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l'âge de vingt ans, se fit connoître '. Mais quelque succès qu'il dût espérer dans le genre dramatique, il fut trop sage pour vouloir se borner à la profession de poëte, et il étudia pour embrasser celle d'avocat 2. On assure même qu'il s'y rendit habile 3. J'en douterois volontiers; car un rimeur qui tous les ans donne une pièce, et quelquefois deux, ne sauroit guère pâlir sur le Code. Pour ne rien outrer, bornons-nous à dire que la science qu'il acquit chez un procureur, si elle ne fut pas des plus profondes, du moins fut heureuse pour lui, puisqu'elle amena ́son établissement. Un riche marchand de Paris, homme de bonne foi, mais que ses associés commençoient à inquiéter, parce que ses comptes n'étoient pas clairs, eut recours à M. Quinault, comme à son ami, pour le tirer de leurs chicanes. Peu de

1 Né en 1635, Quinault avoit déjà donné avant 1655 deux comédies et une tragi-comédie, savoir les Rivales, représentée en 1653, la Généreuse Ingratitude, en 1654, et l'Amoar indiscret la même année.

2 « Je l'ai vu, dit Ménage, clerc d'un avocat au conseil.» (Menagiana, édit. citée, t. II, p. 152.)

* Perrault, Hommes illustres, dans l'éloge de Quinault. On peut voir aussi la Vie de Quinault à la tête de ses ouvrages, édition de Paris, 1715. Mais cette Vie a été faite sur des mémoires peu exacts. (0.) On lit en effet dans cet ouvrage, qui cite un passage de Perrault, que l'avocat dont Quinault était clerc, le chargea d'accompagner chez le rapporteur d'une affaire un gentilhomme qu'elle intéressait. En attendant ce rapporteur, alors absent, Quinault mène le gentilhomme au théâtre. C'était en 1654. On jouait l'Amant indiscret. Le gentilhomme, étonné de l'accueil que faisaient à son compagnon les gens les plus qualifiés, le fut bien davantage quand il apprit que Quinault était l'auteur de la pièce, et surtout quand il put juger de son entente des affaires.

Ménage rapporte autrement ce fait : « Un marchand qui ai

temps après que ses affaires furent terminées, il mourut; et M. Quinault épousa sa veuve, assez jeune encore pour lui donner une postérité nombreuse'.

A l'occasion de ce mariage, il prit une charge d'auditeur des Comptes 2, et cessa de travailler pour le théâtre de la Comédie.

3

Alors l'Opéra ne faisoit que de naître en France 3 ; mais l'art incomparable de Lulli eut bientôt porté ce spectacle à une perfection où les Italiens eux-mêmes, qui en sont les inventeurs, ne l'ont jamais vu chez eux*.

moit la comédie, conçut tant d'estime pour lui qu'il l'obligea de prendre un appartement chez lui. Les deux récits d'ailleurs ne se contredisent pas. C'est peut-être parce que Quinault demeurait déjà chez lui, que le marchand le chargea de ses intérêts. Quinault, on le verra plus loin, eut cinq filles et n'eut point de fils.

1

2 C'est en 1671 que Quinault acheta sa charge d'auditeur des Comptes. Vers cette époque, une charge de conseiller à la Cour des Comptes se payait cent mille livres environ. (Voy. les Parlements de France, par M. le vicomte de Bastard d'Estang. Paris, Didier, 1857, 2 vol. in-8°, t. I, p. 114.)

Depuis Pausanias, tragédie, jouée en 1666, il n'avoit rien composé pour la scène comique ou la scène tragique. La Cour des Comptes fit quelques difficultés pour l'admettre. De là les vers suivants :

Quinault, le plus grand des auteurs

Dans votre Corps, Messieurs, a dessein de paroître.
Puisqu'il a fait tant d'auditeurs,

Pourquoi l'empêchez-vous de l'être ?

3 Le premier opéra français représenté en France est dû à Perrin, pour les paroles et fut chanté en 1659, à Issy, chez M. de La Haye, dont la fille épousa plus tard (1665) La Mothe-le-Vayer.

* Les uns attribuent la composition des premiers opéras à Ottavio Rinuccini, les autres à Emilio Cavalieri, mais on est d'accord sur l'origine italienne de ce spectacle.

Parmi tout ce qu'il y avoit de poëtes en ce temps-là (et jamais la France n'en a eu ni de meilleurs ni en plus grand nombre) Lulli préféra M. Quinault', dans qui se trouvoient réunies diverses qualités, dont chacune en particulier avoit son prix, et dont l'assemblage faisoit un homme unique en son genre: une oreille délicate, pour ne choisir que des paroles harmonieuses; un goût tourné à la tendresse, pour varier en cent et cent manières les sentiments consacrés à cette espèce de tragédie; une grande facilité à rimer, pour être toujours prêt à servir le Roi au besoin 2, une docilité encore plus rare, pour se conformer toujours aux idées, ou même au caprice du musicien 3.

1 De Fréneuse de la Viéville, dans son livre intitulé Comparaison de la musique italienne et de la musique françoise, Bruxelles, 1705, prétend que Lully, qui avoit le monopole des représentations en musique, avoit fait avec Quinault un traité par lequel il s'engageoit à payer au poëte quatre mille livres par chaque opéra, et celui-ci à lui fournir au moins un opéra par an.— Voyez aussi la Vie de Quinault, placée en tête de ses œuvres, édition 1739.

2 Ce n'étoit pas seulement à faire des vers que paraissoit la facilité de Quinault : « Le discours qu'il prononça le jour de sa réception [à l'Académie] et deux autres qu'il fit au Roi sur ses conquêtes, à la tête de cette Compagnie, ont fait voir que Quinault n'étoit pas moins bon orateur que bon poëte, surtout lorsqu'ayant appris la nouvelle de la mort de M. de Turenne au moment qu'il alloit haranguer le Roi, il en parla sur-le-champ d'une manière juste et si spirituelle, qu'il seroit mal aisé d'exprimer la surprise qu'en eut toute la cour.» (Perrault, cité dans la Vie de Quinault, édition 1739.)

'Si l'on en croit De Freneuse de la Viéville, Lulli s'étoit réservé le droit de modifier à son gré la poésie de Quinault, que celui-ci avoit dû déjà préalablement soumettre à la révision de Boyer et de Perrault, par ordre de Colbert.

Pendant qu'il travailloit à un opéra, dont le Roi lui avoit prescrit le sujet, il fit ces jolis vers, où il dit que l'opéra difficile à son gré, ce n'est pas celui que le Roi lui demande, mais c'est d'avoir à marier ses cinq filles':

[Ce n'est pas l'opéra que je fais pour le Roi
Qui m'empêche d'être tranquille.

Tout ce qu'on fait pour lui paroît toujours facile.
La grande peine où je me voi,

C'est d'avoir cinq filles chez moi,
Dont la moins âgée est nubile.

Je dois les établir et voudrois le pouvoir :
Mais à suivre Apollon on ne s'enrichit guère.]

C'est, avec peu de bien, un terrible devoir
De se sentir pressé d'être cinq fois beau-père.
Quoi! cinq actes devant notaire,

Pour cinq filles qu'il faut pourvoir!
O Ciel ! peut-on jamais avoir
Opéra plus fâcheux à faire ??

Plaisanterie toute pure; car M. Quinault étoit opulent. Sa femme lui avoit apporté plus de cent mille écus. D'ailleurs le Roi lui donnoit deux mille livres de pension, et Lulli, pour chaque opéra, quatre mille livres. Ainsi, n'ayant point de fils, il n'étoit pas embarrassé de

Le passage qui suit, entre crochets, donne le commencement de la petite pièce de Quinault dont l'abbé d'Olivet ne cite que la fin.

2 Le Menagiana nous a conservé uue réponse faite à ce madrigal (édit. citée, II, 153):

J'en sais, galant auteur, qui ne vous plaignent guère

De vous sentir pressé d'être cinq fois beau-père...... etc.

se voir cinq filles. Trois ont été religieuses, et deux avantageusement mariées'.

Au reste, il a eu ses partisans, et ses ennemis. D'un côté, si nous écoutons M. Perrault, c'est « le plus grand poëte que la France ait jamais eu pour le lyrique et pour le dramatique 2. » D'un autre côté, M. Despréaux, en plusieurs endroits de ses ouvrages, et surtout dans la troisième de ses Réflexions sur Longin, réduit presque à rien le mérite poétique de M. Quinault. Il met au rebut toutes ses comédies, toutes ses tragédies. Il reconnoît seulement en lui « un talent tout particulier pour faire des vers bons à mettre en chant. Mais, ajoute-t-il, ces vers n'étoient pas d'une grande force, ni d'une grande élévation; et c'étoit leur foiblesse même qui les rendoit d'autant plus propres pour le musicien, auquel ils doivent leur principale gloire; puisqu'il n'y a en effet de tous ses ouvrages que les opéras qui soient recherchés. Encore est-il bon que les notes de musique les accompagnent. »>

Mais, pourroit-on dire à M. Despréaux, s'il est nécessaire que nos vers aient une certaine foiblesse «< qui les rende propres pour le musicien, » ne blâmez donc

Dans l'exposé des faits d'un mémoire publié pour un procès qui éclata après la mort de Quinault entre ses deux gendres, on lita Fait: Du mariage de messire Philippe Quinault, auditeur des Comptes, et de dame Louise Goujon, son épouse, sont nés deux enfants, Marie-Louise, épouse du sieur Lebrun (Charles Lebrun, auditeur des Comptes), et Marie Quinault, femme de M. Gaillard (conseiller en la Cour des Aides). Marie-Louise Quinault-Lebrun a eu en dot 63,000 livres, Marie Quinault-Gaillard, 80,000 livres. » • Parallèles des anciens et des modernes. (o.)

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