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morts on voit Néron à côté de Titus, Domitien & Trajan, Mutius & Catilina: les monftres & les héros, l'opprobre & la gloire de l'humanité, y paroiffent dans le même rang: & ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que ceux qui ont écrit, pour les jeunes Princes, l'Hiftoire des Rois, fe font appefantis fur les vices des méchans, qui paroiffent avoir fouvent profpéré fur la terre, & ont infifté avec force fur le tableau de leurs crimes, fous prétexte de leur en infpirer de l'horreur. Ces fages Politiques ces incomparables Ecrivains, pour détourner leurs lecteurs du vice, leur ont montré le vice couronné. Cette conduite eft admirable fans doute, & j'avoue qu'une pareille idée ne me feroit jamais venue. Je dis plus: si j'euffe jamais penfé à employer cette méthode c'eut été uniquement pour examiner jufqu'à quel point elle peut familiarifer un enfant avec l'idée du crime, que les Hiftoriens blâment fans doute, mais que l'exemple perfuade bien plus éloquemment, & avec bien plus de force, que n'en ont leurs froi

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des moralités, arrivant toujours trop tard. Que ne laiffe-t-on ces monftres dans l'oubli qu'ils méritent, pour ne parler aux Princes que des grands Rois, qu'on leur propofera pour modéles?

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L'HISTOIRE DES HOMMES eft le tableau des miséres, de l'orgueil, & de la folie. C'eft le regiftre de quelques vertus & de beaucoup de crimes. Cette branche de l'arbre hiftorique eft la plus intéreffante fans contredit, & malheureusement elle a été la moins cultivée de toutes: & c'eft une des principales caufes de la perpétuité des révolutions & des miféres publiques. Il n'eft pas de Philofophe qui, en lifant l'Hiftoire, ne fe foit apperçu, malgré le peu de foin qu'ont pris les Hiftoriens de travailler cette partie', que le coeur de l'homme eft affez conftant & uniforme dans le cours de fes défordres. Chaque fiecle eft à peu-près une répétition des fautes de quelque fiecle précédent, & ce font ces fautes qui font toujours marcher les Etats vers leur chute. Mais le Prince. mais le Miniftre, mais l'homme d'Etat, qui

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manie les hommes d'un fiecle, & qui n'a ni médité les hommes des fiecles précédens, ni par conféquent cherché les remédes qu'on pouvoit appliquer à leurs défordres, le trouve neuf dans l'occafion, & paye fa négligence par fes malheurs les malheurs

& par

publics toujours inféparables des fautes des grands.

Avant donc de lire l'Hiftoire, & de la faire lire aux autres, tout Instituteur doit fe faire des principes de politique & de philofophie: mais de cette philofophie fi rare parmi les hommes, de cette philofophie qui éclaire les ténébres, qui entre dans les replis de cœurs, qui fonde la profondeur des caracteres; de cette philofophie qui manque aux Hiftoriens eux-mêmes, qui devroient en avoir pour eux & pour ceux qui les lifent. Prefque tous, fixés par les premieres apparences, déterminent les caracteres des hommes fur leurs premieres actions, lefquelles ayant rarement une uniformité conftante, font tomber les Hiftoriens dans des contradictions qui étonnent.

Qu'on les life attentivement les uns après -les autres ; & on verra quelle eft la philofophie de la plupart de ces Ecri vains (a).

NERON', difent-ils, eut dans fes premieres années un caractere de douceur & d'humanité, par lequel il effaçoit la gloire de tous les Princes: le temps changea ce caractere, & fit un barbare, un monftre, du meilleur & du plus grand de tous les hommes voilà le langage ordinaire des Hiftoriens. Or rien de plus faux qu'un tel langage. Néron fut toujours foible; & c'eft ce qui le fit changer de conduite, felon que les temps changerent pour lui: fa foibleffe fit fes vertus prétendues & fes crimes réels. Au commencement de fon élévation, n'ayant pas le courage de réfifter, il plioit aux volontés de quiconque lui donnoit des

(a) Ces quatre alinea fon un extrait de l'Atlashiftorique, dont M. Seraue nous a permis la lec ture, & que le public verra bientôt dans toute l'é tendue que mérite la matiere.

avis ce n'étoit pas lui; c'étoit Burrhus & Sénéque, qui gouvernoient. Rome avec faalageffe. Devenu maître abfolu du trône de l'univers, il égorgea tous ceux qui faifoient ombrage à fa pufillanimité.

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AUGUSTE, difent encore les Hiftoriens, fut cruel au commencement de fa grandeur, & clément vers la fin. Demandez-leur la clef de ces inégalités ; ils vous répondront que ce font des ces chofes dont on ne rend pas raison. Montefquieu cependant a prouvé par le fait qu'un peu de philofophie peut le faire. Sous fon pinceau', Augufte a paru toujours le même au milieu de fes grands changemens. Ambitieux à l'excès, ce Prince n'agit jamais que pour fe conferver le trône, qu'il feignoit tous les dix ans de vouloir quitter, pour se faire prier de le garder. Tant qu'il eut les armes à la main, il ne craignit pas les conjurations des citoyens, & il perdit tous ceux qui auroient pu lui envier le fceptre : lorfqu'il fut en paix, fon bonheur lui apprit à

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