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même les Métamorphoses auroient été toutes également propres à mettre en rondeaux, ce qui n'est pas, encore falloit-il considérer qu'un livre entier de rondeaux endormiroit, ou plutôt assommeroit par trop d'uniformité. Mais, pour l'exécution, elle est tout aussi bonne dans cet ouvrage, qu'elle l'avoit été dans les ouvrages précédents du même auteur.

Pourquoi donc les uns ont-ils plu, au lieu que l'autre a été sifflé ? Distinguons les temps. Quand M. de Benserade commença, tout étoit bon: pourvu que des vers fussent pleins de pensées galantes, on ne s'avisoit guère d'y chercher de la raison, de l'élévation, de l'harmonie; il y eut même un intervalle de mauvais goût, pendant lequel on ne haïssoit pas le burlesque, les équivoques, les pointes ; et ce fut proprement le règne de M. de Benserade. Mais quand ses Rondeaux parurent, le goût avoit bien changé. Corneille, Molière, Racine et Despréaux, par leurs ouvrages excellents, avoient fait détester le mauvais, et mépriser le médiocre. Si bien que les Rondeaux de M. de Benserade, qui trente ou quarante ans plus tôt eussent trouvé des admirateurs, ne trouvèrent pas même des lecteurs.

Il fit imprimer, en même temps que ses Rondeaux, un recueil d'environ deux cents fables, réduites en autant de quatrains comme si deux cents sujets, les uns courts, les autres longs, avoient demandé précisément le même nombre de vers.

Après ces quatrains, dont trente-neuf ont été gravés au labyrinthe de Versailles, non-seulement il ne donna plus rien au public, mais il fit divorce avec le grand

monde. Jusqu'alors esclave de la cour', il voulut enfin se voir libre, et à la campagne. Gentilly fut le séjour qu'il choisit. On alloit encore dans ma jeunesse visiter les restes des ornements dont il avoit embelli sa maison et ses jardins. Tout y respiroit son esprit poétique. On n'y voyoit qu'inscriptions gravées sur l'écorce des arbres, et je me souviens entre autres de celle-ci, qui se présentoit la première.

Adieu Fortune, Honneurs, adieu vous et les vôtres;
Je viens ici vous oublier.

Adieu toi-même, Amour, bien plus que les autres
Difficile à congédier.

Quoi! difficile pour un septuagénaire, à qui la gravelle annonçoit la mort d'un moment à l'autre ? Mais les poëtes disent tout ce qu'ils veulent. Heureusement la solitude lui inspira des sentiments plus salutaires, et il en vint à ne trouver plus de consolation que dans les

1 II avoit été jusque-là logé au Louvre; un mot rapporté par Mlle de Montpensier dans ses Mémoires, montre qu'il avoit assez de liberté auprès d'Anne d'Autriche ; nous avons dit, d'après Tallemant, qu'il devoit aller en Suède, vers la Reine, ce qui fait assez connoître le rang qu'il tenoit à la Cour; comme il ne fit pas le voyage, Scarron, qui l'a grandement loué ailleurs, l'en railla en datant une de ses lettres :

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Mais la reine Christine lui écrivit : « Louez-vous et glorifiezvous de votre bonne fortune qui vous empêche de venir en Suède. Un esprit aussi délicat que le vôtre s'y fût morfondu, et vous vous seriez enrhumé fort spirituellement. » (1653.) - Cf. Dictionnaire des Précieuses, Bibliothèque elzévirienne, tome II, pages 158 et suivantes.

psaumes, occupé uniquement ou à les réciter ou à les traduire en vers françois1. Sa religion surtout éclatoit dans ses douleurs, qui se portèrent enfin à une telle violence, que malgré son grand âge il résolut de se faire tailler. Mais sa constance ne fut pas mise à cette dernière épreuve, parce qu'un chirurgien, en lui voulant faire une saignée de précaution, lui piqua l'artère; et au lieu de travailler à étancher le sang, prit la fuite 2. On n'eut que le temps d'appeler le Père Commire, son

1 Il avoit traduit ou paraphrasé ceux qui entrent dans les Heures de l'Église. Voyez là-dessus une de ses lettres du 3 novembre 1690, imprimée parmi celles du comte de Bussy. (o.)- Baillet, dans ses Jugements des Savants, tome v, page 565, dit : « La conduite de notre poëte nous donne lieu, par sa gloire, de distinguer deux Benserades, dont le premier peut passer pour le vieil homme, dont quelques-uns de ses amis prétendent qu'il s'est dépouillé en renonçant à toutes les galanteries et les licences de sa jeunesse et en réformant sa Muse, l'autre est ce nouvel homme dont on présume qu'il s'est revêtu et dont il pourra nous donner des marques édifiantes dans la traduction ou paraphrase poétique qu'il nous prépare, dit-on, de l'Office de la Sainte Vierge. »> (Edition in-4o, 1722.)

2 Le Mercure galant (oct. 1691) rapporte sa mort en des termes qui semblent contredire en partie le récit de l'abbé d'Olivet :

«La maladie qui a emporté M. de Benserade l'a surpris dans la préparation qu'il faisoit pour se faire tailler de la pierre, et tout l'art des médecins n'a pu réparer la faute des chirurgiens. Il a eu une fièvre violente, accompagnée de rêveries; mais comme il a toujours eu beaucoup de religion et qu'il s'étoit préparé à l'opération qu'on lui devoit faire en véritable chrétien, pénétré des vérités de la foi, s'abandonnant entièrement aux ordres de la Providence, tous les discours qu'il tenoit, quoiqu'ils fussent prononcés avec véhémence, suivant son tempérament, s'adressoient à Dieu, à qui il se plaignoit, en lui demandant en même temps de la patience dans ses douleurs qui étoient extrêmes. » -Ajou

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confesseur et son ami, lequel arriva pour le voir mourir avec une fermeté dont la Trappe se feroit honneur 1.

XXV

MICHEL LE CLERC,

Avocat au Parlement, reçu à l'Académie le 26 juin 16622, mort le
8 décembre 1691.

A l'âge de vingt-trois ans il vint d'Alby, sa patrie, à

tons qu'il avoit environ quatre-vingts ans, et son âge suffit à la rigueur pour expliquer sa mort.

Senecey a fait ces vers pour mettre au-dessous de son portrait:

Ce bel esprit eut trois talents divers,

Qui trouveront l'avenir peu crédule.
De plaisanter les grands il ne fit point scrupule,
Sans qu'ils le prissent de travers.

Il fut vieux et galant, sans être ridicule,
Et s'enrichit à composer des vers.

1 Voici le jugement de Chapelain : « BENSERADE: A peu de sa voir; mais, pour de l'esprit, on n'en sauroit avoir davantage. Dans sa jeunesse, il fit une Cléopátre qui réussit assez; depuis, il s'est tourné à la poésie enjouée, et il y excelle de sorte qu'aucun ne tente de le suivre en ce genre-là. » (1662.)

2 A propos de la réception de Le Clerc à l'Académie, il est à noter que Chapelain le préféra à Segrais. Mais deux places étoient alors vacantes, celle de Bois-Robert et celle de Priézac : Segrais eut la première et Le Clerc fut ensuite nommé pour la seconde. Tous deux prononcèrent le même jour leur discours de réception. Après la lecture du sien, Le Clerc lut aussi un sonnet à la louange de l'Académie.

Voici le passage de Segrais: «J'avois cultivé l'amitié de M. Chapelain avec assez de soin; je lui avois même adressé une ode qui n'est pas la moindre de mes poésies; cependant, lorsque je deman

Paris, pour y faire jouer une tragédie de sa façon, la Virginie romaine. Quoiqu'elle fût peu régulière, cependant, grâce à la jeunesse de l'auteur, elle ne laissa pas d'être applaudie, et de faire augurer que s'il vouloit continuer dans ce genre d'écrire, il mériteroit une place honorable dans le second rang des poëtes qui travailloient en ce temps-là pour le théâtre. Je dis dans le second rang: car le premier étoit occupé par le seul Corneille, qui ne voyoit qu'à une prodigieuse distance ceux qui le suivoient alors de plus près.

Trente ans s'écoulèrent depuis la représentation de Virginie1 jusqu'à celle d'Iphigénie, dernière tragédie de M. Le Clerc. Par malheur pour lui, l'Iphigénie de Racine fut jouée cinq ou six mois avant la sienne. Mais, malgré la supériorité de son rival, il fut encore assez heureux, dit-il, «< pour trouver des partisans. » Puisqu'il se rend lui-même ce témoignage dans la préface de son Iphigénie, nous devons l'en croire; car il poussoit la modestie jusqu'à l'humilité : et la preuve de son humilité, c'est que, dans la même préface, il avoue que Coras, misérable poëte, dont le nom n'est connu que par la satire, lui avoit fourni environ une centaine de vers, qui sont épars çà et là dans le corps de sa pièce 2.

dai à être reçu à l'Académie, il se trouva plutôt porté à favoriser M. Le Clerc, que j'avois pour compétiteur, qu'à me donner sa voix : cela n'empêcha pas que je ne fusse reçu. >>

1 La Virginie romaine fut représentée en 1645. Elle ne fut imprimée qu'en 1649.

2 On connaît l'épigramme de Racine sur cette collaboration de Le Clerc et de Coras:

Entre Le Clerc et son ami Coras,

Deux grands auteurs rimant de compagnie,

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