CHAPITRE V I. Premiers principes des langues. NE calculons pas les avantages qui ré > fultent de l'étude des lettres & des fciences: mille Ecrivains, échos les uns des autres l'ont dit avant moi; & l'expérience l'avoit dit avant tous cette étude, bien entendue, donne à l'efprit de l'élévation, de la jufteffe, de la capacité pour remplir dignement les emplois, & faire fleurir les Etats: enfin elle forme le coeur, quoi qu'en dife Rouffeau, qui a fait un fophifme de quatre-vingts pages pour prouver que les lettres ont nui aux hommes; il eft démontré qu'elle développe le germe de toutes les vertus. Je ne m'abuse cependant pas; & je ne prétends abuser perfonne. L'étude, dont je parle, forme fouvent des hommes mols efféminés, orgueilleux, & plus fouvent encore des ingrats envers la DIVINITÉ. Que conclure delà ? Que cette étude eft ordinairement mal dirigée : on le verra bientôt. La premiere de toutes les Études, la plus difficile, & la plus intéressante pour la société; c'eft celle des Élémens des langues. Ils font le fondement de toutes les fciences, & préfentent à tout Commençant beaucoup d'épines & de dégoûts, parce que les Maîtres s'y prennent mal pour les enseigner, & que ceux qui ont donné des préceptes fur les lettres & fur les fciences, en ont négligé les principes. Architectes infenfés! Ils n'ont donné aucune attention aux fondemens, parce qu'ils ne font pas expofés aux regards publics, & ont épuifé leur génie à décorer le corps de l'édifice, qui doit néceffairement croûler. Sages Inftituteurs, gardez-vous de leur reffembler. Que les Elémens des lettres & des fciences foient ce qui vous occupera le plus. Parmi les langues que vous devez apprendre à vos Eleves, la Françoise doit occuper le premier rang. que Si nous étions en Angleterre ou en Allemagne, ce feroit l'Angloife, ou l'Allemande. Y a-t-il rien de plus bifarre en effet l'habitude, qu'on a prife depuis fi longtemps de faire apprendre à grands frais aux enfans, une langue qu'ils ne parleront peut être jamais ailleurs que fur les bancs du Collége, & de leur laiffer faire à chaque inftant le barbarifine dans la langue qu'ils parlent tous les jours ? On dit communément, pour excufer l'a-bus où l'on eft, que l'ufage apprend affez la a langue qu'on parle journellement, & que les compagnies font un meilleur livre pour les jeunes gens que toutes les grammaires du monde. A cela je réponds que l'ufage n'ap prend qu'à répéter les fautes avec fécurité ou à les multiplier fans mefure. En effet, ou vous parlez devant des ignorans, & ils vous laiffent vos défauts, dans lefquels leur filence ou leur approbation vous confirment; ou bien devant des étourdis, qui vous débitent leurs fautes d'un ton affuré, & vous ap-prenez alors à multiplier les vôtres; quel ť quefois devant des perfonnes inftruites. Mais ces gens-là ne font pas des pédans prompts à vous reprendre, & rarement ils font affez amis, pour le charger du foin de vous apprendre la langue : ils fouffrent avec patience,,ou fe vengent de votre ignorance par le mépris qui ne vous corrige pas. Telles font les obligations que vous avez à l'ufage: voyez; & fi vous le trouvez un affezbon maître, écoutez-le : mon ami, vous、 n'en méritez pas d'autre. Pour moi, je ne crois pas qu'il fuffife pour mes Eleves: & je lui fubftituerai la Grammaire de. Vailly, que je fimplifierai extrêmement. Quant au temps & à la maniere de les initier dans la connoiffance des lettres: je fuppofe que les parens ont évité deux défauts qui ne font que trop ordinaires. On fe preffe 借 trop de les inftruire, premier défaut. La méthode qu'on fuit en les inftruifant, est rebutante, second défaut. » Pour le grand. defir qu'ont les peres, dit Plutarque, que leurs enfans foient les premiers en toutes . chofes, ils les contraignent de travailler ·5 "exceffivement; & ils ne reçoivent pas » volontiers ce qu'on leur donne à apprendre ». Les leçons précoces font un moyen infaillible de faire perdre le temps. aux enfans, & à ceux qui les inftruisent. Semblables aux avides cultivateurs qui fe hâtent, qui, voulant prévenir la saison 9 échauffent le germe par une chaleur précipitée. L'herbe croît rapidement, le bout de la tige imite l'épi mais il n'enferme que du vent: telle eft la tête de ces jeunes perroquets que forment les leçons précoces: elle eft farcie de mots; mais ces mots font pour eux fans idée, & il eft à craindre qu'ils les entendront prononcer de même tout le refte de leur vie; ou que, s'ils y attachent des idées, les unes feront obfcures, & voilà des efprits lourds & pefants : les autres seront fauffes, & les voilà déraisonnables, jufqu'à ce qu'ils ayent défappris avec beaucoup de peine, ce qu'on leur a fait apprendre avec beaucoup d'ennui. Si ces docteurs de fyllabes, qui fe hâtent fi fort de faire briller leurs éleves, favoient combien peu de در |