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XI

JEAN CHAPELAIN'.

Conseiller du Roi en ses Conseils, l'un des premiers Académiciens,
mort le 22 février 1674.

Il naquit à Paris en 1595, le 4 décembre. Sa mère qui avoit fort connu Ronsard, et dont l'idée étoit frappée des honneurs que ce poëte avoit reçus de son siècle, souhaitoit passionnément qu'un de ses fils pût entrer dans la même lice. Du moment donc qu'elle vit en celuici d'heureuses dispositions pour l'étude, elle le voua, si j'ose ainsi dire, à la poésie. Dans cette vue, elle le mit en pension dès l'âge de neuf ans chez le célèbre Frédéric Morel3, doyen des lecteurs du Roi, d'où il alloit au collège de Calvi prendre les leçons de Nicolas Bour

1 Voyez aux Pièces justificatives les extraits des lettres de l'abbé d'Olivet au président Bouhier.

2 De Sébastien Chapelain, notaire au Châtelet, et de Jeanne Corbière, fille d'un Michel Corbière, ami particulier de Ronsard. (o.)— Nous avons vu un acte passé au nom des héritiers de Victor (Palma-) Cayet, par-devant Chapelain et Doujat, notaires au Châtelet.

3 Il semble qu'il ait eu pour son précepteur M. Le Large, qui fut aussi celui du comte de Fiesque : « Avec votre permission, écrit-il au comte, je vous ferai souvenir ici de la rigidité stoïque de feu M. Le Large, notre adorable précepteur. >>

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bon, excellent poëte latin, et qui fut un des académiciens nommés par le cardinal de Richelieu. Il fit d'étonnants progrès sous de si grands maîtres; et nonseulement il se rendit habile dans les humanités, mais à ses heures perdues, il apprit de lui-même l'italien' et l'Espagnol 2.

Au sortir des classes, il entra chez le marquis de La trousse3, grand prévôt de France, qui lui confia d'abord l'éducation de ses enfants, et ensuite l'administration de ses affaires. Il y demeura dix-sept ans entiers",

1 « M. Chapelain, dit Tallemant, se pique de savoir mieux la langue italienne que les Italiens mêmes.» (Edition P. Paris, 111, 279.)

2 Pour sa connaissance de la langue espagnole, voyez ci-dessous la note 5, et p. 135, le texte et la note 3.

3 << MM. de La Trousse, dont Chapelain fit l'éducation, étaient: 1° François Le Hardy, sieur de La Trousse, qui épousa Henriette de Coulanges, tante de Mme de Sévigné; 2o François Le Hardy, seigneur de Fay, depuis gouverneur de Roses et maréchal de camp. Leur père était Sébastien Le Hardy, sieur de La Trousse.» (P. Paris, Commentaire sur Tallemant.)

Dans les nombreuses lettres écrites par Chapelain à M. de La Trousse, à M. du Fay et à leur sœur Mme de Flamarens, on voit sur quel pied était Chapelain dans la maison de leur père : c'était un ami, c'était un frère aîné qui leur donnait des conseils sur l'emploi et la direction de leur fortune, etc., etc. Dans une lettre adressée à Balzac, à la date du 17 juillet 1638, il disait, en parlant de la mort de l'aîné de ses élèves : « Ce gentilhomme étoit comme mon enfant. Je m'étois de tout temps intéressé dans son honneur et dans sa fortune; j'en étois tendrement et respectueusement aimé. »

Supposé qu'il ait traduit Guzman d'Alfarache, comme on le croit, ce fut pendant ce temps-là. Mais il n'en convenoit point; et M. Pellisson, lorsqu'il donna la liste des ouvrages publiés jusqu'en 1652 par Chapelain, ne fait point mention de celui-ci,

pendant lesquels, vivant presque toujours à la Cour, il résista par prudence à la tentation de rimer. Il craignoit que s'il s'étoit une fois donné pour poëte, la calomnie ne vînt à lui attribuer tôt ou tard quelqu'une de ces imprudentes satires, qui sont dans les Cours la ressource ordinaire des mécontents et des fous'. Mais il ne laissoit pas de s'appliquer sourdement à la Poétique, et il est le premier de nos François qui ait songé à en faire une étude sérieuse. Car jusque-là nos poëtes, contents de savoir les règles de la versification, se figuroient qu'à cela près tout étoit arbitraire dans leur art2.

quoique imprimé longtemps auparavant. Il faut cependant avouer que l'abbé de Marolles, dans son Dénombrement d'Auteurs, ne permet pas d'en douter. (o.) S'il m'était permis de donner ici mon opinion, je dirais que le style de Guzman d'Alfarache est tellement différent de tout ce qui existe de Chapelain en prose, qu'il semble impossible qu'il soit auteur de cette traduction.

1 Il est étrange que l'abbé d'Olivet ait donné du long silence de Chapelain cette singulière interprétation. Voici une autre explication que nous trouvons dans ses lettres, et qui est bien plus à l'avantage de sa modestie que de sa prudence: «Croyezmoi, dit-il à Balzac, je suis peu de chose, et ce que je fais est encore moindre que moi. Le monde, par force et contre mon intention, me veut regarder comme un grand poëte, et, quand je ne serois pas tout le contraire, je ne voudrois pas encore que ce fût par là qu'on me regardât. J'ai, ce me semble, de quoi payer en chose meilleure et que je possède plus justement. Et néanmoins encore, je ne sais si ce ne seroit point présomption de m'imaginer qu'en cela je mériterois quelque louange. J'éprouve, quant à moi, qu'il n'y a rien de si solide dans la vie que l'estime sincère que nous faisons de nous-mêmes par la connoissance que nous en avons.» (Lettre du 4 novembre 1637.)

2 Ici encore nous n'oserions essayer de justifier l'opinion de l'abbé d'Olivet.

Quoique dès lors l'Italie n'eût point mal débrouillé la Poétique d'Aristote', cependant le cavalier Marin n'avoit suivi que son caprice dans son Adone. Il vint à la cour de France, où étoient Malherbe et Vaugelas, qu'il pria d'entendre la lecture de ce poëme, avant que d'en risquer l'impression. Ils lui proposèrent d'y appeler un jeune homme de leur connoissance, qui savoit aussi bien qu'eux l'italien, et mieux qu'eux la Poétique. C'étoit M. Chapelain. Il trouva dans ce poëme d'excellentes parties, mais qui n'alloient pas à faire un tout; que le sujet étoit mal pris, mal conduit; que néanmoins on pouvoit, à l'aide d'une préface raisonnée, jeter de la poussière aux yeux, et prévenir les critiques. Il parla en homme si éclairé, que ses trois auditeurs le jugèrent seul capable d'exécuter ce qu'il proposoit. Et cette préface, qu'enfin ils arrachèrent de lui, fut le premier ouvrage par où il se laissa connoître2: ouvrage qui ne suffiroit pas aujourd'hui pour établir la réputation d'un auteur, mais qui, dans un temps où personne n'étoit au fait de la Poétique, fut regardé, même parmi les gens de lettres, comme une nouveauté d'un grand prix.

Un rien détermine souvent la vocation d'un écrivain. Quand M. Chapelain vit le succès de sa dissertation, il se crut appelé à faire un poëme épique. D'ailleurs, les discours que sa mère lui avoit tenus sur la gloire des

1 Est-ce de Castelvetro que veut parler l'abbé d'Olivet? Castelvetro s'était plus attaché à combattre, de parti pris et systématiquement la poétique d'Aristote qu'à l'expliquer. Son ouvrage avait eu une grande vogue en France.

2 C'est en 1623 que se fit la première édition de l'Adone.

grands poëtes ne s'étoient pas effacés de son esprit. Il arrêta donc son sujet : mais naturellement moins vif que judicieux, il employa d'abord cinq années de suite à le méditer, et ne fit son premier vers qu'après avoir ébauché le tout en prose. Tant de flegme, peut-être, n'annonce point cet enthousiasme, qui fait qu'un poëte ne sauroit attendre pour rimer que sa raison ait si longtemps délibéré sur ce que son imagination entreprend. Peut-être même que la sécheresse et la dureté qu'on reproche au poëme de la Pucelle viennent de ce que l'auteur commença si tard à versifier. Car la mécanique du vers demande une habitude prise de jeunesse.

Les faveurs dont Parnasse m'honore,

disoit Malherbe,

Non loin de mon berceau commencèrent leur cours.

Au lieu

que M. Chapelain, lorsqu'il mit la main à l'œuvre, passoit trente-quatre ans.

Tant que son plan ne fut vu qu'en prose, les connoisseurs en furent charmés. Jusque-là que MM. d'Andilly et Le Maistre en parlèrent au duc de Longueville, comme d'un projet où la gloire de sa maison étoit intéressée ; et ils en parlèrent si efficacement que, pour engager M. Chapelain à ne point perdre de vue son travail, ce généreux prince lui assura mille écus de pension'.

1 Deux mille francs seulement, selon le Ménagiana, qui accuse méchamment Chapelain d'avoir retardé la publication de sa Pucelle, pour jouir plus longtemps de sa pension. (Ménag., édition de 1694, 1, 35.)

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