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de porter les armes, s'en retourne à Carthage la neuve & met fes troupes en quartier d'hy

ver.

,

Les Ambaffadeurs de retour à Rome, y annoncent la prise de Sagonte & la guerre qui fe prépare. Les Romains confternez de cette nouvelle, & plus honteux encore d'avoir laiffé périr Sagonte, & de n'avoir pas fecouru leurs alliez, fe préparent à fe défendre ; mais avant que de déclarer la guerre, ils envoyent à Carthage quatre Ambassadeurs, à la tête desquels étoit Quintus Fabius. Leur inftruction portoit de demander aux Carthaginois, fi Annibal avoit détruit Sagonte de fon propre mouvement, ou par l'ordre de fes Superieurs ? Fabius introduit à l'audience, s'acquitte de fa commiffion. Les Carthaginois répondent qu'il ne s'agit pas de fçavoir par quels confeils & par quels ordres Sagonte avoit été détruite, mais feulement si c'est avec justice ou contre les Traitez. Que dans le traité fait avec Lutatius, où l'on n'avoit fait aucune mention des alliez de part & d'autre, il n'étoit nullement parlé des Sagontins, qui n'étoient pas encore leurs alliez ; que veritablement par le traité fait avec Afdrubal, les Sagontins avoient été nommément exceptez ; & qu'à cela ils ne feroient d'autre réponse que celle qu'ils avoient apprise des Romains eux-mêmes: car comme les Romains n'avoient pas crû devoir fe tenir au traité de Lutatius, parce qu'il n'avoit pas été ratifié &

autorifé par le Senat & par le peuple, eux de même ne fe croyoient point obligez à se tenir au Traité fait avec Afdrubal, parce qu'il avoit été fait fans leur autorité. Qu'ils ne parlaffent donc point ni de l'Ebre ni de Sagonte, & qu'ils déclaraffent nettement le deffein qu'ils couvoient dans leur cœur.

A ces mots Fabius raffemblant un pan de fa robe, Je vous apporte, leur dit-il, la paix ou la guerre, choififfez. Les Carthaginois répondirent avec la même fierté : Donnez-nous celle que vous avez choifie vous-mêmes. Et Fabius dépliant le pan de sa robe, comme s'il en avoit verfé la guerre, je vous don ne donc la guerre, leur dit-il. Nous la recevons, s'écrierent les Carthaginois, & nous la ferons avec le même courage que nous l'acceptons. Cette déclaration de guerre parut plus digne de la majesté de Rome, que de s'amufer à disputer sur les termes des Traitez. Quoiqu'à ne regarder même que ces termes, la juftice parût toute entiere du côté des Romains: car dans le traité de Lutatius, on avoit exprimé cette claufe, qu'il ne feroit valable qu'étant ratifié par le peuple; au lieu que dans celui d'Afdrubal, on n'avoit fait aucune mention de cette claufe, & qu'il paroiffoit avoir été affez ratifié par le filence de plufieurs années pendant la vie d'Afdrubal, & qu'après fa mort on n'avoit point parlé d'y rien changer. Que d'ailleurs quand on ne confulteroit que le premier traité fait avec Lutatius, les Sagonțins y paroiffoient compris fans

être nommez, puifque dans ce traité, on exceptoit tous les alliez des deux nations, & on n'avoit point diftingué ceux qui l'étoient alors, de ceux qui le deviendroient dans la fuite. Car puifqu'il a toûjours été permis de faire de nouveaux alliez des peuples qui ont rendu de grands services, quelle justice y auroit-il à les abandonner après les avoir reçus ? Que l'efprit de ces Traitez étoit de ne pas folliciter les alliez des Carthaginois à changer de parti, & de ne pas les recevoir, s'ils vouloient changer d'eux-mêmes.

Ces Ambassadeurs ayant fi mal réuffi à Carthage, allerent, fuivant leurs ordres, en Espagne pour tâcher d'attirer les Villes, ou de les détourner de l'alliance des Carthaginois. Ils gagnerent d'abord les Burgusiens, déja las de la domination de ce peuple, mais ils furent mal reçus des Volfcianiens qui leur répondirent qu'ils allaffent chercher des alliez dans les lieux où le bruit de la ruine de Sagonte n'auroit pas retenti; que cette ruine étoit pour tous les Espagnols une leçon trifte, mais fenfible; qu'on ne devoit point fe fier à la foi & à l'alliance des Romains. De là ces Ambassadeurs passent dans la Gaule pour demander aux Gaulois qu'ils ne donnaflent point paffage dans leurs terres aux Carthaginois. Cette demande fut requë avec un ris mêlé de colere & d'indignation: car ils trouvoient qu'il y avoit de la folie & de l'impudence à leur demander que, pour empêcher la guerre de paffer en Italie, ils

la reçûffent dans leur païs, & que pour épargner les terres des Romains, ils expofaffent les leurs au pillage.

à

Tous les grands fuccès qu'Annibal avoit eus en Espagne ne rempliffoient pas fon ambition, & fatisfaifoient encore moins la haine implacable qu'il avoit voüée aux Romains. Pendant qu'il hyverne à Carthage la neuve, il fait ses préparatifs pour porter la guerre en Italie & attaquer Rome dans Rome même, Il affemble d'abord tous les Efpagnols qu'il avoit dans fes troupes, leur permet d'aller paffer l'hyver dans leurs maisons, condition qu'ils fe rendront auprès de lui au printems, & va à Cadix pour s'acquitter de quelques vœux qu'il avoit faits à Hercule. Après fon retour, avant que de s'engager dans une expedition fi longue & fi difficile, il pourvut avec beaucoup de prudence à la fûreté de l'Afrique & de l'Espagne, en faisant paffer en Espagne des foldats Afriquains, & en Afrique des foldats Efpagnols; & laissant en Espagne fon frere Asdrubal avec cinquante-fept galeres pour y commander, il fe mit en marche avec les troupes qui s'étoient renduës auprès de lui,

De toutes les entreprifes des grands Capitaines, il n'y en a point de plus merveilleufes & de plus dignes de memoire, que les grandes marches pour porter la guerre en des païs fort éloignez: car là fe réuniffent d'ordinaire tous les obstacles qu'on a à furmonter dans toutes les autres actions

de

de la guerre les plus perilleuses; & il y en a une infinité d'autres qui ne fe trouvent point dans celles-ci. Il ne fuffit pas de vaincre là résistance des hommes, il faut vaincre encore celle des lieux & des élemens.

Celle d'Annibal en Italie, eft une des plus furprenantes qui ayent jamais été faites. Elle a paru i étonnante aux historiens, qui avant Polybe avoient entrepris de la décrire, que pour la rendre croyable, ils ont eû recours aux miracles à la maniere des anciens hiftoriens, qui pour divertir davantage les Lecteurs, mêloient la fable avec l'histoire. Polybe a blâmé avec raison l'impertinence de ces historiens, & a fait voir que l'hiftoire ne doit nullement recourir aux fictions qui ne font propres qu'à la poëfie. Malgré cette grave cenfure, Tite-Live n'a pas laiffé de rapporter un de ces miracles comme un bruit de la renommée, en nous difant, qu'Annibal arrivé à la ville d'Etovissa & fur le point de passer l'Ebre, vit une nuit en fonge un jeune homme d'une figure toute divine , qui lui dit, qu'il étoit envoié par Jupiter pour lui fervir de guide & pour le conduire en Italie; qu'il eût donc toujours les yeux attachez fur lui. C'est ainfi qu'Homere

feint

que Mercure fe presente à Priam, &lui dit qu'il est envoyé par Jupiter pour lui faire traverfer fecretement le le camp des Grecs & pour le conduire jufqu'à la tente d'Achille. Ce que Tite-Live ajoûte, encherit encore fur cette fiction: car il dit qu'Annibal effraïé d'abord de cette vision, fuivit ce jeune homme fans regarTome IX.

C

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