Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Enfin, comme il ne laissa pas d'avoir seize voix contre sept, le parti contraire se hâta de prévenir le Roi et d'intéresser sa religion.

Pendant que les ordres du Roi se faisoient attendre, M. de La Fontaine, qui avoit le succès de cette affaire infiniment à cœur, lui présenta une ballade dont le refrain étoit :

L'événement n'en peut être qu'heureux;

et dans l'envoi, dont il pria madame de Thiange de faire la lecture et le commentaire au Roi, il dit à Sa Majesté :

Ce doux penser, depuis un mois ou deux,
Console un peu mes Muses inquiètes.
Quelques esprits ont blâmé certains jeux,
Certains récits qui ne sont que sornettes.
Si je défère aux leçons qu'ils m'ont faites,
Que veut-on plus? Soyez moins rigoureux,
Plus indulgent, plus favorable qu'eux,

Prince; en un mot soyez ce que vous êtes :
L'événement ne peut m'être qu'heureux.

Mais ce ne fut pas encore là ce qui détermina le Roi, ou du moins il ne s'expliqua que lorsqu'on eut nommé M. Despréaux à une autre place qui vint à vaquer2. Alors un député de l'Académie lui en ayant rendu compte, il répondit que le choix qu'on avoit fait de M. Despréaux lui étoit « très-agréable, et seroit généralement approuvé. Vous pouvez, ajouta-t-il, recevoir

1 Les sept voix furent données à Despréaux.

2 Celle de Bazin de Bezons, mort le 22 mars 1684.

incessamment La Fontaine ; il a promis d'être sage'. »

Au fond, le Roi n'avoit pas été content de la préférence qu'on avoit donnée à La Fontaine sur Despréaux. Ces deux grands poëtes avaient été mis en concurrence pour la même place, et les sept voix que La Fontaine eut contre lui avoient été pour Despréaux, qui étoit bien plus connu à la cour, Mais, pendant les six mois qui s'écoulèrent d'une élection à l'autre, le Roi ne laissa qu'à peine entrevoir son inclination, parce qu'il s'étoit fait une loi de ne prévenir jamais les suffrages de l'Académie.

Passons à un autre exemple, qui fera voir que la vigilance du Roi ne se bornoit pas à l'examen du sujet proposé, mais qu'elle alloit même jusqu'à exiger que toutes les formes qui doivent être observées dans les élections le fussent à la rigueur.

Quoique l'Académie françoise eût choisi pour un de ses membres un savant que l'Académie d'Athènes eût volontiers choisi pour son chef après la mort de Platon, cependant, parce que l'Assemblée n'étoit ce jour-là composée que de dix-sept Académiciens, le Roi fit savoir à ces Messieurs : « Qu'il regardoit comme nul tout ce qui s'étoit fait dans leur Assemblée, la Compagnie n'ayant pu rien faire de contraire au règlement, qui demande la présence de vingt Académiciens pour admettre comme pour exclure quelqu'un du Corps; que son intention étoit que tous les règlements et statuts ordonnés pour l'Académie fussent exécutés à la lettre, sans qu'il fût jamais permis d'y apporter aucune restric1 Registres de l'Académie, 20 avril 1684.

tion ni interprétation; que, dans les cas qui pourroient souffrir difficulté, il laissoit seulement la voie des remontrances 1. »

Après quoi, la lettre du secrétaire d'État portoit que l'on eût à procéder tout de nouveau à cette élection, suivant les formes ordinaires et avec une entière liberté de suffrages. Mais, de peur qu'on ne soupçonnât que ce qui avoit déplu au Roi fût autre chose qu'un manqueTM de formalité, il ajoutoit : « Et Sa Majesté m'a commandé de déclarer en même temps que ce seroit mal expliquer cet ordre que de croire que le Roi donne aucune exclusion à M. l'abbé Fraguier, dont le mérite est connu rien n'étant plus contraire à l'intention de Sa Majesté, qui ne souhaite en ceci, comme en toute autre occasion, que de renouveler le zèle de l'Académie sur tout ce qui peut y conserver la discipline et le travail. >>

Quand M. Dacier fut nommé à la charge de Secrétaire perpétuel après la mort de M. l'abbé Regnier, M. le cardinal de Polignac lui écrivit de Marly, où étoit la Cour2: « Le Roi a fait votre éloge, Monsieur, lorsque j'ai eu l'honneur de l'informer que l'Académie vous avoit choisi pour son Secrétaire perpétuel. Il étoit trèsnécessaire de lui en rendre compte, car Sa Majesté

1 Lettre de M. le comte de Pontchartrain, Secrétaire d'État, écrite de Versailles le 12 décembre 1707, et insérée dans les registres de l'Académie.

Quoique ceci ne soit arrivé qu'après 1700, l'enchaînement des matières m'obligeoit de le rapporter en cet endroit. (0.)

2 Cette lettre, en date du 13 novembre 1713, est insérée dans les Registres de l'Académie,

avoit une attention particulière au choix qui seroit fait. >> La charge de Secrétaire perpétuel n'avoit encore vaqué depuis l'établissement de l'Académie que trois fois. A M. Conrart avoit succédé M. de Mézeray, et à celui-ci M. l'abbé Regnier'. Comment cette charge n'eût-elle pas attiré l'attention du Roi, puisqu'il regardoit de si près à l'élection d'un simple Académicien? Il n'entendoit pas que des places qui doivent être la récompense du mérite, pussent être données à la faveur, et souvent ce sage prince a recommandé que toutes les fois qu'il y auroit une élection à faire, on eût uniquement égard au plus digne 2.

Avouons cependant, puisqu'aussi bien je serai obligé de le dire ailleurs, qu'il y a eu des cas où la Compagnie s'est vue dans la nécessité de céder à des recommandations puissantes. Mais, en même temps, ne laissons pas périr la mémoire d'une action courageuse, qui lui fit grand honneur dans le monde et dans l'esprit du Roi. Un domestique d'un grand seigneur 3 employa l'intercession de M. le Dauphin, j'entends de celui qui mourut en 17111, pour se faire nommer à une place vacante; et ce prince eut la bonté d'ordonner au marquis de Dangeau qu'il fit pour cela toutes les démarches les

Voyez t. 1, p. 490.

3

2 Registres de l'Académie, en dix ou douze endroits, et surtout au 24 nov. 1691. (0.)

3 C'est-à-dire une personne attachée à la maison d'un grand seigneur.

4 Louis de France, surnommé le grand Dauphin, fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche, né à Fontainebleau le 1er novembre 1661, mort à Meudon le 14 avril 1711.

plus vives. Il les fit avec l'empressement d'un courtisan: jusque-là qu'il se fit apporter de Versailles à l'Académie, ayant une violente attaque de goutte le jour de l'élection. Il eut beau parler au nom d'un prince adoré des François, et pour qui tous les Académiciens eussent volontiers donné leur sang, il ne put obtenir leurs suffrages pour un sujet qui ne leur sembloit pas avoir les qualités requises; et bien loin que M. le Dauphin s'en fàchât, il applaudit publiquement à leur fermeté.

Autant qu'ils seront rigides et inexorables en cas pareils, autant l'Académie sera-t-elle florissante. Par les sujets qu'elle choisira, elle fera elle-même sa destinée. Peut-être n'aura-t-elle pas toujours des Corneilles et des Racines, parce que la France peut-être n'en aura pas toujours. Mais le discernement et l'honneur de l'Académie seront à couvert, pourvu que dans tous les temps elle possède ce que le royaume produit de meilleur. Et il n'y a pas à craindre qu'en se rendant difficile elle rebute les prétendants. Au contraire, l'ambition des bons sujets n'en sera que plus excitée, lorsqu'ils verront que l'Académie rejette constamment les médiocres, au hasard de se rendre, comme il lui arrive, l'objet de leurs insipides satires.

1 Je dis uniquement ce qu'il est à souhaiter que l'Académie fasse toujours, et je ne dis point, comme un critique m'en accuse, qu'elle ait toujours possédé tout ce qu'il y avoit de meilleur. Car ne sait-on pas que souvent il y a des personnes d'un mérite éclatant qui, pour des raisons particulières, ne tournent pas leurs vues du côté de l'Académie? Je n'ai donc rien à changer ici, étant bien persuadé qu'un lecteur équitable ne donnera pas à ma proposition un sens et une étendue qu'elle n'a point. (o.) — Note ajoutée dans l'édition de 1743.

« AnteriorContinuar »