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nous fommes les premiers en faute; & il eft jufte que nous reparions le dommage que nous vous avons caufé. Nous vous payerons vos volailles, & vous ferez confolé.

L'ENFAN T.

Mais qui me confolera, moi, du tort qu'on m'a fait ?

LE VOISIN.

Mon jeune Monfieur, je n'en fais rien: tout ce qu'on m'a appris, c'eft que mal en prend toujours à celui qui porte dommage à fon prochain. Cependant fi vous voulez me donner les volailles mortes, je m'engage à vous donner un autre Faucon à condition que vous ne lui apprendrez pas à manger les poulets.

Le traité fe conclud: nous lui payons la valeur de fes volailles, & nous lui abandonnons les mortes. Peu de jours après il nous apporte un Fauçon, que je me gardai bien de gâter, comme le premier. Tandis que nous le dreffions, & que j'a

vois encore le cœur faignant de la plaie qu'y avoit faite le fpectacle de Lubin expirant, mon cher Maître me developpoit les principes de Justice, & cette partie des loix qu'il avoit mife dans ma mémoire. Mais avec quelle adreffe il le faifoit ! Avec 'quelle attention je l'écoutois! Et avec quelle fincérité je lui dis vingt fois mon bon Maître, je ne veux faire jamais du mal à perfonne & j'ai tenu parole.

Quand ce premier principe de morale eft bien gravé dans l'efprit des enfans on paffe au fecond, qui doit être toujours fubordonné au premier. Nos enfans ne doivent pas fe contenter de ne nuire à perfonne; ils doivent être compatiffans, humains, charitables. Il ne faut pas pour cela fuivre la coutume univerfelle de faire faire. machinalement le bien aux enfans. On les. force ordinairement, dès leurs plus tendres années à vifiter les malades & à faire l'aumône. Quoi! donner l'aumône à l'âge de fix ans! A l'âge de fix ans vifiter les malades, & confoler les affligés! Mais que

voulez-vous que faffent ces enfans auprès des malades? Efperez-vous qu'ils déployeront toute la fublimité de la philofophie, ou les trésors de l'éloquence pour les confoler? Mes amis, croyez-moi: vous prenez le vrai moyen de dégoûter vos enfans de ce grand acte de piété, dont ils ne connoiffent, ni la néceffité, ni le mérite; mais dont ils fentent affez le défagréable, pour s'en dégoûter pour tout le refte de leur vie.

Ce que je dis des malades s'entend auffi de l'aumône. Quel goût voulez-vous que trouvent des enfans à cette vertu, avant d'avoir feulement idée de vertu? Aucun fans doute. Or s'ils font l'aumône fans goût dans l'enfance, s'ils ne la font que parce qu'on les y force, ou qu'on leur rend avec ufure leurs aumônes : ils ne la feront pas du tout lorfque, en état de la faire avec mérite, ils n'y trouveront plus aucun avantage fenfible. Je m'y prenois bien autrement pour former mon jeune éleve à ces grands actes de piété. Je n'ignorois pas que fi la plupart des Grands font durs & insensi¬

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bles, c'eft une fatalité attachée à l'efpece d'éducation qu'ils ont le malheur de recevoir. On les fait croître à l'abri de toute douleur & de tout befoin: mais quelle idée de mifere pourroient avoir des hommes, à qui les cinq fens de nature ne parlerent jamais que de bonheur ? L'infenfibilité doit donc être une fuite néceffaire du vice de leur éducation, & c'eft un malheur, dont je m'appliquois

par toutes fortes de moyens, à préserver

celui que je formois à être véritablement grand. Je n'en rapporterai qu'un trait, que j'abregerai même.

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Un matin nous allons nous promener à la campagne dans un bois un peu écarté, & je fais fi bien que nous nous égarons. L'heure du déjeuner arrive, & le déjeuner ne vient pas. Mon bon ami revenons vite au logis, me dit l'enfant, que l'appétit commençoit à piquer. Allons, lui dis-je. Nous marchons, & nous nous égarons davantage. A force d'errer, on fe fatigue il fallut se repofer; un peu de

gazon nous fervit de lit: mais l'appétit ne paffe pas comme la fatigue: Mon ami, me dit l'enfant, je meurs de faim.

LE GOUVERNEUR.

Et moi auffi; mais je n'ai rien pour l'appaifer.

L'ELEVE.

Que nons fommes à plaindre de n'avoir pas fait fuivre le déjeuner !

LE GOUVERNEUR.

Que les lamentations font inutiles quand on a faim ! Mon pauvre ami, elles ne nous donneront pas

à

manger.

L'ELEVE.

Mais je fouffre.

LE GOUVERNEUR.

:

Et moi auffi mais je me confole comme je peux, dans les maux que je ne sau❤

rois corriger.

L'ELEVE.

Il faudra donc se réfoudre à mourir de faim !

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