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côté de la porte, le Directeur de l'Académie, suivi de tout ce qu'il y avoit d'Académiciens, selon que le hasard les rangea; et au bas bout de la table, vis-à-vis de la Reine, le Secrétaire de la Compagnie.

Quand on fut placé, le Directeur (c'étoit M. de La Chambre) se leva pour faire son compliment. Tous les autres se levèrent aussi, et l'écoutèrent debout, excepté M. Séguier. Pendant le reste de la séance, qui fut d'environ une heure, ils demeurèrent assis, mais découverts; et le temps se passa à lire diverses pièces de leur composition, vers et prose.

Une chose assez plaisante, et dont la Reine se mit à rire toute la première, ce fut que le Secrétaire voulant lui montrer un essai du Dictionnaire, qui occupoit dès lors la Compagnie, il ouvrit par hasard son portefeuille au mot jeu, où se trouva cette phrase, jeux de prince, qui ne plaisent qu'à ceux qui les font, pour signifier des jeux qui vont à fàcher ou à blesser quelqu'un.

Je passe d'autres particularités, que l'éloignement des temps rendroit aujourd'hui moins intéressantes, et qu'on peut voir dans une lettre de M. Patru à M. d'Ablancourt '.

Quatre ou cinq ans après, le Roi choisit parmi ceux qui composoient l'Académie françoise, « un petit nombre

1 C'est la sixième des lettres de Patru à d'Ablancourt: elle n'est point datée, mais on y supplée par une lettre de Gui Patin à Charles Spon, du 22 mars 1658. Deux ans auparavant, la reine de Suède étoit déjà venue en France, et avoit été haranguée par M. Patru, au nom de l'Académie. Les registres de ce temps-là sont perdus ceux qui restent ne commencent qu'en 1673 (0.).

« de savants les plus versés dans la connoissance de << l'histoire et de l'antiquité, pour travailler aux inscrip<«<tions, aux devises, aux médailles'. » Et de là sortit en 1663 une espèce de colonie, qui, sous le titre d'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, s'est accrue de nos jours avec tant d'éclat.

Une autre Académie, dont les découvertes ont porté la gloire du nom françois bien au delà des mers, l'Académie des Sciences, commença en 1666.

Jusqu'alors l'Académie françoise n'avoit pas encore approché du trône; mais cette distinction lui fut enfin accordée comme par hasard sur les remontrances de M. Rose Secrétaire du Cabinet 2. Le Roi, au retour de la cam

1 Voyez les Lettres-Patentes qui confirment l'établissement de l'Académie des Inscriptions, et de celle des Sciences, en 1713 (0.). · Voy. aux Pièces justificatives.

Toussaint Rose, secrétaire du cabinet, servant par quartier avec MM. Bartet, Talon et Galland, aux gages de 1,200 livres, fut reçu membre de l'Académie à la place de Con rart. Son discours de réception, qu'il prononça le 12 décembre 1675, dans la même séance où fut reçu M. de Cordemoy à la place de Ballesdens, rappelle le service rendu par lui à l'Académie : « La bonté, dit-il, avec laquelle il plaît au Roi de me souffrir auprès de lui, et peut-être le généreux souvenir qui vous reste de quelque témoignage superflu de ma bonne volonté, ont eu beaucoup plus de part que ma propre considération au précieux don que vous me faites. » — Une note jointe au texte de son discours porte: « J'eus le bonheur d'être employé par l'Académie auprès du Roi, en l'an 1667, afin qu'il plût à Sa Majesté de l'admettre à lui rendre ses respects en corps, comme les autres Compagnies souveraines au retour de ses campagnes et dans les occasions solennelles, ce qui lui fut accordé.» (Recueil de harangues prononcées par Messieurs de l'Académie françoise. - Paris, J.-B. Coignard, 1698.-1 vol. in-4o, p. 273.)

pagne 1667', ayant été harangué selon l'usage par les Compagnies supérieures, alla ensuite à la chasse; et comme il permettoit qu'on l'entretînt librement au débotté, les harangues du matin y furent toutes ressassées l'une après l'autre. Sur quoi M. Rose2 dit agréablement que, dans des occasions où il s'agit d'éloquence, c'étoit un abus de ne pas y appeler une Compagnie, la seule qui soit instituée pour cultiver l'éloquence; et que sa Majesté, après avoir réformé tant d'autres abus dans son royaume, ne devoit pas souffrir celui-là. Il n'en fallut pas davantage; le Roi ordonna: «Que dans toutes « les occasions qu'il y auroit de le haranguer, l'Aca«démie françoise y seroit reçue avec les mêmes hon«neurs que les Cours supérieures; » et l'Académie jouit pour la première fois de cette prérogative, après la conquête de la Franche-Comté, en 1668 3.

Pour ne pas interrompre sans raison l'ordre chronologique, marquons en cet endroit l'établissement des deux prix qu'elle distribue tous les deux ans, l'un d'éloquence, l'autre de poésie.

Quant au prix d'éloquence, il a été fondé par M. de Balzac, mort en 1654. Divers obstacles empêchèrent que sa volonté ne pût être mise à exécution jusqu'en

1 Il s'agit de la campagne que fit le Roi en Flandre pour prendre possession de ce qui était échu à la reine Marie-Thérèse, par suite de la mort du roi d'Espagne, son père.

2 M. Rose avait auprès du Roi tout son franc-parler. Voy. le Journal de Dangeau, t. I, p. 52.

Le Recueil des Harangues académiques ne nous a point conservé le discours qui fut alors prononcé.

1671'. Et comme son fonds avoit profité jusqu'alors, ce prix qu'il avoit fixé à deux cents livres, fut porté à trois cents. C'est une médaille d'or qui d'un côté représente saint Louis, et de l'autre, une couronne de lauriers avec ce mot: A L'IMMORTALITÉ, qui est la devise de l'Académie.

Pareille somme est destinée au prix de poésie. Trois Académiciens, du nombre desquels étoit M. Pellisson2, en partagèrent d'abord les frais; la Compagnie les fit trois fois de suite en corps, après la mort de M. Pellisson; enfin M. de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, et membre de l'Académie, fonda ce prix3 à perpétuité. C'est aussi une médaille d'or, qui a d'un côté la figure du Roi, et sur le revers la devise de l'Académie.

Plus de six mois avant la fête de saint Louis, jour que l'Académie distribue ses prix en pleine assemblée, elle répand par toute la France un imprimé, où elle marque sur quels sujets on doit composer pour l'année courante, et où elle avertit:

1 On sait cela par l'affiche des prix de l'année 1671. (0.)

On m'a dit que les deux adjoints de M. Pellisson étoient M. Conrart et M. de Bezons. Après la mort de M. Conrart, les deux survivants partagèrent les frais; et quand M. Pellisson se trouva seul, il les fit seul. On sait cela sûrement à l'égard de M. Pellisson; mais pour les deux autres, on ne le sait que par conjecture; car leur argent étoit porté au libraire de l'Académie, sans que personne sût d'où il venoit. (0.)

3 Il donna trois mille francs, qui furent constitués sur l'Hôtelde-ville de Paris en 1699. On trouve dans le Mercure galant (juin de la même année) le discours qu'il fit à ce sujet dans l'Academie. (0)

1. Que les pièces qui seront présentées pour le prix d'éloquence doivent avoir une approbation signée de deux docteurs de la Faculté de Paris, et y résidant actuellement;

II. Qu'elles ne doivent être tout au plus que d'une demiheure de lecture, et qu'il faut les finir par une courte prière à Jésus-Christ;

III. Que les pièces qui seront présentées pour le prix de poésie, ne doivent pas excéder cent vers; et qu'il faut y ajouter une courte prière à Dieu pour le Roi, séparée du corps de l'ouvrage, et de telle mesure de vers qu'on voudra;

IV. Que toute sortes de personnes seront reçues à composer pour les deux prix, hors les Quarante de l'Académie, qui en doivent être les juges;

V. Que les auteurs ne mettront point leur nom à leur ouvrage, mais une marque ou un paraphe, avec un passage de l'Écriture sainte pour les discours de prose, et telle autre sentence qu'il leur plaira pour les pièces de poésie;

VI. Que les pièces des auteurs qui se seront fait connoître, soit par eux-mêmes, soit par leurs amis, seront rejetées et ne concourront point; et que tous Messieurs les Académiciens ont promis de se récuser eux-mêmes, et de ne pas donner leurs suffrages pour les pièces dont les auteurs leur seront connus ;

VII. Que les auteurs feront remettre leurs pièces au libraire de l'Académie, port franc, et avant le 1er du mois de juillet, sans quoi elles ne seront pas reçues.

Il est certain que ces deux prix mettent parmi hos jeunes écrivains une noble jalousie, qui sert infiniment à perfectionner leurs talents; et c'est à quoi peut-être nous devons une partie des orateurs et des poëtes que nous avons eus depuis 1671'.

1 On en jugera par la liste des auteurs qui ont remporté les prix d'éloquence et de poésie depuis 1671 jusqu'à l'époque où s'arrête l'histoire de l'abbé d'Olivet, en 1700. Nous trouvons 1° pour l'élo

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