Imágenes de páginas
PDF
EPUB

pere

Le & la mere doivent commencer ce grand Ouvrage, & leur fubftitut doit le perfectionner. C'eft ordinairement vers l'âge de cinq ou fix ans que les enfans fortent de la maison natale, & passent des mains des femmes à celles de l'Inftituteur qui est substitué à la place du pere, & qui, par un prodige qui n'eft pas fans exemple, peut à force de mérite & de grandeur d'ame, être digne de ce fublime emploi. C'étoit donc aux Inftituteurs feulement que je voulois adreffer cet écrit. Mais confidérant qu'un grand nombre de peres & de meres ont affez de tendreffe éclairer eux-mêmes pour leurs enfans, pour la conduite de leur fubftitut, j'ai cru devoir porter la parole aux uns & aux autres, je le fais avec la liberté d'un véritable ami, & avec la confiance d'un homme für de fon fait.

&

Je fuppofe que pendant les cinq ou fix le & la mere ont pere premieres années,

cu foin d'initier leurs enfans dans les exer

cices du corps, pour les fortifier; qu'ils

ont reprimé avec autant de prudence que de fermeté leurs paffions naiffantes; qu'ils les ont préfervés de l'efprit d'Esclavage & de Tyrannie, en refufant tout à leurs fantaifies, & rien à leurs befoins réels; & je commence, en partant de cette fuppofition.

CHAPITRE PREMIER.

Art de corriger les paffions des Enfans. Premieres leçons de courage & de modé

ration.

APRÈS avoir tâché de donner un peu de force au corps de l'enfant, il faut commencer à fortifier fon ame, & la préferver de la peur. Cette paffion baffe & fi indigne de l'être fait pour dominer fur tous les autres, refferre le cœur, gêne la respiration, interrompt le cours des fucs nourriciers, & caufe fouvent des tremblemens dans les membres, & des vapeurs épileptiques. Pour arrêter ces maux dans leur fource, ac

2

coutumez les enfans à voir, à manier même fans émotion, les objets les plus hideux. Vous les leur montrerez d'abord en peinture, enfuite bien sculptés, puis empaillés, & enfin en nature. Si dans cet exercice vous fuivez une gradation infenfible, vous les familiariferez fi bien avec ces objets, que bientôt, loin d'avoir rien de difforme à leurs yeux, ils leur ferviront de jouet. Allez plus avant, l'homme n'a pas feulement la foibleffe de craindre les objets à la vue defquels il n'eft pas accoutumé, il tremble devant le néant même, que fa pufillanimité réalife. La nuit n'eft rien, & notre erreur la remplit de monftres qui nous effrayent. L'efprit qui, dans les ténébres, n'est diftrait par par la vue des objets fenfibles; le filence profond de toute la nature, qui fait rentrer encore davantage l'ame en elle-même; une ceffation générale de tout mouvement, qui femble abandonner l'homme à fa propre foibleffe: tout fait entrer mille fantômes dans la tête, & fur-tout dans celles des enfans ordinaires,

pas

A y

remplies de contes ridicules, qui ont donné naiffance à la plupart de ces monftres chimériques, & peut-être à tous.

Mes Eleves favent comment je les ac-. coutumois à vivre fans crainte dans les ténébres; j'allois avec eux dans une chambre obfcure, où l'on jouoit de quelque inftrument, tandis que dans le voisinage on faifoit quelque jeu bruyant. Peu-à-peu la nuit devenoit noire, les inftrumens ceffoient, & je leur fubftituois le chant ou un entretien bien égayé. Quelques jours après il y avoit un prix deftiné à celui qui trouvoit un beau fruit qu'on avoit caché dans le coin le plus obfcur.

Ces enfans étoient-ils accoutumés aux ténébres? Je les exerçois contre les furprifes qu'occafionnoient les lumieres fubites & les bruits inattendus.

Les Phofphores étoient employés les uns après les autres. Loin d'être effrayés de ce fpectacle, fur lequel je les avois préils en rioient, ils m'en demandoient l'explication, & je la leur donnois.

venus,

Je prenois delà occafion de leur parler des exhalaifons qui prennent feu dans l'Athmofphere, & fur-tout fur les cimétieres où les huiles & les graiffes des corps morts venant à s'enflammer fubitement, préfentent des fpeâtres de feu, d'où font nées les fables ridicules des Revenans (a).

(a) Le public eft inftruit de ce qui m'eft arrivé dans la Guienne. J'étois dans un collége, où mon attention à obferver les phénomênes de la na⚫ture, m'avoit attiré le furnom de Philofophe. Une nuit d'été je fuis éveillé en furfaut par quatre ou cinq penfionnaires, qui crient au revenant & frappent vivement à ma porte. Je me leve, & je vois dans le cimetiere à trois pieds d'élévation audeffus d'un tombeau, une flamme légere, couchée horisontalement, & imitant parfaitement un corps humain. Quoi! leur dis-je, c'eft-là ce qui vous effraye? Attendez un inftant & je vais vous raffurer. Je defcends avec une baguette, & m'approchant lentement du fpectre, d'un premier coup je lui coupe la tête, qui fe fépare & fe rejoint au corps un inftant après; d'un fecond coup je lui abats les pieds, & d'un troifieme je le partage. en deux. Enfin, prenant mon mouchoir, & le

« AnteriorContinuar »