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XIII

JACQUES CASSAGNES,

Docteur en théologie, Garde de la Bibliothèque du Roi, reçu à l'Académie en 16611, mort le 19 mai 1679.

Né et élevé à Nîmes, dans le sein d'une famille opulente2, il vint jeune à Paris, où il prit d'abord les deux routes qui peuvent le plus promptement mener à se faire un nom3. Je veux dire la prédication et la poésie.

'C'est en 1662. Saint-Amant, à qui succédait Cassagnes, n'était mort que le 29 décembre 1661.

2 Son père, Michel Cassagnes, fut maître des requêtes du duc d'Orléans, puis trésorier du domaine de la sénéchaussée de Nîmes. (o.)

3 Chapelain, dans son Mémoire des Gens de lettres, parle aussi de l'ambition de l'abbé Cassagnes. Mais à l'en croire, cette ambition était justifiée par des talents. Voici le passage: « Cassaigne. -Est un très-bel esprit et qui écrit bien en prose françoise, avec plus de naturel que d'acquit, surtout dans les lettres humaines, son inclination pieuse l'ayant plus porté à l'étude de la théologie qu'à toute autre. Son génie est soutenu et ses expressions pures et fortes, avec beaucoup de sentiments nobles et moraux. Il seroit plus propre à la chaire qu'à tout si sa foible santé lui permettoit de s'y appliquer; et si son jugement se peut mûrir et tempérer le beau feu qui l'agite, il y tiendra un des premiers rangs. Ce seroit aussi une plume à faire d'éclatants panégyriques; enfin, c'est un des jeunes gens de ce siècle de la plus belle espérance et des plus nés à la vertu : car pour l'ambition et l'amour de ses ouvrages, ce sont deux défauts qui ne sont blamables qu'aux gens d'un àge plus avancé. » (Mélanges de littérature, tirés des lettres-Ms. de M. Chapelain.- Paris, 1726, in-8°, pages 255-254.)

Car un savant n'est connu qu'à la longue; il ne l'est même que de ses pareils; et souvent il travaille moins pour lui que pour la postérité. Mais le nom d'un poëte, d'un prédicateur vole bientôt de bouche en bouche; et quand sa réputation ne devroit être que passagère, du moins elle n'est pas tardive, il en jouit.

Une ode que M. l'abbé Cassagnes fit à la louange de l'Académie françoise, lui en ouvrit les portes à l'âge de vingt-sept ans '.

Un de ses poëmes, où il introduit Henri IV donnant des instructions à Louis XIV, plut infiniment à M. Colbert; et ce grand ministre, qui ne savoit point estimer sans récompenser, lui procura une pension de la Cour, le fit garde de la bibliothèque du Roi2, et le nomma ensuite un des quatre premiers académiciens dont l'Académie des Inscriptions fut d'abord composée.

Quant à son talent pour la chaire, je n'en sais rien de particulier, si ce n'est qu'après avoir été applaudi dans Paris, il fut nommé pour prêcher à la Cour, mais

'Si l'abbé Cassagnes est entré à l'Académie en 1662, à 27 ans; il était né en 1635. - S'il est né en 1635, ce n'est pas à l'âge de 46 ans qu'il est mort, en 1679; c'est à l'âge de 44 ans. Dans l'un de ces deux passages il y a une erreur.

* Non pas garde de la bibliothèque privée du Roi, qui était au Louvre, et dont l'abbé de Chaumont, de l'Académie française, était directeur, mais de la bibliothèque publique du Roi, alors située dans le quartier de l'Université. Le savant Bignon en était grandmaître, et l'évêque de Luçon (Nicolas Colbert) en était le gardien titulaire; mais il avait délégué sa charge à l'a bbé Cassagnes. (État de la France.)

n'y prêcha point 1: et cela, parce qu'un peu avant qu'il dût y paroître, la satire où son nom est lié avec celui de l'abbé Cotin étant devenue publique2, il craignit avec raison de trouver les courtisans disposés à le condamner sans l'entendre, Cependant, à juger de lui par son Oraison funèbre de M. Péréfixe, il n'étoit pas sans mérite pour le temps où il prêchoit. Et après tout, si nous voulons dire vrai, qu'étoit-ce parmi nous que l'éloquence de la chaire, avant que les Fléchier nous eussent appris les grâces de la diction; que les Bossuet nous eussent donné une idée du pathétique et du sublime; que les Bourdaloue nous eussent fait préférer à tout le reste la raison mise dans son jour? Jusqu'alors, ce qu'on appeloit prêcher, c'étoit mettre ensemble beau

1 En 1691 avait paru le Sorberiana, où d'Olivet eût pu se renseigner sur la réputation de Cassagnes comme prédicateur : « Je crains que pour trop bien prêcher il ne prêche fort mal, si la gloire d'un prédicateur dépend de la faute de son auditoire. Il n'y a rien de plus régulier que son discours, rien de plus harmonieux que ses périodes, rien de plus solide que ses pensées. Il n'y a pas une seule parole à perdre ni même à transposer dans tout un sermon; tout est plein de bon sens, de savoir et d'éloquence. Mais c'est ce qui me fait craindre que, ne prêchant que pour les gens d'esprit, qui ont le goût fin, il ne soit pas assez accommodé aux oreilles du vulgaire, qui veut peu de matière et beaucoup de paroles... Mais que M. l'abbé Cassagnes ne laisse pas d'aller son train, quelque prodigalité de doctrine et de politesse dont je le reprenne; qu'il enseigne aux autres prédicateurs comme il faut parler en honnête homme, et qu'il accoutume ses auditeurs à se voir traités en honnêtes gens. »

(Sorberiana, sive excerpta ex ore Sam. Sorbiere.—Tolosa, Colomiez. 1691. 1 vol. in-18, pages 88-90).

2 Despréaux, satire III, vers 60. (o.)-Cette satire parut en 1663.

coup de pensées mal assorties, souvent frivoles, et les énoncer avec de grands mots'.

Quoi qu'il en soit, le trait satirique dont le cœur de M. l'abbé Cassagnes fut blessé, eut des suites déplorables. Pour un homme ardent, ambitieux, et dans l'âge où l'amour de la gloire a le plus d'empire, quelle douleur de se voir comme arrêté au milieu de sa course par une raillerie devenue proverbe en naissant?! Il fit les derniers efforts pour regagner l'estime du public; il produisit coup sur coup divers ouvrages, qui certainement devoient lui faire honneur; il en méditoit encore un autre de plus longue haleine3, lorsqu'enfin il succomba sous le poids et de l'étude et du chagrin. Ses parents, avertis que sa tête se dérangeoit, accoururent

1 Étrange erreur qu'explique l'ignorance où l'on était alors des écrits laissés par les sermonnaires de l'époque précédente. Si d'Olivet avait connu les sermons de Cospeau, de Philippe du Bec, d'Isnard, de Jaubert de Barrault, il aurait vu quelle influence avaient eue les ouvrages du P. Dumas et du P. Mazarini (traduit par Baudouin), pour bannir les citations profanes, et quels hommes, même avant la publication de ces ouvrages, avaient su trouver la vraie éloquence.

2 Expression empruntée à Despréaux.

3 Des homélies propres à être récitées au prône dans les églises où il n'y auroit point de prédicateur. Voyez les Parallèles des anciens et des modernes, tome 1. (0.)

Peut-être suffirait-il de sa mauvaise santé, qui nous est connue depuis 1662 par le Mémoire de Chapelain, pour expliquer sa mort prématurée, en 1679.- Il faut remarquer d'ailleurs qu'il survécut de seize ans au trait lancé par Despréaux en 1663; qu'il publia de nombreux volumes dans l'intervalle, et qu'il prêcha même en public, puisque c'est lui qui fut chargé de l'oraison funèbre de l'archevêque de Paris, l'académicien Hardouin de Péréfixe, en 1671.

du fond de leur province, et l'ayant trouvé hors d'état de pouvoir être transporté en Languedoc, furent contraints de le mettre à Saint-Lazare, où il mourut âgé seulement de quarante-six ans. Triste effet de la satire, et qui devoit bien rendre amer pour l'auteur lui-même le plaisir qu'elle pouvoit d'ailleurs lui donner!

XIV

OLIVIER PATRU,

Avocat au Parlement, reçu à l'Académie en 1640, mort le 16 janvier 1681.

Il naquit à Paris en 1604'. Il fut élevé, comme la plupart des Parisiens, avec trop de mollesse. C'étoit le plus bel enfant qu'on pût voir 2. De l'esprit, des manières, du penchant à l'étude, pourvu néanmoins qu'on lui choisit une étude agréable. Il fit excellemment ses humanités; en philosophie, au contraire, la barbarie des termes le révolta. Sa mère, qui étoit une riche procureuse, lui voyant de l'aversion pour ses cahiers, les jetoit elle-même au feu, et lui donnoit des romans à lire. Ensuite, un jour par semaine, elle invitoit quelquesunes de ses voisines, et devant elles lui faisoit rendre compte de ses lectures. Il narroit avec une grâce infinie; toutes ces femmes sortoient charmées; et l'audi

Son père était procureur en la cour.

'Depuis, Ménage a dit que « M. Patru étoit beau et bien fait, mais il n'avoit pas la prononciation belle. >>

(Menagiana, I, 265, edition citée.

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