science eft préférable à beaucoup d'erreurs, s'ils pouvoient comprendre que nos fenfations & nos idées, dont les mots doivent être la fidelle image, font fi variées, qu'elles ont tant de degrés différens, tant de cofleurs fi imperceptiblement nuancées, que la langue la plus riche ne fauroit les exprimer? S'ils avoient pu obferver qu'il n'eft pas d'idée qui n'ait plufieurs termes qui là représentent avec des variétés & des différences qui touchent, non au fens, mais au mode du fens, avec des nuances imperceptibles à tout efprit qui n'a pas affez de force pour envisager tous les côtés d'un objet, que leur Vocabulaire leur auroit paru abfurde! Et qu'ils fe feroient bien gardés d'être fi exigeants vis-à-vis de leurs Difciples (a)!

Autre défaut plus dangereux encore. On

(a) Quoique ma méthode paroiffe plus lente, fes effets font infiniment plus rapides & plus folides que ceux des méthodes ordinaires. Voyez les programmes des exercices de mes éleves âgés de 7, 8 ou 9 ans. Des villes entieres ont été témoins de ces efpeces de phenomênes littéraires.

veut inftruire les enfans par des préceptes fecs & hautains. On prétend leur donner des leçons, comme on les domeroit à des hommes faits, ou comme on donne desordres à des efclaves. Que gagne-t-on par ? On les dégoûte de l'étude & du travail; &, ce dégoût fe fortifiant de jour en jour, au premier rayon de liberté qui luira fur eux, ils vont s'engraiffer abondament d'ignorance.. Voilà ce qui fait que tant d'écoliers. manqués ne font dans la fuite que des gens eififs, mols, efféminés, ignorans & orgueilleux. Et, fi parmi ces écoliers, il s'en trouve qui n'ayent pas de quoi s'entretenir dans leur inutilité, vous les voyez aller s'enterrer tout vivans dans des cloîtres, pour y dévorer une mort myftique, moins effroyable pour eux que le travail dont on les a dégoûtés. Quelle vocation! Ce font: de vrais malheurs qu'on auroit évités en fuivant une méthode différente en proportionnant fes leçons à la foible capacité: des enfans. Mais dans un âge, où tout ce qui n'eft pas jeu, eft une fource d'ennui &

un objet d'averfion, on veut les obliger à s'amufer & à trouver du goût à des chofes que l'intérêt même peut à peine rendre fupportables à des perfonnes formées. On fait un recueil des difficultés les plus épineufes,. (car on veut toujours commencer par ce qu'il y a de plus difficile, pour venir enfuite à ce qu'il y a de plus aifé) on le fait imprimer; le livre eft mis entre les mains des enfans; il faut que les pauvres miférables l'apprenent de force ou de gré, ils fe font pour cela une violence terrible : & la feule vue du livre qu'ils devroient defirer avec une espece de paffion, leur inspire plus d'horreur, qu'ils n'en auront jamais pour les chofes les plus détestables.

Mais encore ces méthodes de Grammaire, qu'on nomme fi bien recueil de difficultés ou tréfor d'épines, comment fontelles digérées? Je dois faire ici ma confeffion publique. La foibleffe que j'ai eue d'abord de fuivre le torrent de la coutume m'a fait perdre une partie de mes peines, & à mes Eleves les plus belles années de leur

vie. Dans les Colléges, où j'ai enfeigné les Elémens de la langue latine, le Prin cipal me donnoit des Rudimens, où l'on rend un compte logical des termes & de leurs rapports & moi, charmé de ce petit livre, que je me gardois bien de comprendre, je le faifois apprendre à mes écoliers ; & j'avois l'injuftice de m'étonner & de me plaindre, quand ils n'avaloient pas fans grimace des mets fi dégoûtans pour eux, & que j'ofois à peine goûter moi-même (a). O que je me fuis bien corrigé dans la fuite! J'ai eu des Eleves d'un âge très-tendre & je leur ai fait un jeu des premieres leçons qu'ils ont reçues.

D'abord, c'étoit quatre Dez, fur les 24 faces defquels étoient gravées les 24 lettres de l'alphabeth. Nous jettions ces Dez, & il falloit nommer les lettres gravées fur les faces fupérieures. On fe faifoit inftruire de

(a) Voyez à la fin du livre, dans la these de M. Defimoles, ce qui regarde nos Rudimens, & les fautes qui fourmillent dans ces livres élémentaires.

leurs noms, on examinoit leur figure, on s'exerçoit foi-même; au bout de quelque temps un gâteau étoit le prix de celui qui avoit réuffi à porter un plus grand nombre de certaines lettres; mais, pour s'en fouvenir, il falloit les tracer en même temps, comme l'on pouvoit fur du papier. Voilà deux exercices réunis. Le premier n'apprend pas à lire, mais il familiarife avec les lettres; le fecond n'enfeigne pas à écrire, mais il apprend peu-à-peu à tenir la plume; mais il fait afpirer à favoir écrire, & c'est tout ce que nous demandons d'abord. Après les Dez, viennent des Cartes blanches; fur lefquelles on a gravé les 24 lettres, dans leurs divers caracteres; puis une boîte, dans laquelle font ces lettres découpées en carton, qu'on tire comme à une lotterie, & que l'on nomme à proportion, &c.

Les premiers mois fe paffent à ces jeux; peu-à-peu les cartes font un peu plus chargées chacune porte deux lettres, voyelle & confonne; puis un mot entier, & enfin plufieurs, Une autre année on a un joli petit