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étoient accompagnées de vices qui n'étoient pas moins grands, une cruauté atroce, une perfidie plus que Punique, rien de vrai ni de fain dans fon procedé; aucune crainte des Dieux, fans foi & fans religion. Avec ce mêlange de vertus & de vices, il fervit trois ans fous Afdrubal, & pendant ce temps-là, il donna tant de marques de capacité & de courage, qu'Afdrubal ayant été tué une nuit dans fa maifon par un Gaulois à qui il avoit fait quelque injure, que malgré fa jeuneffe, car il n'avoit pas encore vingt-cinq ans, on lui donna le gouvernement de l'Espagne. Il ne fe vit pas plûtôt à la tête des troupes, que fans perdre un moment, il fit connoître qu'il feroit plus fidele au ferment qu'il avoit fait à fon pere, qu'au traité fait avec Lutatius & enfuite avec Afdrubal. Il passa l'Ebre & se jetta dans la Province des Olcades, peuples de l'Efpagne Tarraconoife, affiégea Althea qui en étoit la capitale, ville trèsriche, la prit de force & la pilla. Les villes voifines effraïées fe rendirent par composition, & Annibal ramena ses troupes chargées de butin, paffer l'hyver à Carthage la neuve. Là il partagea le butin à fes foldats, & leur païa tout ce qui leur étoit dû de leur folde; & aïant affermi par ce moyen la fidelité de fes troupes & celle de fes alliez, dès que le printemps fut venu, i il fe jetta dans la Province des Vaccéens. D'abord il fe rendit maître de la ville d'Elmantique, & alla mettre le fiége devant Albucare, place très

forte

forte qui fit une vigoureuse réfiftance, & qui lui donna beaucoup de peine, mais enfin il la prit d'affaut. Les Carpetiens qui étoient les peuples les plus aguerris de cette contrée, s'étant joints à ceux qui avoient été chaffez des Olcades, & à ceux qui étoient fortis d'Elmantique, l'attaquerent à son retour. Ils étoient plus de cent mille hommes ; de forte que si Annibal leur eût donné bataille, il auroit été en grand danger, Mais comme il n'avoit pas moins de prudence que de valeur, il fit fa retraite en grand Capitaine, & profitant d'une nuit obfcure, il paffa le Tage qu'il mit devant lui pour se couvrir, & s'éloigna du bord pour donner aux ennemis l'audace de le paffer. En effet les ennemis prenant cet éloignement pour un effet de fa crainte, & croïant qu'il n'y avoit que cette riviere qui mit un obftacle à leur victoire, ils fe jettent en foule dans l'eau fans attendre d'ordre, Annibal revient fur eux, tue tous ceux qui font paffez, lâche fa Cavalerie dans l'eau contre ceux qui paffent encore, dont les uns font emportez par la rapidité du fleuve, les autres font mis au fil de l'épée, ou regagnent leur bord. Annibal les fuit, passe la riviere, fait main baffe fur tous ceux qui s'opposent à ses efforts, acheve leur défaite, & en très-peu de jours il reçoit les Carpetiens à compofition,

Après ce grand fuccès, il n'y avoit au-delà de l'Ebre que Sagonte qui pût s'opposer à ses arTome IX,

B

mes: mais Annibal avant que de l'attaquer, & de donner aux Romains un jufte prétexte de lui déclarer la guerre, voulut achever de soûmettre tout ce qui étoit aux environs. Il retourne à Carthage la neuve, il y trouve les Ambassadeurs des Romains qui lui demandent qu'il n'entreprenne rien contre Sagonte leur alliée, & qu'il ait à s'abstenir de paffer l'Ebre felon un des articles du Traité fait avec Afdrubal. Annibal leur répondit avec fierté, que bien loin qu'ils euffent regardé Sagonte comme leur alliée, ils l'avoient traitée comme leur ennemie, puifqu'aïant été appellez pour y calmer une fedition qui s'y étoit émûë, ils avoient fait mourir injustement un grand nombre de citoyens ; qu'il ne laifferoit donc point fans punition cette perfidie & qu'il fuivroit les maximes de fes ancêtres, qui ne fouffroient point qu'on fît injure à perfonne, & moins encore à leurs voifins.

Ces Ambaffadeurs vont porter leurs plaintes à Carthage. Cependant Annibal part de Carthage la neuve à la tête d'une redoutable armée, & s'approche de Sagonte. Cette place étoit la plus forte & la plus riche de tout le païs. Elle eft fituée à mille pas de la mer au pied des montagnes qui féparent l'Espagne de la Celtiberie. Annibal en forme le fiége qui fut long & difficile, & où il courut de grands dangers. A un afsaut, comme il s'expofoit le premier fans aucun ménagement, il eut la cuiffe percée d'un trait. Sa

blessure rallentit les attaques: mais bien-tôt après il la pressa plus vivement.

Sur ces entrefaites, on lui rapporte qu'il arrive de nouveaux Ambaffadeurs des Romains pour l'obliger à abandonner le fiége. Annibal envoïe au-devant d'eux fur le rivage de la mer leur dire, qu'il n'y a pas de fûreté pour eux de s'avançer au travers de tant de nations feroces qui ont les armes à la main, & que pour lui, au milieu de fi grandes affaires, il n'a pas le temps de les écouter; & fe doutant bien que ces Ambassadeurs iroient à Carthage, il écrivit à ceux de sa faction , pour les prévenir & pour les préparer à faire tous leurs efforts pour empêcher qu'on ne leur accordât leurs demandes.

Ces Ambaffadeurs introduits dans le Senat, fe plaignirent d'abord de l'infraction des Traitez, & demanderent qu'on leur livrât Annibal avec tous les Officiers qui avoient été de son avis. Hannon qui étoit de la faction opposée à Annibal, parla avec beaucoup de force pour appuïer la cause des Romains. Il dit qu'Annibal ne cherchoit à continuer & à étendre la guerre, que pour s'ouvrir un chemin à la Monarchie; qu'il avoit rejetté l'Ambaffade de leurs alliez qui étoit envoyée pour des alliez, lorfqu'il eft inoüi qu'on ait jamais rejetté une Ambaffade d'un ennemi même. Que s'ils n'y prennent garde, les ruines de Sagonte tomberont fur Carthage, & que les Legions Romaines viendront affiéger cette vil

le, fous la conduite des mêmes Dieux, qui dans la guerre précedente, ont déja puni fi feverement & d'une maniere fi visible l'infraction des Traitez; qu'on livre donc Annibal aux Romains qui le demandent, & quand perfonne ne le demanderoit, je confeillerois de releguer au bout de la terre ce monftre qui, s'il n'eft puni, causera enfin notre entiere ruine. Je fuis d'avis qu'on envoye une Ambaffade à Rome pour faire latisfaction au Senat, une autre à Annibal pour lui ordonner d'abandonner le fiége de Sagonte, & une troifiéme pour faire rendre aux Sagontins tout ce qu'on leur a enlevé.

Ce difcours fut inutile; le fenat prévenu pour Annibal, , renvoya les Ambaffadeurs avec cette réponse, que les Sagontins étoient la cause de la guerre, &nullement Annibal, & que les Romains commettroient une très-grande injustice, s'ils préferoient les Sagontins à l'ancienne alliance des Carthaginois.

Cependant Annibal pouffe le fiege avec plus d'ardeur; il fait offrir des propofitions aux Sagontins, qui les trouvant trop dures, & réduits au dernier defespoir, allument un grand feu au milieu de la place, y jettent leur or & leur argent, & tout ce qu'ils ont de plus précieux, & la plûpart s'y précipitent eux-mêmes. Annibal profitant du tumulte & du defordre que cette fureur excite dans la ville, donne un affaut, & s'en rend maître après huit mois de fiége, fait passer au fil de l'épée tous ceux qui font en âge

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