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phie; ceux-là, l'histoire. Il n'y a guère que Cicéron et Plutarque, qui aient heureusement fourni deux carrières tout à la fois. Ils ont joint la philosophie au genre d'étude, dont ils faisoient leur capital. Encore faut-il convenir que Plutarque n'avoit embrassé la philosophie qu'en historien, et que Cicéron ne l'a proprement traitée qu'en orateur.

Ainsi les beaux-arts, loin de servir à nous enorgueillir, doivent au contraire nous donner une sorte de mépris pour nous-mêmes, en nous faisant sentir combien nous sommes limités. De tant d'hommes qui s'y appliquent, la plupart n'excelleront jamais en rien, quoi qu'ils fassent. Et ceux qui peuvent exceller, ne le peuvent qu'en un genre seul. Heureux s'ils savent le connoître ! Mais il est peut-être aussi rare de connoître son talent que d'en avoir un bien décidé.

XX

FRANÇOIS DE BEAUVILLERS,

DUC DE SAINT-AIGNAN,

Pair de France, Chevalier des Ordres du Roi, premier Gentilhomme de sa Chambre', reçu à l'Académie le 8 juillet 1663, mort le 16 juin 1687.

Peu de gens, même dans le grand loisir d'une vie privée, ont plus marqué de goût que M. le duc de SaintAignan pour les arts qui vont à orner l'esprit. Il ne

1 Gouverneur de la ville et citadelle du Havre de Grâce, Montivillers, Harfleur, Fécamp; gouverneur de Touraine, des ville et château de Loche, etc.

croyoit pas qu'une haute naissance, pur don de la fortune, lui fût une raison de négliger, ou plutôt d'anéantir des talents, qui sont les plus précieux dons de la nature. Son exemple seul eût détruit le préjugé des siècles grossiers, qui se figuroient que ces mêmes talents, par où s'élève l'homme né dans l'obscurité, ravalent l'homme né dans la splendeur.

Mais en s'attachant à ce que les Muses ont de fleuri, il eut grand soin aussi de ne pas toucher à ce qu'elles peuvent avoir d'épineux. Il ne remporta de leur commerce que ce qui pouvoit contribuer à répandre dans sa manière de penser, d'agir et d'écrire, cette galanterie fine et ingénieuse qui est comme la fleur de la politesse.

On voit assez que, dans un homme si distingué par tant d'autres endroits, je ne cherche ici que l'homme de lettres. Car, si je m'engageois à parler des occasions brillantes, où sa valeur s'est signalée, combien de siéges, combien de batailles s'offriroient à mon esprit1? Mais ici, encore une fois, je n'ai et ne dois avoir devant les yeux que le titre d'Académicien.

Jaloux de ce titre, non-seulement M. le duc de SaintAignan le souhaita dans l'Académie françoise, mais il l'accepta dans celle des Ricovrati de Padoue, et dans une Académie de physique, qui se forma en 1662 à Caen, sous les auspices de M. Huet, depuis évêque d'Avranches2.

1 << A peine est-il sorti de l'enfance qu'il marche aux combats et à la gloire... Il est blessé au combat de Vaudrevange, au siége de Dôle, et plus dangereusement à celui de Gravelines. » (Discours de réception de l'abbé de Choisy, successeur à l'Académie du duc de Saint-Aignan.)

2 Huet. Comment. lib. IV, page 229. (o.) — Colbert, lit-on dans

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Il fit plus. Car sachant que dans cette même ville de Caen, la patrie du grand Malherbe, tous les ans on couronne une pièce de poésie à l'honneur de la sainte Vierge, il concourut pour le prix, dans la vue de ranimer ces sortes d'exercices et de leur attirer un nouvel éclat, en faisant voir qu'un seigneur de son rang étoit frappé de la gloire qu'on y acquiert. Il fut victorieux, et certainement la faveur y eut d'autant moins de part, que les juges le soupçonnoient moins d'être au nombre des concurrents. Tous les poëtes de Normandie applaudirent à son triomphe, ceux mêmes qui avoient été ses rivaux sans le savoir; au nom du vainqueur, la jalousie ne trouva point à entrer dans l'âme des vaincus, et il y eut un volume de pièces publiées à sa louange, tant en latin qu'en françois',

le passage cité, soutenait, par une forte subvention, l'Académie de Huet, et ensuite : « Tam feliciter autem increbuit florescentis hujus Academiæ fama, ut Bellovillarius, dux Santanianus, literariæ gloriæ percupidus, in eam optaverit admitti, suumque nomen ut in Academicorum nostrorum seriem referretur valde à me contenderit. >>

1 Voyez le Recueil de poésies qui ont été couronnées sur le Puy de l'Immaculée conception de la Vierge, tenu à Caen dans les grandes écoles de l'Université, 1661. (o.)— Le Recueil de 1667 (imprimé en 1668), et non de 1661, est dédié à Saint-Aignan par l'imprimeur, Jean Cavalier, et ce recueil contient une ode sur Thésée, « où, dit l'imprimeur, voulant nous donner l'idée parfaite d'un grand héros, vous nous avez laissé tout ensemble un fidèle portrait de vous-même. » Et il ajoute : « Je vous la présente, Monseigneur, avec les éloges de plusieurs savants hommes qui, par une noble émulation, ont travaillé à faire le panégyrique de vos vertus et des plus belles actions de votre vie. » Les savants hommes dont il est ici parlé sont: Georges Pyron, professeur d'éloquence au collège du Bois, Antoine Halley, Mathieu Maheult

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Il eût prétendu avec un égal succès à une autre sorte de couronne, s'il eût vécu du temps que la Grèce attachoit tant d'honneur à ces jeux célèbres, où des rois même alloient faire preuve d'adresse et de force. Ces deux qualités, dont les anciens croyoient l'usage si utile à leurs héros, le faisoient infiniment paroître dans les ballets de la cour. Premier gentilhomme de la Chambre', à peine avoit-il reçu les ordres immédiats du Roi, que dans un moment il concevoit l'idée d'un spectacle magnifique, il en traçoit le plan, il composoit une partie des récits 2; et quand Sa Majesté distribuoit les person. nages, elle lui permettoit de choisir toujours le plus difficile.

Pour l'ordinaire, le sujet de ces fêtes galantes étoit tiré de nos vieux romans, dont il savoit imiter jusqu'au style, comme nous le voyons par quelques-unes de ses

de Vaucouleurs, P. Cally, Marin Le Verrier, J. Le Tellier, Fr. Dolley, Savary, Beaussieu, Bosroger, de Montenay le Neuf, Bardou et Levavasseur. L'ode du duc avait été lue par Joseph de Prémont Graindorge, de Caen, étudiant au collége du Bois.

1 Il y avait quatre premiers gentilshommes de la Chambre, qui servaient une année chacun, et qui touchaient 3,500 livres de gages.

2 Voyez les Plaisirs de l'Ile enchantée, dans Molière, les ballets, les carrousels, etc. (o.)

3 L'abbé d'Olivet s'avance beaucoup trop en disant que « pour l'ordinaire le sujet des fêtes galantes de la Cour étoit tiré de nos vieux romans. » Il suffit d'en lire le catalogue pour voir que, s'il y a beaucoup de ballets tirés de la mythologie ou fondés sur des actualités, il y en avoit fort peu tirés des vieux romans. D'ailleurs les vers de ballets étaient récités, et le style archaïque y aurait fait, pour cette raison seule, assez mauvais effet. Ce n'est donc pas là que le duc de Saint-Aignan essayait ses pastiches.

lettres imprimées avec celles de Voiture, et qui feroient grand honneur à Voiture lui-même 1.

Quant à ses poésies 2, le peu qu'il en a laissé sortir de son cabinet montre qu'il possédoit les règles de l'art comme ceux qui en font leur principal objet; mais que, par une finesse de l'art même, il y répandoit de ces négligences méditées, qui donnent lieu de croire qu'on n'en a fait que son amusement.

Il procura en 1669 l'établissement de l'Académie d'Arles3, qui a cela de singulier, qu'elle ne doit être

1 Voyez dans les œuvres de Voiture, édition 1681, t. II, p. 60, une «< Lettre de M. le comte (depuis duc) de Saint-Aignan, étant prisonnier, à M. le comte de Guiche » (en prose). Il y parle notamment de ces fêtes galantes auxquelles il ne peut plus assister: « par mon chief, moult desconforté suis et mis en désarroy. Hélas! cher sire, où sont maintenant allés jeux, momeries, danses et chansons? où sont mussez loing de moy jongleurs, menestriers, farceurs, herpeurs et appointeurs de vielles? Que sont devenus tournois, behours et tels autres esbanoyements où l'on voyoit piéça heaulmes enfondrer, haubers démailler, glaives froisser, destriers affoler, chevaliers gésir et escus desrompre....?

Il y en a dans les Mercures galants, et dans quelques autres recueils de son temps.

L'abbé de Marolles, dans son Dénombrement d'auteurs, fait mention de Bradamante, pièce de théâtre, qu'il attribue à M. le duc de Saint-Aignan. Il y a en effet une tragi-comédie sous ce titre, imprimée sans nom d'auteur en 1637. (o.) Il y aussi de ses ouvrages dans les œuvres de Voiture, de Scarron, dans les Mémoires littéraires de l'abbé d'Artigny, etc... Celui-ci regrette qu'on n'ait pas recueilli les œuvres du duc de Saint-Aignan : on devait cet hommage « à un seigneur qui honora les beaux-arts et qui répandit ses bienfaits et ses largesses sur tous les poëtes de son temps.» (Tome II, p. 310.)

3 L'Académie royale d'Arles, nommée aussi simplement l'Académie royale, à en juger par le titre que prend M. de Vertron, « de

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