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toire grossit à un tel point que, n'y ayant plus de quoi recevoir tout ce qui se présentoit, les assemblées furent

rompues.

Dans un voyage qu'il fit à Rome en 1623, «< il rencontra à Turin M. d'Urfé, qui venoit de donner l'Astrée au public, et il lui parla des beautés de son ouvrage d'une manière si intelligente, que ce seigneur, qui passoit alors pour l'auteur françois le plus spirituel et le plus poli, l'engagea à passer au retour par sa maison de Forez, pour l'entretenir à fond de son Astrée, et lui en expliquer le mystère; mais le jeune voyageur apprit la mort de M. d'Urfé' en repassant par Lyon 2. ›

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Pour peu qu'il eût naturellement aimé le faux et le frivole en matière d'éloquence, les romans eussent sans doute achevé de le gâter, surtout dans un temps où le barreau avoit un goût encore plus mauvais, s'il se peut, que les romans même. En ce temps-là, pour être souverainement éloquent, il falloit qu'un avocat ne dit presque rien de sa cause, mais qu'il fit des allusions continuelles aux traits de l'antiquité les moins connus, et qu'il eût l'art d'y répandre une nouvelle obscurité, en ne faisant de tout son discours qu'un tissu de métaphores. Cicéron, que M. Patru se rendit de bonne heure familier, et dont il traduisit une des plus belles `oraisons, lui fit comprendre qu'il faut toujours avoir

1 Honoré d'Urfé mourut en 1625.

2 Voyez l'éloge de M. Patru, au devant de ses plaidoyers, édition de Paris, 1681. Ceci en est tiré mot à mot. Le P. Bouhours, ami particulier de M. Patru, et qui lui a dédié le premier volume de ses Remarques sur la langue, est l'auteur de cet éloge. (0.)

un but, et ne jamais le perdre de vue ; qu'il faut y aller par le droit chemin, ou, si l'on fait quelque détour, que ce soit pour y arriver plus sûrement ; et qu'enfin si les pensées ne sont vraies, les raisonnements solides, l'élocution pure, les parties du discours bien disposées, on n'est pas orateur. Il se forma donc sur Cicéron, et le suivit d'assez près en tout, hors en ce qui regarde la force et la véhémence. Mais outre qu'elle pouvoit ne pas convenir à la douceur de son caractère, si d'ailleurs nous considérons de combien de vices il eut à purger l'éloquence de son siècle, nous lui pardonnerons aisément de n'avoir pas eu toutes les vertus'.

Il fut connu du cardinal de Richelieu par la belle épître qui est au devant du Nouveau Monde de Laet. Quand les Elzéviers présentèrent ce livre au Cardinal, il lut et relut l'épître dédicatoire, il la trouva d'un style merveilleux, et, sachant que c'étoit M. Patru qui

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Vigneul-Marville nous représente ainsi Patru comme avocat : - «On l'appeloit dans sa jeunesse le beau Patru. Il a été un des premiers qui a introduit sur le barreau la pureté du langage, jointe à une manière d'éloquence copiée sur celle des anciens. C'étoit un orateur de l'air de celui que Cicéron appeloit Orator parum vehemens. Le geste, la voix et quelques autres grâces extérieures lui manquant, le reste avoit peu de lustre. Il se tuoit de parler, on se tuoit de l'écouter, et après tout on ne l'entendoit point... Il ne venoit guère au Palais pour y plaider ni pour y être consulté, sinon sur les difficultés du langage, par un certain nombre d'admirateurs qui se rendoient à son pilier. De mon temps, il ne passoit pas pour un grand jurisconsulte ni pour un avocat utile aux autres et à lui-même. Ozanetz, Deffita, Petitpied, avec leur vieux style, remportoient tous les écus du Palais, pendant que Patru n'y gagnoit pas de quoi avoir une bonne soupe. » (Mél. d'hist. et de lil., édition 1702, t. III, p. 48.)

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l'avoit faite, il lui destina une place d'Académicien'.

A sa réception, M. Patru prononça « un fort beau remerciment, dont on demeura si satisfait, qu'on a obligé tous ceux qui ont été reçus depuis, d'en faire autant 2. » D'abord ces discours ne furent que des compliments peu étendus: ils se prononçoient à huis-clos, et devant les Académiciens seuls, tant que la Compagnie s'assembla chez M. le chancelier Séguier; mais depuis qu'elle s'assemble au Louvre, et qu'elle ouvre ses portes les jours de réception, ce ne sont plus de simples remercîments, ce sont des discours d'apparat. Et quoique la matière de ces discours soit toujours la même, l'art oratoire est tellement un Protée, que par leurs formes différentes ils paroissent toujours nou

veaux.

Personne, depuis 1640, n'a été dispensé de cet usage, que M. Colbert et M. d'Argenson, lesquels ont été

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1 Apparemment, les intentions du Cardinal demeurèrent secrètes jusqu'aux approches de l'élection, car Patru eut un concurrent: et voici ce qu'en dit Chapelain dans une de ses lettres à Balzac, du 8 juillet 1640:

« L'abbé d'Aubignac, pensant avoir un pied dans l'Académie, repulsam passus est, à cause d'un libelle qu'il avoit fait contre la Roxane de M. Desmarets. On lui a préféré M. Patru, cet excellent avocat, notre ami. » (o.) Nous avons nous-même cité ce passage, tome I, page 388.

2 Pellisson, Histoire de l'Académie. (o.) — Voyez t. I, p. 159. - Ce discours de réception, fort court d'ailleurs, nous a été conservé.

3 En 1667.

4 Reçu en 1718, après l'abbé d'Estrées, René de Paulmy, marquis d'Argenson, mourut en 1721 et fut remplacé par Languet de Gergy, archevêque de Sens.

reçus l'un et l'autre en des circonstances où l'extrême vivacité des affaires publiques, dont le fardeau tomboit sur eux, les mettoit hors d'état de se prêter pour quelques instants à leur propre gloire. Les motifs particuliers et passagers qui leur ont fait obtenir cette dispense, sont la confirmation de la règle générale. Mais il est triste pour l'honneur des lettres, qu'on n'ait pas usé de la même indulgence envers le feu duc de La Rochefoucauld, auteur de ces Maximes si connues. Car l'obligation de haranguer publiquement le jour qu'il auroit été reçu, fut le seul obstacle qui l'éloigna de l'Académie et cela, parce qu'avec tout le courage qu'il avoit montré dans plusieurs occasions des plus vives, et avec toute la supériorité que sa naissance et son esprit lui donnoient sur des hommes ordinaires, il ne se croyoit pas capable de soutenir la vue d'un auditoire, et de prononcer seulement quatre lignes en public sans tomber en pâmoison '.

Pour revenir à M. Patru, c'étoit, selon le P. Bouhours, « l'homme du royaume qui savoit le mieux notre langue.» Ajoutons qu'il la savoit, non pas en grammairien seulement, mais en orateur. Car le grammairien écrit purement, correctement: l'orateur l'imite en ces deux points; mais de plus il veut de la noblesse, de l'élégance, de l'harmonie. Vaugelas n'a prétendu toucher qu'au grammatical. Quant aux beautés de l'élocution, «< la gloire d'en traiter, dit-il, est réservée tout entière à une personne qui médite depuis quelque temps notre rhétorique, et à qui rien ne manque pour

1 Huet. Comment., lib. v, page 317. (0.)

exécuter un si grand dessein; car on peut dire qu'il a été nourri dans Athènes et dans Rome, comme dans Paris, et que tout ce qu'il y a d'excellents hommes dans ces trois fameuses villes a formé son éloquence. » Une si rare louange s'adresse à M. Patru ; et c'est lui qui devoit être ce Quintilien françois, que Vaugelas souhaite à la fin de ses Remarques'.

On le regardoit effectivement comme un autre Quintilien, comme un oracle infaillible en matière de goût et de critique. Tous ceux qui sont aujourd'hui nos maîtres par leurs écrits, se firent honneur d'être ses disciples:

Et nous n'aurions besoin d'Apollon ni de Muses,

Si l'on avoit toujours des hommes comme lui,

dit-on dans son épitaphe. Cependant, par deux grands exemples que je vais citer, nous verrons que si, d'un côté, il nous est important de nous faire « des amis prompts à nous censurer 2, » d'un autre côté aussi nous pouvons quelquefois, nous devons même résister à leur censure 3.

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1 Despréaux parle de Patru comme d'un Quintilien françois. << M. Patru, c'est-à-dire le Quintilien de notre siècle. » (Lettre à Brossette du 3 juillet 1703.)

2 C'est le vers de Despréaux :

Faites-vous des amis prompts à vous censurer.

* Richelet nous fait connaître quelques écrivains qui ont recherché les conseils de Patru: « Les Messieurs de ma connoissance, dit-il, qui ont consulté M. Patru, ce sont : Perrot d'Ablancourt, Boileau-Despréaux, des Réaux (Tallemant), Frémontd'Ablancourt, Maucroix, le P. Bouhours et Richelet. M. Patru, dans quelques ouvrages qu'on verra peut-être un jour, avoue ce dernier pour son élève, » (Les plus belles leitres, etc., p. 184.)

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