" DARIUS. » ne vous croiez roi que pour les » rendre heureux. Quelle joie pour » vous, grand Prince, d'être la four» ce de tant de biens, & de faire vivre à l'ombre de votre nom tant de peuples dans un fi aimable repos ! » La gloire d'un Roi qui aime fon peuple, & qui en eft aimé; qui, loin » de faire la guerre aux nations voi» fines ou éloignées, les empéche de » l'avoir entre elles, n'eft-elle pas in» finiment plus touchante que celle » de ravager la terre, en répandant » par tout le carnage, le trouble , l'horreur, la confternation, le defefpoir ? Mais un dernier motif doit » encore faire plus d'impreffion fur » votre efprit que tous les autres » c'est celui de la juftice. Vous n'êtes point, graces aux dieux, de ces » Princes * qui ne reconnoiffent » d'autre loi que celle du plus fort, & » qui regardent comme un privilége » attaché à la roiauté, à l'exclufion » des fimples particuliers, d'envahir » le bien d'autrui. b Vous ne faites 39 a Id in fumma fortuna æquius, quod validius: &, fua retinere, privatæ domus ; de alienis certare, regiam laudem efle. Tacit. Annal. lib. 1 5. c. 1. b Ut felicitatis e quantum velis poffe, fic magnitudinis velle quan tum poffis. Plin. in paneg 3 Traj. point confifter votre grandeur à «DARIUS. pouvoir tout ce que vous voulez, « mais à ne vouloir que ce que vous «< pouvez felon les loix, & ce que « vous devez. En effet sera-t-on « injufte & raviffeur quand on ne « prend que quelque arpent de terre « à fon voifin? & fera-t-on jufte, fe- « ra-t-on héros, quand on usurpe & « qu'on envahit des provinces en- « tiéres? Or j'ofe vous demander, Seigneur, quel titre avez-vous fur « la Scythie? Quel tort vous ont fait « les Scythes? Quelle raison pouvez- « vous alléguer pour leur déclarer la « guerre? Celle que vous avez portée « contre les Babyloniens, étoit en « même-tems & néceffaire & jufte : auffi les dieux l'ont-ils favorisée «< d'un heureux fuccès, C'eft à vous, «< Seigneur, de juger fi celle que vous « entreprenez maintenant a les mê- « mes caractéres. pu Il n'y avoit que le zéle généreux d'un frere uniquement occupé de la gloire de fon Prince & du bien blic, qui pût infpirer une telle liberté: mais auffi il n'y avoit du côté du Prince qu'une parfaite modération DARIUS. capable de la fouffrir. Darius, a comme Tacite le remarque d'un grand Empereur avoit fu joindre deux chofes, qui pour l'ordinaire font inalliables, la fouveraineté & la liberté. Loin de fe choquer de celle que fon frere avoit prife, il le remercia de fon confeil, mais n'en profita pas. L'engagement étoit pris. Il partit de Sufe à la tête d'une armée de fept cens mille hommes: fa flote étoit de fix cens vaisseaux, compofée principalement d'Ioniens, & d'autres nations Grecques qui habitoient les côtes de l'Afie mineure & de l'Hellefpont. Il marcha vers le bofphore de Thrace, qu'il paffa fur un pont de bateaux : après quoi, s'étant rendu maître de toute la Thrace, il arriva fur les bords du Danube, appellé autrement Ifter, où il avoit ordonné à sa flote de le venir joindre. Il erigea en plufieurs endroits de fon paffage des colonnes avec des infcriptions magnifiques, dans l'une defquelles il s'appelloit LE MEIL LEUR ET LE PLUS BEAU DE TOUS LES a Nerva Cæfar res olim diffociabiles mifcuit principatum ac liberta tem. Tacit. in vit. Agris. cap. 3. HOMMES. Quelle vanité, quelle pe- DARIUS, titeffe! Herod. lib. 4. cap. 84. 16. Senec. de Encore, fi les défauts de ce Prince fe fuffent terminés à des fentimens d'orgueil & de vanité, ils paroîtroient peut-être plus pardonnables: du moins n'auroient-ils pas été fi funeftes pour les fujets. Mais comment concilier avec le caractére de Darius, qui paroifoit plein de bonté & de Ira. lib. cap. douceur, la cruauté barbare qu'il exerça à l'égard d'Oebazus, vieillard refpectable par fa qualité & par fon mérite? Il avoit trois enfans qui fe préparoient à fuivre le Prince dans fon expédition contre les Scythes. A fon départ de Sufe, ce pere lui demanda par grace de vouloir bien lui laiffer un de fes enfans, pour être la confolation de fa vieilleffe.Un feul ne fuffit pas, répliqua Darius; je veux vous les laiffer tous trois: & fur le champ il les fit mourir. Après avoir paffé le Danube fur un pont de bateaux, il avoit deffein de le rompre, afin de ne point affoiblir fon armée par le gros détachement des troupes qu'il feroit obligé de laiffer à fa garde. Un de fes Officiers lui représenta qu'il étoit bon de fe réserver Herod. lib. 4. cap. 97 101, DARIUS. cette reffource en cas de quelque ac cident fâcheux dans la guerre qu'il entreprenoit. Il le crut, & confia la garde du pont aux Ioniens qui l'avoient conftruit, avec permiffion de Herod. lib. cap. 102, s'en retourner chez eux s'il ne reve noit dans l'efpace de deux mois : puis il s'avança dans la Scythie. il Dès que les Scythes eurent appris 118. 119. que Darius marchoit contre eux, délibérérent enfemble fur les mesures. qu'ils devoient prendre. Ils fentirent bien qu'ils n'étoient pas en état de réfifter feuls à un ennemi si formidable. Ils députérent vers tous les peuples voifins, pour leur demander du fecours, en leur remontrant que le danger étoit commun, & qu'ils avoient tous un égal intérêt à repouffer un ennemi qui en vouloit à tous. Quelques-uns répondirent favorablement à leur demande : d'autres refuférent abfolument d'entrer dans une guerre qui ne les regardoit point, & ils eurent bientôt lieu de s'en répentir. 4. cap. 120$25. Hered lib. Les Scythes avoient pris la fage précaution de mettre en fûreté leurs femmes & leurs enfans, en les faifant paffer fur des chariots vers les parties |