe, le tient dans une profonde paix. Lorfque je vous ferai parfaitement uni, difoit faint Auguftin en parlant à Dieu, & que vous fercz l'unique objet de mon efprit & de mon cœur, je ferai délivré de tout ce qui peut troubler ma joie; & ma vie fera pleinement vie, parce que vous la remplirez pleineLib. 10. Conf. ment. Cùm inhafero tibi ex omni

6.2.1.1.

me,

omnino nufquam erit dolor & labor, & vi va erit vita mea, tota plena te. Mais maintenant, parce que vous élevez & foulagez l'ame à proportion de ce que vous la reme pliffez, j'éprouve que je me fuis à charge a moi-même, à caufe que je ne fuis, pas plein de vous. Nunc autem, quoniam quem iu imples, fublevas eum: quoniam tui ple nus non fum, oneri mihi fum. De fauffes joies, qui méritent d'être pleurées, letitia flenda, s'oppofent à une falutaire trifteffe, qui doit être la matiere d'une folide joie, To tendunt cum latand.s mæroribus. Et au contraire une mauvaife trifteffe combat en moi une fainte joie, contendunt mærores mei mali cum gaudus bonis ; & fouvent j'ignore de quel côté eft la victoire: ex qua parte ftet victoria, nefcio.

2. Cette humble fincérité de faint Auguftin nous apprend que tout ce qui partage l'amour que nous devons à Dieu, Ou qui diminue fon regne, ou qui le met dans la néceffité de combattre contre l'amour des autres biens, eft un obftacle à notre confolation & à notre bonheur: que c'eft

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