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CXXIII.

Juftification des vers que j'ai faits, après avoir dit que je n'en ferois plus.

'Ai fait une Epigramme Latine, par laquelle j'ai dit adieu aux Muses, en ces termes:

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MUSIS VALE DICIT MENA GIUS.

Dum mihi fervebat juvenili in corpore fanguis
Et decuit, numeris lufimus innumeris.

Turpe fenex Vates: fenior, calamofque, lyram que,
Ceteraque hic pono ludicra; Musa vale.

Et depuis ce tems-là j'ai continué d'en faire. Mr. Baillet fe déchaîne là-deffus contre moi avec fureur, comme fi j'étois le plus grand parjure du monde. Je répondrai ici à fon accufation, quoique fon accufation ne mérite pas de réponse. On a dit que les fermens des Amans n'entroient point dans les oreilles des Dieux : que Jupiter s'en mocquoit: qu'autant en emportoit le vent. Il en eft de même des fermens des Poëtes. Et j'ofe affurer qu'il n'y a jamais eu de Poëte qui n'aft fait des vers après avoir dit en public ou en particulier qu'il n'en feroit plus.

Horace a dit dans fa premiere Epître,

Nunc itaque, verfus, & cetera ludicra pono:

Et depuis ce tems-là il a fait un grand nombre de vers.

Bucanan, étant Regent à Paris au College de Sainte Barbe, écrivit une Elégie fur la mifére des Regens de Paris, dans laquelle il dit adieu aux Mufes.

Ite leves nuga fterilefque valete Camene:
Grataque Phoebeo Caftalis unda Choro.
Ite: fat eft: primos vobifcum abfumpfimus annos:
Optima pars vite deperiitque mex, &c.

Ite igitur, Mufe fteriles, aliumque Ministrum
Quærite: nos alio fors, animufque vocais

Et depuis ce tems-là il a fait un million de vers.

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Ronfard a dit, dans l'Ode cinquiéme du Livre troifiéme de

fes Odes:

Toi qui chantes P'honneur des Rois,
Polymnire, ma douce Mufe,.
Ce dernier labeur de mes doits
Deffus ton Luth ne me refufe.

J'ai fouvenance que tes mains
Jeune Garçon me couronnérent,
Quand j'eus mâché les lauriers faints-
Que tes compagnes me donnérent.
Mais or, par le commandement
Du Roi, la lire j'abandonne,
Pour entonner plus hautement
L'Airain enroué de Bellonne.

. Toutefois, ains que de tenter
L'inftrument de telle Guerriere,
Encourage-moi de chanter

Pour adieu cette Ode derniere:

Et il a fait plufieurs Odes depuis ce tems-là.

Malherbe avoit fait de grands fermens, entre les mains des Muses, de ne plus faire de vers après qu'il auroit célébré la Reine Marie de Medicis:

Non, Vierges, non, je me retire.
De tous ces frivoles difcours :
Ma Reine eft un but à ma lyre
Plus jufte que nulles amours.
Et quand j'auray, comme j'efpére,
Fait ouïr du Gange à l'Ibére
Sa louange à tout l'Univers,
Permeffe me foit un Cocyte,
Si jamais je vous follicite

De m'aider à faire des vers.

Er depuis ce tems-là il a fait un nombre infini de Vers.

Mr.Hallé de Caën a dit dans un de fes Poëmes, par lequel il' invite les Poëtes à faire des Vers fur l'immaculée Conception. de la Vierges

Hac Mariana tenus fuerint Epinicia noftris
Cantibus emodulata, ob partas de Styge palmas,
Calcatum & Stygii Caput obtritumque Draconis.
Jam me grandevum, ceffare in carmina tempus,
Atque vale caftis æternum dicere Mufis.

Feffus ego hic plectrum, citharamque, artemque repono.

Et depuis ce tems-là il a fait un grand nombre de vers fur le même fujet.

Mr. Sarafin ayant été accufé d'avoir fait des vers contre le Cardinal Mazarin, fit de grands fermens de ne faire jamais de vers. C'est le sujet de l'Elégie Latine que j'ai adreffée à Mr. le Prince Louis de Bourbon. Voici l'endroit de cette Elégie qui regarde cette particularité :

Ille tuus Vates, noftri Saracenus amores,

Cujus Amor verfus & Venus ipfa canit,

Heu! folitam abjecit juratus Appollinis artem 5
Fregit irata plectra canora manu.

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"Ah quoties, & quæ mittebat carmina nobis,
Per ludum reddens mutua, perque jocum!
Nunc canimus furdo: fcupulis taciturnior ipfis;
Menagio reddit carmina nulla fuo.
Si potui placuiffe tibi, jurantia verba,

(Namque potes) folitum pondus habere veta.
Divini celeres Vatis perjuria ventos

Per mare, per terras irrita ferre jube:

Et depuis ce tems-là il a fait un grand nombre de vers.

Mr. Corneille avoit protefté publiquement qu'il ne feroit plus de Piéces de Théatre: & quelques années après, ayant été prié par Mr. Fouquet, Surintendant des Finances, de faire l'Oedipe, il le fit: & il a fait enfuite plusieurs autres Tragédies.

Mr. Santeuil de Saint Victor, a protesté hautement dans la Dédicace.de fes Hymnes à Mr. Péliffon qu'il ne feroit plus de vers fur des matieres profanes, & depuis ce tems-là il en a fait un très grand nombre.

Mr. de la Fontaine avoit juré hautement qu'il ne feroit plus de Contes en vers : & deux jours après il commença à en

faire. C'est ce que nous apprenons de cet endroit de fon Conte de la Clochette:

O combien l'homme eft inconftant, divers,
Foible, leger, tenant mal fa parole!
J'avois juré hautement en mes vers
De renoncer à tout conte frivole.
Et quand juré? C'est ce qui me confond.
Depuis deux jours j'ai fait cette promesse.
Puis fiez-vous à Rimeur qui répond.
D'un feul moment.

Encore une fois : il n'y a jamais û de Poëte qui n'ait fait des vers après avoir dit qu'il n'en feroit plus.

C X.XIV.

Juftification des Vers de Galanterie que j'ai faits après avoir protefté que je n'en ferois plus.

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Ais j'ai protefté dans une de mes Elégies Latines, que je ne ferois plus de Vers de Galanterie : & j'ai continué d'en faire. "Nous voyons, dit Mr. Baillet, Tome III. page 252. ,, que Mr. Menage elt retourné à fes premieres habitudes peu ,, de tems après avoir formé fa Componction Chrétienne : (il parle d'un de mes Madrigaux Italiens, intitulé Christiana Compunzione)" & qu'il eft retombé dans les mêmes engagemens qu'il ,, nous avoit dépeints comme fort criminels. C'est ce qu'il nous apprend-lui-même dans une Elégie Latine, où le repentir ,, l'ayant repris une fegonde fois, il témoigne pour ce coup être entierement converti: fe trouvant chargé d'une nouvelle confufion de voir que fa vieilleffe n'étoit pas moins ambaraffée dans ,, ce commerce que l'avoit été fa jeuneffe. Il demande enfuite à fon Evêque, au Médecin de fon ame, qu'il le réduise en pé:, nitence: qu'il le mette dans le fae & fous la cendre: qu'il lui or,, donne des jeûnes, des difciplines, & tout ce qu'il voudra? qu'il eft préparé à tout. On s'imagineroit peut-être que Mr Ménage a fait des crimes énormes, parce que fon humilité lui fait demander d'être confondu parmi les fcélérats. Cependant Mr. Ménage a toujours mené une vie irréprochable aux yeux

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des hommes. Il a toujours vêcu avec honneur. Et lai-même ; ,, tout abandonné qu'il eft à la componction de fon cœur, n'eft ,, pas affez hardi pour ofer dire qu'il ait jamais fait d'autre mal en public que d'avoir fait des vers trop libres & trop galans, & ,, d'avoir contrefait l'Amant. C'eft donc de fes vers dont il s'accufe, & dont il veut faire pénitence: jugeant avec toutes les perfonnes judicieufes, que ce ne font pas toujours les Piéces les plus diffolues qui corrompent d'avantage les mœurs foit », parce qu'on eft en garde contre le poifon qu'elles préfentent à ,, découvert, foit parce qu'il n'y a que ceux qui font déja corrompus qui les lifent: mais que celles qui renferment le poifon ,, fous des expreffions chaftes & innocentes, font beaucoup plus », criminelles. De forte que fi depuis cette déclaration publique Mr. Ménage est encore retombé dans fes anciennes habitudes, qui eft celui qui aura le cœur affez dur pour n'être point touché de la foibleffe de l'homme?

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Quelle rage? quelle fureur? mais à quel propos Mr. Baillet dit-il de moi toutes ces chofes injurieuses? fon dessein est de faire un Livre des Jugemens des Savans fur les principaux Ouvrages des Auteurs. Il protefte en plus d'un endroit de fon Livret qu'il n'y dit rien de fa tête. Ce font fes termes : Y a-t-il û quelques Savans qui m'aient accufé dans leurs Ouvrages comme d'un crime, d'avoir fait des vers trop libres & trop galans, & d'avoir contrefait l'Amant? Mr. Hallé de Caen au contraire a loué l'honnêteté de mes vers:

— Vir factus ad unguem

Menagius: Mufe Andino cui molle decorumque
Andini annuerunt Vatis, tenerique pudicas
Nafonis veneres.

C'est ce qu'il a dit de moi dans fon Poëme fur la mort du Pere Bourbon. Mr. Baillet dit que je demeure d'accord moi-même de ce crime dans une de mes Elégies Latines; cette Elégie eft celle que je fis, en retournant dans ma patrie, d'où j'avois été abfent pendant vingt ans. Je prans droit par les charges. Et pour cela Je fupplie mes Lecteurs de trouver bon que je produife ici l'Elegie dont eft queftion. La voicy.

EGIDIUS MENAGLUS POST ANNOS XX..
PATRIAM REVIS E N S.

Salve, Ge

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