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bat fut fort opiniâtré, & la victoire long-tems doutéufe, jufqu'à ce qu'Annibal voïant que Minucius avoit donné dans le piege, & qu'il prétoit le dos aux troupes qu'il avoit mifes en embufcade, qui pouvoient le prendre en queue, il leur donna fe fignal. Elles fe levent brufquement, & jettant de grands cris, elles fondent de tous côtez fur les Romains avec tant de furie qu'elles renverfent & taillent en piéces les derniers rangs, & jettent dans les autres un defordre & un effroi qu'on ne fçauroit décrire Pas un n'o fa faire ferme, ni foûtenir la vûë de l'ennemi, tout prit la fuite.

Fabius qui avoit prévû ce qui arriveroit tenoit fes Legions fous les armes en attendant le fuccès du combat qu'il regardoit luimême de deffus une hauteur qui étoit près de fon camp. Voyant donc l'extrémité où les Romains étoient réduits, il marcha à leur fecours, arracha la victoire aux ennemis, & les mit en fuite. Annibal voyant la fortune changée, fir ceffer le combat, commanda aux trompettes de fonner la retraite, & ramena fes troupes dans fon camp, disant à fes amis qui étoient autour de lui ne vous l'avois-je pas bien dit très - fouvent, que le gros nuage qui étoit fur ces montagnes cré-veroit enfin, & verferoit fur nous quelque grand orage?

Après le combar Minucius affembla fon armée; & après lui avoir fait un beau difcours, & commandé qu'on levât les aigles, il marcha

vers le camp de Fabius, fit planter devant lui les enfeignes, l'appella fon pere, & lui dit : mon Dictateur, je vous ai appellé à bon droit mon pere, parce qu'il n'y a point de nom plus venerable que je puiffe vous donner, quoique l'obligation que je vous ai Toit beaucoup plus grande que celle que j'ai à celui qui m'a donné le jour; car je ne lui dois que la vie moi feul, au lieu qu'avec la vie je vous dois auffi le falut de tous ces vaillans hommes. Je caffe donc & j'abroge dès ce moment le decret du peuple, dont j'ai été plûtôt furchargé que honoré, & je me remets fous vos ordres. Je vous rends vos Enfeignes & vos Legions. Je vous Supplie Seulement qu'appaife envers moi, vous me conferviez le titre le rang de Général de votre Cavalerie, & conferviez à tous ces Officiers le grade qu'ils ont eû jufqu'ici, Tout le camp fut rempli d'allegreffe, & on ne voyoit partout que des larmes que la joïe & la tendreffe faifoient verfer.

que vous

L'action de Fabius eft grande; mais celle de Minucius ne l'est pas moins. Je ne sçai même fi les fages ne la trouveront pas plus grande encore. On a vû affez fouvent des Généraux fauver une armée défaite, & redonner la victoire aux vaincus; mais il eft rare de voir un Général orgueilleux & fuperbe, dépoüiller fon amour propre, renoncer à un grand commandement, avouer hautement qu'il eft incapable de commander, & qu'il doit obéir à celui à qui il a voulu s'égaler, & même se préferer, Fabius partage fa gloire avec les troupes, & Minucius ne

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doit la fienne qu'à lui seul. Fabius a vaincu dans un combat ordinaire, & où il n'y a rien de furnaturel; & Minucius eft forti vainqueur d'un combat qui paroît au-deffus des forces humaines. Avant que de paffer plus avant il est jufte de faire honneur à la magnanimité des Romains. Les Napolitains leurs envoïent des Ambassadeurs pour préfenter au Senat quarante coupes d'or, & pour lui offrir tous leurs biens qu'ils étoient prêts de facrifier pour leur fervice. Le Senat les refufe, & ne prend qu'une feule coupe, & encore choifit-il celle qui étoit du moindre poids. Peu de jours après il témoigna la même generofité aux Ambaffadeurs de Paftum qui lui préfentoient auffi grand nombre de coupes d'or.

On créa à Rome de nouveaux Confuls. On nomma Paul-Emile & Varron. On leva quatre nouvelles Legions, & on affembla une armée de quatre-vingt-huit mille combattans. Cette exceffive levée jetta les gens fages dans une très-grande crainte; parce qu'ils ne voyoient aucune reffource pour Rome, fi elle perdoit une fi nombreuse jeunesse qui étoit la fleur & l'élite des Romains.

Cependant de nouveaux prodiges avoient plongé Rome dans d'extrêmes allarmes. A Rome & à Aricia il étoit tombé une pluïe de pierres. Dans le païs des Sabins, des ftatuës avoient paru toutes degoutantes de fang. A Cere une fontaine avoit rendu des eaux chaudes, & près du champ Tome IX.

I

de Mars il y eut plufieurs hommes tuez de la foudre. Les Livres des Sibylles furent confultez ; on expia ces prodiges felon les regles prescrites, & on fe prépara au départ. Varron tint des propos pleins de ferocité & d'infolence. Il dit, que la guerre que les nobles avoient attirée en Italie, n'en fortiroit jamais, quand même on auroit plufieurs Généraux comme Fabius; que pour lui il la termineroit le jour même qu'il verroit F'ennemi. Son Collegue Paul-Emile parla plus fagement, mais moins agréablement pour le peuple. Il dit, qu'il s'étonnoit comment un Général avant que d'avoir vû fon armée & celle des ennemis, & que d'avoir examiné la fituation & la nature des lieux étant encore au milieu de Rome, pouvoit fçavoir ce qu'il auroit à faire quand il auroit les armes à la main, & annoncer le jour où il combattroit en bataille rangée. Pour moi, ajoûta-t'il, je fuis perfuadé que les hommes prennent confeil des chofes, non pas les chofes des hommes. Je fouhaite de tout mon cœur que ce que l'on entreprendra avec précaution & avec prudence, ait un heureux fuccés. La temerité eft toûjours infenfée, elle a été malheureuse jufqu'à ce jour.

Par ces paroles Emilius fit affez connoître qu'il préfereroit des confeils fûrs aux confeils précipitez ; & Fabius pour le confirmer dans cette réfolution, lui parla en ces termes : Paul-Emile, fi vous aviez un Collegue semblable à vous ou fi vous étiez femblable à votre Collegue, je m'épargnerois la peine de vous parler. Car deux bons Confuls n'auroient pas befoin de mes avis,& deux mauvais ne daigneroient pas

&

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les entendre. Mais connoiffant le caractere de votre Col legue & le vôtre, je parle à vous feul. Vous vous trompez infiniment, Paul-Emile, fi vous croyez avoir moins combattre contre Varron que contre Annibal. Je ne sçai · même fi Varron n'eft pas pour vous un ennemi plus redoutable. Vous n'aurez affaire à Annibal que dans le combat; au lieu que vous aurez à faire à Varron en tout tems en tous lieux. Vous combattrez Annibal avec vos Legions, & c'est avec vos Legions que Varron vous combattra. S'il va livrer bataille en arrivant comme il. nous en menace, ou je fuis très-mal habile dans l'art militaire, j'ignore abfolument la nature de la guerre que nous avons fur les bras, & le caractére de cet ennemi ou il y aura bien-tôt un lieu que notre défaite rendra encore plus célébre que le Lac de Thrafymene. Croïez moi, la feule maniere pour combattre Annibal avec fuccés, c'est celle que j'ai fuivie. Les mêmes raifons qui m'ont déterminé, fubfiftent encore, & fubfifteront toujours pendant que les chofes feront au même état. Nous faifons la guerre en Italie & nous fommes environnez de Citoiens & d'Alliez fideles qui nous fournissent & nous fourniront toûjours des hommes, des chevaux, & des convois. Annibal aucontraire combat dans un pais ennemi. Il est éloigné de fa patrie; il n'a la paix ni fur la terre ni fur la mer. Aucune "de nos villes ne l'a reçu, il ne voit rien qu'il puiffe dire à lui. Il ne vit que de rapines au jour la journée. Il ne lui refte pas la troifiéme partie des troupes qu'il a amenées d'Espagne, Douterez-vous donc que nous ne venions facilement à bout d'un homme qui déperit, qui fe confume tous les jours, qui n'a ni argent, ni convois, ni re

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