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fée de front. Quelle voie, avez vous donc pris, m'a-t-on demandé fouvent, pour gagner fi bien l'amitié de vos éleves & les corriger en même temps de leurs défauts ? J'ai gagné leur amitié, répondois-je, en les aimant véritablement en pere, & en devenant leur égal. Sages Inftituteurs, n'ayez que douze ans avec les enfans de 12 ans, n'en ayez que huit avec ceux de huit. Si vous favez être enfant avec eux ils feront bientôt hommes avec vous. Avezvous gagné leur amitié, corrigez leurs paffions par leurs paflions-mêmes conduites par la raifon, rendez-leur les vices odieux, en attachant toujours une peine, un inconvénient, une mortification aux vices eux-mêmes. Rouffeau nous en a donné la théorie, que j'ai mife en pratique avec fuccès fur une jeune éleve, dont j'aurai plufieurs fois occafion de parler. Cet enfant volage à l'excès, malgré les remontrances de fes parens me prie un jour de le laiffer jouer. Je le mene auffitôt dans la place; il folâtre à fon aife

& je ne dis mot. Quand je vois qu'il commence à être fatigué, je le prends tranquillement, je le conduis dans fa chambre, & je le mets fur le lit, en lui difant de fang froid: Mon ami, je crains que la fatigue ne vous ait épuifé: reparez vos forces... Oh! je n'ai pas fommeil... Mon enfant, il viendra... & je me retire en fermant la porte à la clef. Mon jeune volage crie, & je ne fais aucune attention à fes cris. Il gémit, & je n'y prends pas garde; il pleure, & fes pleurs ne font pas entendus. Enfin un domeftique paffe devant la porte de sa prifa fon... Mon cher Ambroife, délivre-moi... Mon cher Monfieur, votre Maître a la clef... Mon ami, dites-lui que je ne jouerai plus qu'avec modération. Le domestique vient, & il fe trouve que je fuis forti de la maifon. Le petit prifonnier fe confole par force enfin après qu'il a bien langui, & long temps fenti le défagrément de fon vice, j'arrive; je lui témoigne que je fuis charmé de la réfolution qu'il a prife

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d'être modéré dans fes jeux, & je le délivre avec bonté.

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Deux jours après cette époque il me mentit. O quelle fut ma confternation! cependant je ne fis femblant de rien. Mon petit bonhomme étoit exact à venir à moi aux heures des repas. L'heure du déjeuner arrive. Mon bon ami, me dit-il, j'ai faim. Mon bon leurré lui répondis-je, j'en doute; vous voudriez peut-être me tromper comme vous fites hier & je fais femblant de ne plus penfer à lui... Ah ! je meurs de faim!. Et moi de honte d'avoir été trompé ; & je laiffe fes dents s'allonger. Enfin il capitule... Mon bon ami, je ne mentirai plus.... Mon enfant, voila du pain. Pourquoi, en me mentant, m'aviez-vous défendu de vous croire?.... Oh! je n'entendois pas cela.... Mais tous les hommes l'entendent ainfi. Quiconque a a perdu le droit d'être cru en quoi

menti,

que ce foit.

Si cet éleve eut été formé fous mes yeux dès le berceau, je doute qu'il fut jamais

tombé dans le menfonge. Les enfans, naturellement fimples & naïfs, ne mentent que parce qu'on les y force. Chacune de leurs fautes eft fuivie d'une vive reprimande, d'une humiliation baffe, ou d'un châtitiment brutal; & ce font des maux qu'ils veulent éviter la nature le leur confeille. Inftituteurs mal avifés, renoncez donc à votre ancienne méthode. Que ce ne foit pas vous, mais la nature même, que vous dirigerez, qui corrige vos Eleves; que ce foient les inconvéniens attachés à la nature du vice qui les détournent du vice. Et fi quelquefois cette méthode eft impraticable, employez la raifon : elle feule peut former la raifon : défendez-vous furtout de laiffer jamais paroître de l'humeur, elle révolte les enfans, &, loin de les corriger, elle leur donne l'exemple du vice. Or aujourd'hui que leur raifon va commencer à poindre, il faut plus que jamais les préferver du poifon de l'exemple. Mais où les placer pour cela ? Le vice couvre le globe entier. Faut-il les réleguer

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dans une Ile déferte ou les envoyer dans une planette étrangere? Non fans fans doute. Il eft néceffaire qu'ils voient des fcandales mais il faut qu'un fage Mentor les voie avec eux, & les leur faffe appercevoir par le côté le plus propre à les en dégoûter pour long temps. Ne leur offrez pas d'abord l'exemple des vices féduifans; mais de ceux qui portent avec eux une difformité qui fait horreur donnez-leur le fpectacle effrayant des paffions impétueufes, de celles auxquelles font plus fujets les enfans: de la colere, de la vengeance. « Il ya, dit Plutarque dans Amiot, plufieurs cho» fes formidables en la colere: mais auffi

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il y en a plufieurs ridicules & moc» quables. Il eft expédient de confidérer » l'un & l'autre. » Au fpectacle horrible de deux poliffons qui fe battent avec acharnement, & qui fe retirent avec des cris affreux, les yeux étinceláns de fureur, le vifage couvert de fang, & les cheveux en défordre, il vous fera aifé de perfua

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