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Aurions-nous cru, si ce n'étoit pas un fait attesté par l'auteur, que son Histoire de l'Académie, un ouvrage regardé aujourd'hui comme un chef-d'œuvre par tout ce qu'il y a de personnes qui ont du goût, ait pu cependant n'être pas bien reçue à sa naissance? Pour moi, je ne saurois me persuader que les mécontents en aient voulu à la forme de cette histoire, car que voit-on en ce genre de plus achevé? Peut-on mieux narrer que M. Pellisson? Quelle naïveté, jointe à un art infini! Quels tours ingénieux, sans que la simplicité en souffre! Mais surtout, et c'est par où M. Pellisson se distingue de ces écrivains qui ne parlent qu'à l'esprit, et dont l'élégance aride n'a rien qui nourrisse l'imagination du lecteur, il a le secret « de mettre dans les moindres peintures et de la vie et de la grâce '. »

Pourquoi donc l'ouvrage dont nous parlons, le plus parfait de ceux que M. Pellisson a mis au jour, n'eut-il pas le bonheur de satisfaire tout le monde?? Je crois en deviner la raison. C'est la liberté qu'il prend, et qu'il a dû nécessairement prendre, de caractériser les Académiciens dont il écrit la vie. On ne sauroit presque ni louer, ni censurer impunément les gens de lettres, à moins qu'il n'y ait un long intervalle entre leur mort et le temps où l'on parle d'eux. Les censure-t-on? c'est offenser ceux de leurs amis qui leur ont survécu; leur

1 M. de Fénelon, depuis archevêque de Cambrai, dans son Discours à l'Académie. (0.)

'Sorel et Guy Patin ont attaqué assez ouvertement ce livre, le premier en le discutant et le critiquant dans son Discours sur l'Académie françoise (voy. t. I, p. 468), le second dans ses lettres, où il s'appuie sur le jugement de Corneille (voy. dans les Lettres de Guy Patin celle du 21 octobre 1653).

donne-t-on des louanges? c'est courir encore un danger plus évident, parce que la jalousie des vivants ne peut guère souffrir qu'on détourne, ou du moins qu'on partage l'admiration qu'ils exigent du public. Ainsi je comprends aisément que M. Pellisson eut des murmures à essuyer de tous côtés, quelque tempérament qu'il eût gardé, et dans ses critiques et dans ses éloges : ne disant ni trop ni trop peu, donnant finement à pénétrer les talents et la portée de chacun, ne louant que par des faits, et ne blåmant pour l'ordinaire que . par son silence.

Mais pour parler exactement de M. Pellisson, reprenons les choses de plus haut, et n'oublions rien de ce qui nous peut servir à bien connoître un de ces hommes rares dont la mémoire intéresse les honnêtes gens. Il étoit né à Béziers en 1624. Au nom de Pellisson',

1 Voyez dans les nouveaux Moréris les ancêtres de M. Pellisson, commencer par Raymond, qui fut ambassadeur de France en Portugal, maître des requêtes, premier président du Sénat de Chambéry, et commandant en Savoie pour François Ier. (o.) L'article du Moréri de 1752, rédigé d'après des mémoires particuliers, permet d'établir ainsi la généalogie de Pellisson :

N. Pellisson.

1. Pierre Pellisson,

Sr. de La Grange Blanche.

2. RAYMOND PELLISSON.
..-1558.

François, Claude, Gaspard, Marguerite, Françoise, PIERRE ép. (1558) Anne Dubourg.

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nom ancien dans la robe, il ajouta celui de sa mère, Fontanier, pour se distinguer de son aîné. Sa mère, femme de beaucoup d'esprit, mais fort entêtée du calvinisme, le nourrit dans l'erreur'. Il fit ses humanités à Castres2, sa philosophie à Montauban et son droit à Tou

1536. En 1537, il fut fait président au sénat de Chambéry; en 1546, maître des requêtes.

Pierre Pellisson fut le premier de sa race à embrasser la religion protestante; odieux pour ce fait à sa famille, il ne put entrer dans la succession de son père. Henri IV, pour l'en dédommager, le fit, en février 1583, maître des requêtes de l'hôtel de Navarre; le 31 juillet 1592, conseiller en la chambre de l'édit de Castres; et le 28 septembre, conseiller au conseil privé; en 1588, il épousa Anne Dubourg. (Cf.t. I, p. 45).

Jean-Jacques Pellisson fut conseiller à Castres; c'est lui qui a fait l'abrégé des Arrêts de Géraud de Maynard (Cf. t. I, p. 195). Il épousa Jeanne de Fontanier, fille et héritière de Fr. de Fontanier, secrétaire du Roi, intimne ami de M. de Loménie, secrétaire d'État. MM. de Bouillon, dit-on, sont sortis de cette famille par les femmes. La charge de J.-J. Pellisson, qui valait cinquante mille écus, fut perdue, à sa mort, pour ses enfants.

Des deux garçons laissés par Jacques, l'aîné, Georges, uniquement occupé de ses études, ne tira aucun parti d'un très-grand savoir et d'une très-belle intelligence. On a de lui cependant des Mélanges de divers problèmes qu'il publia en 1647, où il expose le pour et le contre dans des questions de physique et de morale, comme La Mothe Le Vayer. Créé conseiller d'État en 1660, après avoir rempli quelques charges en province, il vint mener à Paris une vie obscure, qu'il termina en 1677. Sa mère, qui lui avait acheté sa première charge, laissa en mourant toute sa fortune à son fils cadet, Paul Pellisson, l'auteur de l'Histoire de l'Académie. Nous écrivons le nom de Pellisson comme l'illustre écrivain. II signait Pellisson-Fontanier. (Voy. à la Biblioth. impér., fonds Séguier, no 70.)

1 La mère de Pellisson, restée veuve vers 1629, fut seule chargée de l'éducation de ses enfants.

2 Sous Morus, le père du célèbre Alexandre Morus, pasteur de

louse, où à peine eut-il donné quelques mois à l'étude, qu'il entreprit de paraphraser les Institutes de Justinien'. A la vérité, il n'en publia que le premier livre : mais ce premier livre suffiroit pour nous faire douter que ce pût être l'ouvrage d'un jeune homme, si la date de l'impression n'en faisoit foi.

Peu de temps après il vint à Paris, où le célèbre Conrart, pour qui les protestants de Castres lui avoient donné des lettres de recommandation, se fit un honneur de le montrer à ces premiers Académiciens, dont sa maison étoit le rendez-vous. Tout portoit dès lors M. Pellisson à oublier sa province. Il eut cependant le courage d'y retourner, et de suivre le barreau à Castres, pour se disposer à remplacer dignement ses pères. Mais sa carrière ne faisoit que de s'ouvrir, lorsqu'il fut tout coup arrêté par une petite-vérole, qui non-seulement lui déchiqueta les joues et lui déplaça presque les yeux, mais affoiblit et ruina pour toujours son tempérament2. l'église réformée de Charenton. A l'âge de douze ans, ayant déjà terminé sa rhétorique, il alla faire sa philosophie à Montauban (1636). 1 Pellisson entreprit, à l'âge de dix-neuf ans, en 1643, cette paraphrase, qu'il publia plus tard. — Cf. I, pp. 18-19.

à

2 Pellisson se retira alors à la campagne, chez M. de La VilleBressieux, pour qui il fit une traduction, maintenant perdue, des quatre premiers livres de l'Odyssée. La Bibliothèque de l'Arsenal (Ms. de Conrart, in-4o, t. XIX) conserve une copie d'un Discours sur les livres V-IX de l'Odyssée, écrite par Conrart, corrigée de la main de Pellisson. M. Marcou, qui s'occupe d'un travail spécial sur Pellisson et à l'obligeance duquel nous devons plusieurs bons renseignements, nous fournit la preuve que ce Discours est de Pellisson, en nous citant ce fragment d'une lettré écrite par lui à M. de Donneville, son ami(31 décembre 1650): « J'ai dicté quelques livres d'Homère de la manière que vous savez. » (Ms. de Conrart, in-fo, V.)

Au lieu de chercher de vains secours dans l'art des médecins, il crut ne pouvoir se consoler qu'avec les Muses', et pour cela il revint à Paris. Ses amis ne le reconnurent plus aux traits du visage. Ils le reconnurent à des traits plus durables, à des manières douces et liantes, à un enjouement délicat, et surtout à une certaine éloquence de conversation, qui lui étoit particulière. Il abusoit, disoit-on, de la permission qu'ont les hommes d'être laids2; mais avec toute sa laideur, il n'avoit pour plaire qu'à parler. Son esprit lui servoit, non pas à en montrer, mais à en donner; et l'on sortoit d'avec lui, non pas persuadé qu'il eût plus d'esprit qu'un autre, mais se flattant d'en avoir pour le moins autant que lui, tant il avoit l'art de se proportionner à toute sorte de caractères.

Parmi les personnes qu'il cultiva, et que son mérite lui avoit données pour amies, Me de Scudéri tient le premier rang3. Une parfaite conformité de génie, de

1 Peut-être Pellisson y était-il venu à l'époque où il publia, chez le libraire Sommaville, sa Paraphrase du premier livre des Institutes, dédiée par lui, sous le nom du libraire, au chancelier Séguier. Il y était à coup sûr à la fin de 1650, puisque sa première lettre à M. de Donneville est datée du 31 décembre de cette année (voy. la note précédente). Mais, en 1648 et 1649, il était à Castres, comme on le voit par les registres des séances de l'Académie de Castres, dont les statuts sont datés du 19 nov. 1648. On y trouve la mention de douze morceaux plus ou moins considérables qu'il y lut dans le cours de ces deux années, et dont quelques-uns sont encore conservés.

2 Madame de Sévigné, lettre LXXV. (0.)

3 Magdeleine de Scudéri, auteur de plusieurs romans, morte à l'âge de 94 ans, le 2 juin 1701. [Voyez le Journal des Savants.] (0.) Cette fin de la note a été donnée dans l'édition de 1743.

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