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der autour de lui, & qu'enfuite penfant en lui-même ce que pouvoit être ce qu'il lui étoit défendu de regarder, il n'eut pas la force de retenir fa curiofité; qu'ayant tourné la tête, il vit un ferpent d'une grandeur merveilleuse, qui s'avançoit avec un grand abbatis d'arbres & de buissons, & qui étoit fuivi d'un nuage affreux accompagné de tonnerres ; qu'il demanda ce que fignifioit ce prodige, qu'il entendit une voix qui lui dit que c' c'étoit le ravage de l'Italie; qu'il n'avoit qu'à continuer fon chemin fans s'en informer davantage, &à laiffer les destinées dans leur fecret.

Voilà le premier prétendu miracle qui fut fait en faveur d'Annibal dès le commencement de sa marche ; mais dans le passage des Alpes, ces historiens ont recours à des prodiges encore plus grands.Ils repréfentent ces monts comme entierement impraticables, & comme si jamais ni bêtes ni hommes n'y avoient paffé. Ainfi il falloit neceffairement qu'un Dieu defcendit du ciel pour mener Annibal par la main, & pour lui faire furmonter ces paffages où toute fon armée auroit peri infailliblement fans ce fecours.

Mais Annibal, un des plus fages & des plus prudens Capitaines qui ayent jamais commandé des armées, n'étoit pas affez infensé pour s'engager dans une entreprise dont le denouëment n'auroit pû être fait que par une machine comme dans une Tragedie. Il fçavoit que les Gaulois avoient plus d'une fois paffé ces monts avant lui avec des armées nombreuses; il s'étoit informé des chemins qu'ils avoient tenus, & qu'il devoit tenir,

& il avoit pourvû à tout ce que la prudence humaine exigeoit pour s'affûrer le fuccés d'un fi grand dessein. Polybe eft en cela plus croyable que ces hiftoriens: car il n'écrit pas fur les bruits confus de la renommée, il rapporte ce qu'il a appris des témoins mêmes de cette expedition, & pour mieux s'affûrer de la verité, il avoit eu foin d'aller vifiter les lieux où Annibal avoit paffé avec les troupes.

Quand Annibal partit de Carthage la Neuve, il avoit quatre-vingt dix mille hommes de pied & douze mille chevaux. Il paffa l'Ebre fans trouver aucune résistance; mais en approchant des Pyrenées il eut à livrer plufieurs combats, & à se rendre maître de plusieurs places assez fortes.— Il perdit dans ces occasions vingt-deux ou vingttrois mille hommes.

Il laissa fon frere Hannon pour commander entre l'Ebre & les Pyrenées avec dix mille hommes de pied & mille chevaux. Il en renvoya un pareil nombre dans leurs maifons, pour fe concilier l'affection d'une infinité de familles, & pour laiffer dans le païs de quoi faire des recrues quand il en auroit befoin. Tite-Live affûre que dans ce dernier parti, il s'accommoda à la neceffité par un effet de fa prudence car voyant que trois mille hommos de fon infanterie rebutez par les difficultez de cette entreprise, avoient deserté dans le passage des Pyrenées, qu'il étoit dangereux de les faire revenir & de les retenir par for

ce, il fit semblant de les avoir congediés, & en renvoya encore sept mille de ceux qui lui parurent les plus découragez & les plus capables de décourager les autres.

Avec cinquante mille hommes de pied & neuf mille chevaux qui lui restoient, il passa les Pyrenées & prit le chemin du Rhone. Pour traverfer toutes les terres des Gaulois il fallut gagner les uns par argent & réduire les autres par la force. Après divers combats, il arriva au bord du Rhofne à quatre journées de la mer. Les Gaulois qui habitoient au delà, s'affemblerent & se fenterent de l'autre côté pour lui difputer le paffage.

pre

Annibal voïant qu'il ne pouvoit paffer ce fleuve devant une armée fi nombreuse, ni demeurer là long-tems fans être enveloppé, détacha la nuit du troifiéme jour la moitié de fes troupes, avec ordre de remonter le long du Rhofne & de chercher un paffage, pendant que par fa présence il amuferoit les Gaulois, & feroit travailler à des barques.

Ces troupes détachées fous la conduite d'Hannon fils de Bomilcar, remonterent cinq ou fix lieuës; & ayant trouvé quantité de bois, ils creuferent une infinité d'arbres fur lefquels elles pafferent le Rhofne. Après s'être repofées un jour, elles defcendirent de l'autre côté, & donnerent à Annibal le fignal qu'elles approchoient du camp des Gaulois. En même temps Annibal embar

qua ses troupes & paffa fans beaucoup de peine. Les Gaulois ne pouvant refifter tout à la fois à Annon qui les attaquoit par les derrieres & à Annibal qui étant paflé, mettoit fes troupes en bataille à mesure qu'elles debarquoient & les envoyoit à la charge, prirent la fuite.

Annibal fit paffer trente-fept Elephans qu'il menoit avec lui, & envoya cinq cent Cavaliers Numides apprendre des nouvelles de la Flotte des Romains, qui fous la conduite de Scipion étoit arrivée à l'embouchure du Rhone. Scipion détache en même temps trois cent Cavaliers choifis & les envoye contre ces Numides fous la conduite de quelques Marfeillois & de quelques troupes auxiliaires des Gaules. Il y eut là un grand combat entre cette cavalerie. Les Numides furent défaits & pouffez jufques dans leur camp: Annibal après avoir harangué fes troupes, dont la hauteur des Alpes qu'elles avoient à paffer, avoit prefque glacé le courage, decampa, n'ayant plus que huit mille chevaux & trentehuit mille hommes d'Infanterie, & le quatrième jour il arriva au confluant de la Saone & du Rhofne. Là il trouva deux freres qui difputoient le Roïaume, & qui alloient décider de leur fort par une bataille. Il fe joignit à l'aîné & lui fit remporter la victoire, comme Polybe l'écrit. Mais Tite-Live a fuivi d'autres memoires qui portoient que les deux freres prirent Annibal pour arbitre de leur differend, & qu'Annibal jugea en faveur

de l'aîné qui avoit tout le droit, & le mit en pof feflion du Royaume. Ce Prince pour lui témoigner fa reconnoiffance, lui fournit toutes fortes de provifions de bouche, donna à fes troupes des armes & des habits dont elles avoient grand befoin, & l'efcorta jufqu'aux Alpes pour le défendre contre les Allobroges, fur les frontieres defquels il étoit obligé de paffer.

Annibal fit cent milles en dix jours de marche le long du Rhofne en tirant vers fa fource, & arriva au pied des Alpes fans aucun obftacle, felon Polybe; mais Tite - Live écrit qu'il fut très embarrassé au passage d'une riviere des Alpes qu'il appelle Druentia. Les Interprêtes, pour dire cela en paffant ont crû que c'étoit le Fleuve des Gaules appellé la Durance : mais ce fleuve n'étoit pas fur le chemin d'Annibal. Tite-Live parle affûrement du Fleuve appellé Druentius, qui eft une des deux Dunes, & qui fe jette dans le Rhofne.

Quand Annibal fut arrivé au pied des Alpes, les Allobroges qui n'avoient ofé l'attaquer dans la plaine à caufe de fa Cavalerie & des Gaulois qui l'efcortoient, l'attendirent dans les défilés des montagnes. Annibal étoit perdu s'ils avoient bien gardé ces paffages: mais ils ne les gardoient que le jour, & ils fe retiroient la nuit dans une ville prochaine. Annibal en ayant été averti, decampa en plein jour, s'approcha des ennemis, & fur la premiere veille de la nuit, aprés avoir fait al

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