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cruës? Varron & Annibal auront les mêmes vûës. Ils demanderont le combat avec le même empressement. Varron, parce qu'il ne connoit pas affez fes forces, & Annibal parce qu'il connoit trop fa foibleffe. Il faut que vous résistiez à ces deux ennemis, vous leur refifterez fi vous demeurez toujours ferme contre les rumeurs & contre les bruits de la Renommée &fi vous n'êtes ému ni de la vaine gloire de votre Collegue, ni de la fausse infamie dont on voudra vous couvrir. On voit affez fouvent la verité fouffrir quelque éclipfe; mais elle n'eft jamais entierement éteinte, elle perce enfin les nuages qui la cachoient. Celui qui méprife la gloire, en trouve enfin une veritable folide. Souffrez qu'on vous appelle timide, lent, paresseux,

méchant Capitaine. J'aime mieux que vous soyez craint par un ennemi fage, que loué par des amis infenSez. Quand vous oferez tout, Annibal vous méprisera, il vous craindra quand vous n'entreprendrez rien qu'a•Sageffe&avec prudence. Ce n'eft pas que je veüille que vous demeuriez les bras croisez fans rien faire ; je veux que ce foit la raison, non la fortune, qui guide toutes vos actions tous vos deffeins. Soiez toujours maître de toutes vos démarches, toûjours armé, & toûjours attentif à ce qui fe paffera, afin que vous puissiez profiter de toutes les occafions favorables fans en donner aucune à votre ennemi. Quand vous ne précipiterez rien, vous verrez clair partout & vous ferez en fûreté. La précipitation eft toûjours imprudente. Paul-Emile répondit : Fabius, je ne vois pas quelles forces & quelle autorité je pourrai avoir contre un Collegue feditieux & temeraire. Mais je fuivrai vos avis je n'oublierai rien pour vous

de le

pa

paroure fage Capitaine, plûtôt à vous feul, que roître à tous les autres qui voudroient me forcer à prendre un autre parti.

Les Confuls étant arrivez à l'armée, Annibal en fut ravi; car il étoit réduit à l'extrémité, n'ayant plus de vivres que pour dix jours. Ses Espagnols penfoient déjà à aller fe rendre aux Romains, & lui-même il avoit déja résolu d'abandonner fes gens de pied & de s'enfuir en Gaule avec fa Cavalerie. La feule folie de Varron le tira de ce mauvais pas ; la fortune aïant servi La temerité dès le lendemain de fon arrivée. C'est la coûtume des Romains, que les Confuls commandent l'armée chacun leur jour. Varron n'eut pas plûtôt le commandement, qu'il décampa malgré fon Collegue, & s'approcha des ennemis. Annibal alla à fa rencontre avec fa Cavalerie & fon armure legere, & l'attaqua vivement. Il y eut là un grand combat qui dura jusqu'à la nuit. Annibal eut du défavantage, parce que le corps de bataille n'avoit rien qui le foûtint, & les Romains avoient mêlé dans le leur des Ĉohortes de leur armure legere qui fervirent fort utilement. Annibal perdit dix-sept cens hom& les Romains n'en perdirent pas plus de

que

mes,

cent.

Ce fuccès acheva de perdre Varron en lui remplissant la tête d'une telle opinion de lui-même, qu'il regardoit déja Annibal comme vaincu. lalla camper fur la riviere d'Aufide près du bourg

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de Cannes, & le lendemain dès la pointe du jour il fit expofer le fignal de la bataille. D'abord les Carthaginois furent épouvantez de voir l'audace. de ce nouveau Capitaine, & le grand nombre de fes troupes qui furpaffoient les leurs de plus de la moitié, Mais Annibal leur commanda de prendre leurs armes, & alla à cheval avec une petite fuite fur une éminence d'où il voyoit les ennemis déja en bataille. Là un de ceux qui le fuivoient, nommé Gifcon, homme d'auffi grande confideration que lui, s'étant approché, lui dir d'un air effraïé que Le nombre des ennemis lui paroiffoit fort étonnant. Annibal fronçant le sourcil, lui répondit: Mais il y a une chofe plus étonnante encore, Gifcon, & à laquelle tu ne prends pas garde; Gifcon lui demanda ce que c'étoit. C'eft, dit Annibal, que dans ce prodigieux nombre d'hommes il n'y en a pas un feul qui s'appelle Gifcon comme toi. Tout le monde fe prit à rire, & cette plaifanterie fit plus que n'auroit fait la harangue la plus pathétique, elle redonna le courage & la confiance aux Ĉarthaginois qui fe perfuaderent que leur Général n'auroit pas plaifanté à la vûë d'un fi grand peril, s'il n'avoit bien vû qu'il pouvoit fûrement mépriser ses ennemis.

Varron avoit quatre-vingt mille hommes de pied & fix mille chevaux. Il mit fon armée en bataille, prit pour lui l'aîle gauche, donna la droite à Paul-Emile, & fit commander le corps de bataille par M, Servilius & Cn, Attilius qui

avoient été Confuls l'année précédente.

Annibal ayant paffé l'Aufide, fe mit auffi en bataille. Il avoit quarante mille hommes de pied & dix mille chevaux. Afdrubal commandoit l'aî le droite, Hannon la gauche, & lui il fe plaça au corps de bataille avec fon frere Magon. L'armée Romaine étoit tournée vers le midi & les Carthaginois vers le Septentrion.

Annibal dût le fuccès de cette grande journée à deux rufes qu'il emploïa. La premiere pour gagner l'avantage du pofte; car il trouva moïen de faire que fon armée tournât le dos à un vent impetueux & brûlant qui foufloit alors, & qui élevant de cette campagne rafe & fablonneuse une pouffiere embrafée, la portoit par dessus les bataillons des Carthaginois dans les yeux des Romains, qui ne pouvant la foûtenir, étoient obligez de tourner la tête & de rompre leurs

rangs.

La feconde fut dans l'ordonnance de fes troupes: car ayant mis dans les aîles ce qu'il avoit de meilleur, il fe plaça avec tout ce qu'il avoit de moins bon dans le milieu, & le disposa de maniere que le corps de bataille s'avançoit en pointe, & débordoit extrêmement les deux aîles. En même tems il ordonna aux aîles, que lorfque les Romains auroient enfoncé ce front, & que le pouffant vivement, ils l'auroient renversé audelà de leur ligne jusqu'au centre, elles enfor→ çaffent brufquement des deux côtez, & enve

loppaffent ainsi l'ennemi en le prenant par les flancs & par derriere. Ce fut ce qui contribua davantage au grand carnage qu'on fit des Romains: car le front n'eut pas plûtôt plié, & les Romains n'eurent pas plûtôt enfoncé ce corps de bataille, de maniere qu'au lieu d'une pointe il préfentoit un croiffant, que les Officiers des troupes choisies firent fermer l'ouverture du croiffant par les deux aîles ; ce qui exposa à la boucherie tous ceux qui ne purent prendre la fuite avant que d'être enveloppez.

Il arriva a la Cavalerie des Romains un autre accident imprévû & très-funefte. Paul-Emile fut jetté à terre par fon cheval qui vraisemblablement avoit été bleffé. Les Cavaliers qui étoient autour de lui, mirent d'abord pied à terre pour aller à fon fecours. Toute la Cavalerie s'étant apperçuë de ce mouvement, crut que c'étoit un ordre; c'eft pourquoi ils quitterent leurs chevaux, & combattirent à pied. Ce que voyant Annibal, il s'écria : je les aime mieux de cette maniere que fi on me les livroit pieds & poings liez.

Úne troifiéme rufe d'Annibal acheva la perte des Romains, Pendant le combat il envoïa cinq cent Numides fe rendre aux Romains. Les Con fuls les reçûrent, & les firent paffer à la queue des troupes. Mais ces Numides voyant les Romains preffez de tous côtez, prirent dans le champ de bataille des boucliers & des armes, fe jettent fur eux en les prenant par les derrieres, &

en

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