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jesté voulut que dans la suite il y eût pour chaque séance quarante jetons à partager entre les Académiciens présents, quoique l'assiduité, purement gratuite jusqu'alors, ne se fut jamais ralentie.

Apparemment ce fut aussi par les soins de M. Colbert, qu'ils eurent pour commencer leur bibliothèque six cent soixante volumes tirés de celle du Roi. Il y en a un catalogue imprimé2, où se trouvent l'ordre donné par le Roi au garde de la bibliothèque de les envoyer à l'Académie, et le certificat de M. Perrault qui reconnoît, comme bibliothécaire de l'Académie, qu'ils ont été portés dans le lieu où elle s'assemble, et mis en sa garde. Mais à la mort de M. Perrault, elle n'a point fait revivre cet emploi de bibliothécaire, qui faisoit comme un quatrième officier, dont effectivement elle n'a pas grand besoin, si le nombre de ses livres ne s'augmente pas.

Tandis que le Roi la combloit de nouvelles grâces, on peut bien croire qu'il ne refusa pas de lui confirmer ses anciens priviléges. Elle fut pleinement rétablie dans son droit de Committimus 3 qui avoit été restreint

des jetons d'argent pour être distribués au nombre de quarante, à chaque jour d'assemblée, aux Académiciens qui se trouveroient présents. » Nous verrons, dans l'analyse des factums de Furetière (voyez aux Pièces justificatives), ce qu'il dit des jetons et des académiciens jetonniers.

1 VAR. 2e édit. : quarante jetons d'argent.

2 A Nancy, le 21 août 1673. (0.) Nous le donnons aux Pièces justificatives.

3 Par une déclaration du 5 décembre 1673, confirmée plusieurs fois depuis, et tout de nouveau enregistrée au Parlement, le 5 fé

aux quatre plus anciens de la Compagnie', et qui est presque le seul droit utile dont elle jouisse. A la vérité, dans le temps dont je parle, plus du tiers des Académiciens 2 recevoit des gratifications annuelles de la cour, mais qui n'ont pas été converties en pensions, ni attachées au corps de l'Académie.

En 1676, le Roi ordonna qu'aux pièces de théâtre qui se joueroient à la cour, il y auroit six places marquées pour des Académiciens; et lorsque MM. Charpentier, de Benserade, Rose, Furetière, Quinault et Racine, allèrent se mettre en possession de ces places, non-seulement ils y furent installés avec honneur3, mais les officiers du gobelet eurent ordre de leur présenter des rafraîchissements entre les actes, de même qu'aux personnes les plus qualifiées de la cour.

Jusqu'aux moindres difficultés qui pouvoient naître dans l'Académie, le Roi vouloit qu'on lui en rendit compte. Telle fut celle-ci. Le Directeur seul avoit un fauteuil, les autres n'étoient assis que sur des chaises; en sorte que les Académiciens, ou Cardinaux, ou Ducs, ou en un mot d'un rang extrêmement distingué, étoient d'une manière peu convenable à leur rang, surtout dans

vrier 1721. (0.) Voyez-en le texte aux Pièces justificatives. Le Recueil des Harangues académiques donne (p. 238) la « Harangue de M. de Segrais, faite à M. Colbert le 4 janvier 1674 sur le rétablissement des committimus de l'Académie françoise. »>

1 Par l'ordonnance du mois d'août 1669. (0.)

catives.

Pièces justifi

2 Voyez ci-dessous l'Article de CHAPELAIN, où sont cités les noms des Académiciens gratifiés en 1662. (o.)

3 Registres, 27 janvier 1676. (0.)

les séances publiques. Pour y remédier, le Roi ordonna que désormais chaque Académicien auroit son fauteuil', ce qui sauvoit en même temps et les égards dus aux grands noms, et cette égalité flatteuse dont l'Académie se fit dès sa naissance une loi inviolable.

Elle s'est vu disputer le plus beau de ses droits honorifiques, je ne sais à quelle occasion ni par quel motif. Quoi qu'il en soit, rapportons ici son placet au Roi, nonseulement parce qu'il contient le fait, mais encore parce qu'il est écrit avec une sagesse et avec une politesse qui peuvent servir de modèle.

SIRE,

AU ROI.

L'Académie françoise tient de vous tout ce qu'elle est; c'est de vous qu'elle a reçu toutes les grâces et tous les honneurs dont elle jouit ; et quand il vous plaira de l'en priver, elle n'ouvrira la bouche que pour vous marquer sa profonde soumission à vos ordres. Mais elle estime trop aussi ces mêmes honneurs et ces mêmes grâces pour souffrir, sans rien dire, qu'un particulier y donne atteinte; et c'est ce qui l'oblige à vous porter aujourd'hui ses plaintes respectueuses de l'innovation que le sieur Des Granges, maître des cérémonies, apporte au traitement qu'elle avoit accoutumé de recevoir toutes les fois qu'elle étoit admise à l'audience de Votre Majesté. En ces sortes d'occasions, Sire, le sieur de Saintot, qui l'a précédé dans la même charge, est toujours venu prendre et reconduire la Compagnie au lieu de son assemblée; les grands maîtres des cérémonies en ont aussi usé plusieurs fois de même; et c'est un honneur dont elle est en possession dès l'année 1668, que vous l'admîtes pour la première fois à vous rendre publiquement ses respects. Depuis cela, vous avez bien voulu faire encore plus pour elle; vous avez été jusqu'à ne dédaigner pas de 1 Voy. aux Pièces justificatives.

joindre à tous vos titres celui de Protecteur de l'Académie françoise; et cependant un honneur qu'elle avoit eu, même avant une si grande grâce, et auquel la gloire d'une protection si marquée sembloit ne devoir pas permettre de toucher, le sieur Des Granges a entrepris depuis quelque temps de le lui retrancher de son chef, sur ce qu'il prétend qu'elle ne fait pas Corps. Ce n'est pas seulement à l'Académie que cette prétention est injurieuse; elle l'est même au pouvoir de Votre Majesté, puisque c'est supposer que ses Lettres-Patentes données à une Compagnie pour la former, ne suffisent pas pour en faire un Corps. L'Académie se contente, Sire, de vous exposer simplement la chose. Du reste, elle recevra avec une égale soumission tout ce qu'il vous plaira d'ordonner: trop heureuse, de quelque manière qu'elle soit admise à vos pieds, pourvu que vous receviez toujours avec une égale bonté les assurances respectueuses de son dévouement et de son zèle.

On devine bien quel fut le succès d'un placet si raisonnable; mais des grâces de cette nature ne prouvent point encore assez. Rien de si beau dans un Roi, et dans un Roi si occupé d'ailleurs, que de lui voir donner une partie de son attention et de ses soins à la discipline intérieure de l'Académie. Surtout lorsqu'il y avoit des élections à faire, sa qualité de Protecteur se faisoit sentir témoin ce qu'on va lire touchant l'élec tion de M. de La Fontaine, exemple que je choisis entre plusieurs.

Pour se mettre au fait, il faut savoir que l'Académie est obligée, par un ancien statut dont elle ne s'écarta jamais, à ne recevoir personne qui ne soit agréable au Protecteur. Ainsi, toutes les fois qu'il y a une place à remplir, l'ordre est qu'il y ait deux scrutins, l'un pour déterminer à la pluralité des suffrages quel sujet elle

proposera au Protecteur ; l'autre, pour consommer l'élection, après que le Protecteur a répondu en faveur du sujet proposé.

Or il arriva que M. de La Fontaine, ayant été choisi au premier scrutin, et le Directeur, qui étoit M. Doujat, étant allé le lendemain savoir de Sa Majesté si elle agréeroit que l'on procédât au second, le Roi, déjà instruit par d'autres personnes, suspendit cette élection près de six mois. « Je sais, dit-il en propres termes à M. Doujat, qu'il y a eu du bruit et de la cabale dans l'Académie'; » et M. Doujat, pour lui faire entendre que tout s'étoit passé dans les formes ordinaires, voulant lui expliquer quelles étoient ces formes : « Je les sais très-bien, reprit le Roi en l'interrompant, mais je ne suis pas encore déterminé; je ferai savoir mes intentions à l'Académie 2. »

Voici la vérité : car pourquoi la supprimer, aujourd'hui que la mémoire de M. de La Fontaine est, s'il faut ainsi dire, consacrée sur le Parnasse? D'un côté, la plupart des Académiciens le souhaitoient, à cause de son rare génie et de sa grande réputation; mais, d'un autre côté aussi, quelques-uns jugeoient qu'ayant fait et publié des poésies où il avait franchi les bornes de la pudeur, il ne devoit pas être admis dans une Compagnie qui met la vertu bien au-dessus des talents, et qui compte parmi ses membres beaucoup de prélats.

1 Reg. de l'Acad., 20 nov. 1683. (0.)

* Voyez aux Pièces justificatives d'autres détails sur l'élection de La Fontaine.

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