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étonnement à un autre beaucoup mieux CHAP. V. fondé, & il admire combien il en coute à fon Créateur pour réformer fon propre ouvrage, qui ne lui avoit couté dans le commencement qu'un fouffle, & qu'une légere occupation de fes mains. Il connoît alors le prix inestimable de l'homme, par le prix infini dont il eft racheté. Il connoît fa grandeur par les humiliations & par les opprobres de fon Libérateur. Il connoît fa dignité par le profond anéantiffement où le Fils de Dieu s'eft réduit pour la lui rendre. Il connoît fa gloire & fa félicité paf-fée, par les douleurs & par le fupplice également cruel & deshonorant du Roi de gloire qui fe met à fa place.

4. Mais en faifant réfléxion fur les abaiffemens & fur les fouffrances de J. C. qui font le prix de la rédemption de l'homme, il en fait auffi une férieufe fur la mifere inconcevable où l'homme étoit tombé. Car il faut, dit-il en lui-même, que l'abîme où il s'eft précipité, fût bien profond, puifque fon Dieu pour le chercher & pour le rele

ver,
eft obligé de defcendre fi bas, & de fe
rendre femblable à un ver de terre fans dé-
fenfe & fans aucune force apparente; de
s'expofer aux outrages les plus fenfibles; de
fouffrir qu'on deshonore fon vifage par des
foufflets, & même par des crachats, comme
s'il étoit l'objet le plus digne d'infulte, de
mépris & d'exécration. Il faut, continue-
t-il, que l'image de Dieu que l'homme a-
voit reçue fût bien défigurée & bien mécon-
noiffable pour ne pouvoir être réparée que
par de telles indignités.

5. Elle n'étoit pas abfolument effacée : car elle ne peut l'être entierement que par

CHAP. V. l'anéantiffement de l'homme. Mais, excep té quelques grands traits, que fa mifere & fes vices n'avoient pû abolir, tous les autres étoient difparus. Elle étoit comme ces anciens tableaux, où l'on ne diftingue que la taille & le contour de la figure, mais on tous les traits du vifage font effacés ou confus, fans qu'on puiffe difcerner quel eft celui que la figure repréfente. Elle étoit comme ces reftes d'architecture, qui fubfistent au milieu des raines, & qui marquent encore la fçavante main qui avoit taillé les colonnes, & conduit tout l'édifice; mais qui ne fervent qu'à faire déplorer les débris d'un fi grand ouvrage. Ou plûtôt, ce qui reftoit dans l'homme de fon ancienne reffem blance avec Dieu, devoit être comparé à un tableau dont plufieurs traits originaux é toient effacés, & où une main nouvelle & ignorante en avoit formé d'irréguliers & de difformes, fans qu'on pût difcerner qu'avec peine les anciens & les nouveaux, ni reconnoître l'idée du premier deffein. Elle reffembloit encore à un temple tombé en ruines, mais ou quelques colonnes reftées dans leur entier étoient placées fans ordre & fans fymmétrie, & mêlées avec d'autres défigurées, ou parce qu'il n'en reftoit que des fragmens, ou parce qu'elles étoient ajoutées par des hommes, qui avoient bâti au milieu des ruines, des grottes & des cabanes, plus propres aux bêtes qu'aux ufages de religion: en forte que tout y étoit confondu, le religieux & le profane, l'art & l'ignorance, l'édifice ancien avec des ou vrages de terre & de boue.

5. IV. JESUS-CHRIST feul pouvoit démêler ces deux chofes, & retracer fon image en nous. Mais jamais l'ange ni l'homme n'auroient pensé au moyen qu'il a emploié pour cela. Ce moyen,en prouvant fon amour pour nous, marque auffi la nobleffe de notre ori gine, & la grandeur de notre chute.

L

1. Il n'y avoit que la Sageffe éternelle qui pût, au milieu de cette confufion & de ce mélange, difcerner ce qui venoit d'elle, & ce que l'erreur & l'ignorance y avoient ajouté, retranché, défiguré, perverti. II n'y avoit qu'elle qui connût fon deffein & fes vûes, & à quoi il lui avoit plû de deftiner l'homme. Il n'y avoit qu'elle qui fût capable de réédifier un temple que les ruines & la profanation avoient réduit à une retraite de bêtes impures. Il n'y avoit qu'elle qui pût retracer un tableau que fon ennemi avoit rendu difforme par l'effet d'une haine encore plus grande contre le modéle, que contre fon expreffion & fon image. 2. Mais avant que les pensées de cette divine Sageffe nous fuflent manifeftées par le myftere de la croix, il ne nous feroit jamais venu dans l'efprit qu'elle dût emploier autre chofe que fa volonté & fa puiffance, pour réformer ce que fa volonté & fa puiffance feules avoient fait. Jamais l'homme, jamais les efprits céleftes n'auroient imagi né le moyen qu'elle a choifi. Avant la révélation, ni l'œil, ni l'oreille n'avoient vu ni entendu rien de pareil. Jamais un tel excès de charité n'auroit paru vraisemblable ni à l'efprit, ni au cœur de l'homme ; & par conséquent ni l'homme, ni l'ange n'étoient

CHAP. V..

CHAP. V. de juftes eftimateurs de la grandeur de l'homme, ni de l'excès de fa mifere. Il falloit être Dieu pour connoître à fond l'un & l'autre. Il falloit être la fin de l'homme & fon fouverain bien, pour juger de fa haute élévation, & de la chute qui l'avoit brisé. Il falloit être la grandeur même & la miséricorde même, pour avoir fait l'homme fi grand, & pour le délivrer d'une fi profonde mifere par un tel excès de bonté.

3. O mon Dieu, de qui j'avois tout reçû, & qui me rendez tout après que j'ai tout perdu, je n'ai qu'à confidérer le prix que vous paicz pour moi, pour connoître ma dignité paffee, & combien j'étois incapable de la recouvrer; combien vos dons étoient grands, & combien j'étois devenu infolvable; combien j'avois dû à votre bonté, & combien je devois à votre juftice. Vous m'aviez fait fi grand, que vous étiez feul au-deffus de moi & dans ma plus grande mifere, vous avez été fi touché du refte d'une grandeur que j'avois deshonorée, que vous l'avez préféré à votre vie, à votre félicité, à votre gloire, & que vous ne vous êtes pas contenté de me relever en vous abbaiffant pour moi jufqu'à la mort, jusqu'au tombeau, jufqu'aux enfers: mais qu'en confentant à vous unir à moi pour me ref fembler, vous m'avez uni éternellement à vous, afin que je devinffe votre image d'une maniere infiniment plus parfaite que le premier homme dans le tems de fon innecence & de fa juftice.

§. V. Cette nouvelle image efi plus parfaite & plus glorieufe que la premiere, puifqu'elle nous unit à Dieu même. Ainfi rachetés & réparés par JESUS-CHRIST, nous lui appartenons par un nouveau titre encore plus puissant que le premier.

1. Il étoit alors votre image, mais il n'étoit pas vous. Il n'étoit pas uni à votre perfonne. Il n'étoit pas Dieu par cette union qui m'étoit réfervée, & ce qui eft inconcevable, qui m'étoit réfervée dans le tems de ma plus grande mifere. Je me confole, ô fouveraine bonté, de la perte d'une reffemblance moins parfaite & plus éloignée, quoique je fois très-coupable de l'avoir perdue. Celle que vous me rendez eft bien d'un autre prix;& ce n'eft inême que par rapportà elle que je juge que le prix qu'elle vous coute n'eft point exceffif: car une dignité infinie, mérite d'être achetée par un prix infini; & rien n'eft exceffif ni dans les abaissemens, ni dans les douleurs, ni dans la mort d'un Dieu, quand il s'agit de porter l'homme jufqu'à ce dégré de gloire, qu'il foit avec Dieu une même perfonne, & qu'il le foit toujours.

2. Je fçai que l'union perfonnelle de l'homme avec Dieu n'eft que dans vous feul & pour vous feul, ô mon Sauveur, & qu'elJe n'a jamais pû être méritée du côté de l'homme. Mais nous pouvions n'y avoir au cune part, & nous étions très-indignes d'y en avoir; & c'eft pour nous y affocier, que Yous avez fouffert tant de tourmens & tant d'opprobres. Vous nous avez communiqué la gloire, que votre fainte humanité a re

CHAP. V.

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