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fembloit rendre l'ame. Alors on fit de part & d'autre des efforts extraordires de courage, les uns pour enlever le Roi, les autres pour le fauver. Cléonnis tua huit Spartiates qui l'entraînoient, & les aiant dépouillés, mit leurs armes en garde entre les mains de fes foldats. Havoit reçu plufieurs bleffures, & elles étoient toutes par devant, preuve certaine qu'aucun des ennemis ne lui avoit fait lâcher le pié.Ariftoméne, combattant dans la même occafion & pour le même fujet, tua cinq Lacédémoniens, dont il emporta auffi les dépouilles, & il ne reçut aucune bleffure. Le Roi fut emporté par les Mefféniens, & tout fanglant & percé de coups, il témoigna fa joie de ce qu'ils n'avoient pas eu du deffous. Ariftoméne après la bataille, rencontra Cléonnis, qui ne pouvoit, à caufe de fes bleffures, marcher ni de lui-même, ni avec le fecours de ceux qui lui donnoient la main. Il le chargea fur fes épaules fans quitter fes armes, & le porta au camp.

Après qu'on eut mis le premier appareil aux plaies du Roi de Meffénie & des Officiers, il s'éleva parmi lés Mefféniens un nouveau combat, non

moins vif que le premier, mais d'une efpece bien différente, & qui en étoit la fuite. Il s'agiffoit d'adjuger le prix de la gloire à celui qui s'y étoit le plus diftingué par fa bravoure. C'étoit pour lors un ufage, déja affez ancien, de faire proclamer publiquement le plus brave de la journée après chaque bataille. Rien n'étoit plus propre animer le courage des Officiers & des foldats, à leur infpirer une audace intrépide, à étoufer en eux toute crainte des dangers & de la mort. Deux illu ftres champions entrérent en lice, fa

voir Cléonnis & Ariftoméne.

à

Le Roi, tout bleffé qu'il étoit, préfida avec les principaux Officiers de l'armée au Confeil où cette impor tante difpute devoit être décidée. Chacun des contendans plaida fa caufe. Cléonnis appuioit fa prétention fur le plus grand nombre d'ennemis qu'il avoit tués, & fur les plaies qu'il avoit reçues dans le combat, témoins non douteux du courage avec lequel il avoit affronté la mort; au lieu que l'état dans lequel Ariftoméne étoit forti du combat fans y avoir reçu aucune bleffure, laiffoit entrevoir qu'il avoit été fort attentif à conferver fa

perfonne, ou prouvoit tout au plus qu'il avoit été plus heureux mais non pas plus brave que lui. Quant à ce qu'il l'avoit tranfporté fur fes épaules dans le camp, c'étoit une action qui pouvoit montrer la force de fon corps, mais rien de plus : & ici, disoit-il, il s'agit de bravoure.

Le feul reproche qu'on faifoit à Ariftoméne, étoit de ce qu'il n'avoit point été bleffé, & c'eft à quoi il s'at-i tacha. » On m'appelle heureux, dit

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il, parce que je n'ai point reçu de » bleffures. Si j'en étois redevable à. » ma lâcheté, je ne mériterois point » ce nom; & au lieu d'être admis à difputer le prix, je devrois fubir la rigueur des loix qui puniffent les » lâches. Mais ce qu'on m'objecte: » comme un crime, c'eft ce qui fait "ma gloire. Car, foit que les enne", mis étonnés de ma valeur n'aient: » ofé me réfifter, ce m'eft une grande louange de m'être fait craindre » d'eux. Soit,quand ils ont combattu, que j'aie eu tout ensemble & la force » de les tailler en piéces, & la fage: précaution de me préserver de leurs " coups, j'aurai été tout à la fois & → vaillant & prudent. Car quiconque

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dans la chaleur même du combat « s'expofe aux hazards avec fageffe & retenue, montre qu'il poffede en « même tems les vertus & du corps & « de l'efprit. On ne peut pas certai- « nement reprocher à Cléonnis qu'il ait manqué de courage: mais je «<< fuis fâché, pour fon honneur, qu'il « paroiffe manquer de reconnoiffance... Après ces difcours on alla aux fuffrages. Tout le monde demeure fufpendu dans l'attente du jugement. Nulle difpute n'égale celle-ci en vivacité. Il ne s'agit point d'or ou d'argent. L'honneur eft ici tout pur. La gloire defintéreffée eft le vrai falaire de la vertu. Ici les Juges ne font point fufpects. Les actions parlent encore. C'est le Roi, environné de fes Officiers, qui préfide & qui prononce. C'est toute une armée qui eft témoin. Le champ de bataille eft un tribunal fans faveur & fans cabale. Toutes les voix fe réunirent en faveur d'Ariftoméne, & lui adjugérent le prix.. Euphaès ne furvécut pas lontems à Paufan.lib. ce jugement, & mourut quelques jours après. Il avoit régné treize ans, & fait la guerre pendant tout ce tems contre les Lacédémoniens. Comme

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de l'Académ.

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il mouroit fans enfans, il laiffa au peuple Meffénien le foin de lui choifir un fucceffeur, Cléonnis & Damis le difputérent à Ariftoméne: mais celuiei fut élu préférablement aux autres. Quand il fut roi, il honora des plus grandes charges fes deux rivaux. Vifs amateurs du bien public encore plus que de la gloire, concurrens mais non ennemis, ces grands hommes brûloient de zéle pour la patrie,& ils n'étoient ni jaloux ni amis que pour la fauver.

J'ai fuivi dans le récit que je viens

de faire le fentiment de feu M. Boivin *Mémoires l'aîné, & ai profité de fa favante* des Infcript. differtation fur un fragment de Dio Tome 3. pag. dore de Sicile qui étoit peu connu. Il y fuppofe & y prouve que le Roi dont il eft parlé dans le fragment eft Euphaès, & qu'Ariftoméne eft celui que Paufanias appelle Ariftodéme, felon la coutume des anciens qui fouvent avoient deux noms.

Ariftoméne, nommé autrement Ariftodéme, régna près de fept ans, & fut également eftimé & aimé de fes fujets. La guerre continua toujours Clem. Alex. pendant ce tems-là. Vers la fin de in Protrept. P. Ton régne il batit les Lacédémoniens,

29.

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