Imágenes de páginas
PDF
EPUB

LETTRE DE MR BAILLET

A Mr l'Abbé Ménage..

MONSIEUR,

L'ENGAGEMENT où je me trouve de travailler aux Pfeudonymes, & l'obligation que j'ai de ne rien négliger de ce qui dépendra de moi pour cet effet, m'ont porté à vous demander fi vous avez quelques inftructions particulieres à me donner fur le Fanus Capella & le Marcus Licinius, qui ont fervi autrefois à vous déguifer. Si je voulois me contenter de parler de vous avec indifference, comme je fais de plufieurs autres, il feroit inutile de recourir à vous pour cet effet. Je croirois en favoir affés fur le pié où je me fuis mis de ne promettre aux Lecteurs que la découverte des Auteurs déguifés & la fimple expofition de ce qu'ils ont publié fous leurs noms. Mais je ne veux pas réfifter au défir que j'ai toujours eu interieurement de vous donner publiquement des marques de mon respect & de mon eftime, malgré les éloignemens que vous m'en avez prouvés par votre conduite. Il ne s'agit prefentement de votre que de ne vous pas oppofer à ce louable défir, & de m'accorder une tréve d'hoftilité pour un demi quart d'heure, afin de donner lieu à votre bonté de m'envoyer ce que vous croyez que j'ignore fur le Capella & le Licinius, ou de me faire dire par le porteur de ma Lettre, de vous aller trouver pour cet effet.

côté

Quoique je n'envifage en ce point que votre interêt, je ne laifferai pas de confidérer ce bon office comme la premiere des graces que vous avez à me faire, & je m'affermirai dans la refolution où je fuis de vous montrer que vous avez fait un mauvais jugement, lorsque vous avez cru que je voulois vous infulter par la propofition que je vous avois fait faire, de publier moi-même les remarques que vous avez faites con

fort

tre mon Livre avec les Additions que j'ai à donner. C'est un mouvement que m'avoit donné le bruit qui couroit alors que vous aviez perdu le défir de les faire imprimer, & il étoit fortifié par la crainte qu'elles ne fuffent perdues pour moi, & par la paffion que j'avois d'en profiter le premier. J'avois eu grand foin de vous faire dire que je ne prétendois pas y rien retrancher; & que je n'y voulois ajouter que des témoignages perpetuels d'une reconnoiffance publique pour votre generofité. Je penfois avoir trouvé par ce moyen un expedient fort propre pour faire vos éloges à chaque page, & pour abymer ou couvrir tout ce que j'ai pu dire à votre fujet qui vous aic fait peine. En tout cas, je me ferois bien gardé de rien faire fans vous communiquer toutes chofes ; & vous n'auriez pu vous deffendre de la furprise où vous auroient mis ma fincerité & mon zéle pour votre fervice.

pour

D'un autre côté, c'auroit été moi un excellent moyen de corriger mes fautes avec plus de fruit devant Dieu & devant les hommes; & de combler de benedictions un Bienfaiteur dont je fouhaitois relever la charité à tous momens, pour me faire une espece de merite par un acte volontaire de justice, qui conftamment auroit eu bien plus de poids, & qui auroit été bien plus agréable à Dieu & aux hommes, que le dessein que vous auriez de vous rendre juftice par, vous-même.

De quelque maniere que vous jugiez à propos d'en ufer, il n'y aura rien à perdre pour moi. Comme je fais profeffion de ne m'attacher à rien dans mon Recueil, je fuis toujours preft à changer de parti dès qu'on me montrera que je me suis éloigné de mon but, qui eft de rendre partout hommage à la

vérité.

Il n'eft pas poffible que je n'aye laiffé en une infinité d'en droits des marques de mon ignorance. Mais comment faire autrement ! Vous jugerez peut-être vous-même que ce n'eft pas tout-à-fait ma faute. Sur l'horreur qu'on m'a donnée de l'ignorance dès ma plus tendre enfance, je me fuis mis en devoir de la chaffer de bonne heure de mon efprit. Ayant apris de mes parens & de mes maîtres, que le moyen d'en venir à bout étoit la lecture des Livres, j'en ai lu le plus qu'il m'a été poffible. Mais cette lecture n'a fervi, & ne fert encore aujour d'hui, qu'à me faire découvrir de plus en plus combien mon ignorance eft profonde, & à me faire defefperer enfin d'en

pouvoir trouver le fond. Que voulez-vous que je faffe! Ne fuis je pas encore aflés malheureux de me confoler de voir des malheureux comme moi, qui en feront à fe vanter d'être un peu moins ignorans que moi. Il n'y va que du plus ou du moins entr'eux & moi ; & ils n'oferoient aller au-delà, fans fe faire fifler par les ignorans ; c'est-à-dire, par plus des trois quarts du genre humain.

Č'eft, Monfieur, tout ce que vous pourrez prouver dans votre Livre contre moi. Mais fi vous alliez vous mettre en tête de dire au Public qu'il y a dans mon Recueil quelque autre chose que de l'ignorance & quelques négligences; je vous demande par avance la permiffion de vous répondre à mon tour, & d'informer encore une fois le Public de l'innocence de mon deffein & de la fimplicité de fon execution. Je n'ai jamais prétendu acquerir de la réputation, ni par conféquent en acquerir une mauvaise. La bonne réputation qui dépend des hommes, eft un bien fort caduc, & vous n'avez rien à me faire perdre de ce côté-là. La mauvaise réputation eft encore plus à prévenir & à rejetter. J'efpere réuffir dans les efforts que je ferai pour cela, tant que je ne me fentirai coupable igno rance & de foibleffe, quand vous en feriez de votre côté pour répandre une mauvaise odeur fur mes intentions & fur ma volonté & je vous plaindrois de vouloir terminer les expeditions d'une belle vie par un endroit fi peu glorieux. Vous pourriez bien, par une conduite semblable môter la liberté de me déclarer publiquement votre Panegyrifte; mais vous ne m'ôtereż pas celle de rendre justice à votre mérite, & de vous déclarer avec combien de respect & de fincerité je suis,

MONSIEUR,

A l'Hotel d'Angoulême le 29.

Mars 1687.

Votre très-humble & trèsobéiffant ferviteur,

BAILLET.

LETTRE DE MR DE LA MONNOYE

A MR

MENA G E.

Ecrite de Dijon en 1690.

MONSIEUR,

A PRE'S l'honneur que vous m'avez fait, non-feulement de m'envoyer vos Poëfies, mais encore de me nommer avec éloge dans le Livre que j'ofe critiquer, il femblera que ce foit une ingratitude à moi d'avoir entrepris cette Critique. J'avoue que j'aurois peine à me défendre de ce reproche, fi je venois à rendre publique ce petit Ouvrage avant que de vous. le communiquer, & fi je prétendois par la vous faire perdre une partie de cette réputation que vous vous êtes fi juftement acquife dans la Republique des Lettres. Je ne pécherai, fi je puis, Monfieur, ni en l'un ni en l'autre de ces cas, puifque je n'ai ni le deffein de publier ces Remarques ni la penfée, quand je les publierois, qu'elles puffent rabattre quelque chofe de la haute idée qu'on a conçue de votre érudition. Scaliger & Cafaubon, dont M. de Saumaife releve fi fouvent les fautes, n'en ont pas moins pour cela confervé leur autorité parmi les Savans, & M. Saumaise lui-même, tout couvert qu'il eft des plaies que lui a faites Voffius le fils, ne laiffe pas d'être toujours le grand Saumaife. Ce n'eft pas une petite confolation pour les Ecrivains d'un rang inférieur de voir ceux du premier ordre fujets à faillir comme eux. Les Obfervations que je vous prefente font la plupart véritablement affés minces; mais outre que vous ne devez pas vous étonner que la glofe réponde au texte, vous devez auffi faire, s'il vous plaît, réflexion, que plusles méprifes que je découvre font légeres, moins elles font pardonnables à un homme de votre confé

(

quence. Celles que vous reprenez dans votre adverfaire, ne font pas plus confidérables. Cependant vous favez, Monfieur, la difproportion qu'il y a de l'un à l'autre, & que ce qui n'est qu'une gliffade pour M. Baillet, eft une chûte pour l'AntiBaillet. A l'égard de la civilité, vous ne trouverez pas, je m'affure, que je l'aie choquée nulle part, j'ai été en garde la deffus du commencement jufqu'à la fin, & peut-être depuis qu'on fait des Critiques, n'en a-t-il jamais paru de fi moderée, ni de fi honnête. Je n'y ai eu partout en vûë que la vérité, que j'ai traitée d'un air affés fimple, & prefque toujours férieux, à la réserve de deux ou trois petites railleries qu'il m'a été impoffible de retenir; mais qui font tellement innocentes qu'elles n'ont pas befoin d'excuse. Le comble à ceci, Monfieur, eft que je vous rens maître de mon écrit. Je le foumets à votre cenfure, prêt à le fupprimer entierement pour 'peu que vous le fouhaitiez. Je vous le facrifie en un mot de tout mon cœur, & c'est bien la moindre reconnoiffance que je vous doive pour tant de belles & bonnes chofes, que je confelle avoir apprifes dans la lecture de vos Ouvrages.

DE LA MONNOYE.

« AnteriorContinuar »