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Quant à ses factums, j'ai entendu dire aux gens du métier que c'étoient des modèles, et que s'il avoit voulu plaider, il auroit été l'ornement du barreau. Mais la première fois qu'il y parut, devant faire un plaidoyer d'apparat, il n'en prononça que cinq ou six lignes et demeura court'. Depuis cet accident, qui peut arriver à des orateurs consommés dans leur art, il ne voulut plus s'exposer à plaider, et il se contenta d'ćcrire dans les occasions d'éclat 2. Hardi la plume à la main, il avoit hors de là une certaine timidité3, dont

ris (le 13 septembre 1694.) C'étoit une des plus belles plumes qu'il y eut, témoin plusieurs beaux ouvrages qu'il a faits, comme entre autres cette belle critique intitulée : les Sentiments de Cléanthe sur les Entretiens d'Ariste et d'Eugène du P. Bouhours. C'est lui qui a le plus travaillé à perfectionner et à parachever le Dictionnaire de l'Académie; cependant l'état de sa fortune, qui ne pouvoit pas être pire, fait un reproche aux grands du royaume qu'ils n'ont pas soin des beaux esprits. Tant que feu M. Colbert a vécu, M. d'Aucour a eu un protecteur, parce que ce ministre aimoit véritablement les gens de lettres; mais, depuis sa mort, il n'a jamais pu trouver un autre Colbert. »

1 Despréaux, piqué de ce que d'Aucourt avoit écrit contre Racine, le désigne à la fin de son Lutrin: (0.)

Le nouveau Cicéron, pâle, défiguré,
Cherche en vain son discours, etc.

M. de Clermont-Tonnerre, évêque et comte de Noyon, qui succéda à Barbier-d'Aucour, a fait l'éloge de son prédécesseur: il vante << son éloquence grave et facile dans les ouvrages de prose et de vers, son mérite estimé par un ministre estimable, sa reconnoissance dans une harangue (discours de réception) qui marque autant de cœur que d'esprit, sa charité victorieuse pour la défense d'un innocent prêt à subir le dernier supplice d'un coupable, et son attachement inviolable à tous les intérêts de son Corps. >>

C'est cette timidité sans doute qui l'empêcha de signer ses

je m'imagine que sa mauvaise fortune, encore plus que son tempérament, pouvoit bien être la cause.

Jamais, en effet, la fortune n'a moins bien traité un homme de mérite. La seule chose qu'elle fit pour lui, ce fut de l'approcher de M. Colbert, qui lui confia l'éducation d'un de ses fils, et lui donna quelque commission dans les bâtiments'. Mais les épargnes qu'il put faire dans cet emploi, il les mit à des entreprises commencées sous M. Colbert, et qui échouèrent à la mort de ce ministre, sans qu'il pût même retirer ses avances. Enfin, pour avoir de quoi subsister, il épousa la fille de son libraire. Il n'en eut point d'enfants, et il mourut d'une inflammation de poitrine, dans sa cinquante-troisième année.

Les députés de l'Académie, qui allèrent le visiter dans sa dernière maladie, furent touchés de le voir mal

ouvrages, comme le remarqua Doujat dans sa réponse au discours de réception de Barbier-d'Aucour: « Vous pouvez juger, Monsieur, par le choix que l'Académie a fait de vous pour remplir la place d'un homme de ce mérite, quelle estime elle fait de votre personne. Elle a considéré vos talents qui, malgré le soin que vous avez pris de les cacher, ne peuvent être inconnus qu'à ceux qui n'ont aucune connoissance du monde. >>

1 Le passage suivant du discours de réception de Barbier-d'Aucour semble indiquer qu'il tenoit à Colbert d'une façon plus intime qu'on ne le dit ici :

<< Tout son ministère n'a été qu'une action continuelle, sans distinction de jour et de nuit. Le sommeil n'entroit que dans ses yeux et jamais dans son cœur ; ses paupières se fermoient, sa main cessoit d'écrire, mais son esprit ne cessoit point de travailler. Et combien de fois ai-je eu l'honneur de recevoir de lui, avant le jour, des ordres dont la suite, le nombre et le détail faisoient voir qu'il y avoit pensé toute la nuit. »

logé. «Ma consolation, leur dit-il, et ma grande consolation, c'est que je ne laisse point d'héritiers de ma misère. » L'abbé de Choisy, l'un des députés, lui dit poliment : « Vous laissez un nom qui ne mourra point. -Ah! c'est de quoi je ne me flatte pas, répondit d'Aucour. Quand mes ouvrages auroient d'eux-mêmes une sorte de prix, j'ai péché dans le choix de mes sujets. Je n'ai fait que des Critiques, ouvrages peu durables'. Car si le livre qu'on a critiqué vient à tomber dans le mépris, la critique y tombe en même temps, parce qu'elle passe pour inutile: et si, malgré la critique, le livre se soutient, alors la critique est pareillement oubliée, parce qu'elle passe pour injuste. »

XXXIII

JEAN-LOUIS BERGERET,

Secrétaire de la Chambre et du Cabinet du Roi, reçu à l'Académie le 2 janvier 1685, mort le 9 octobre 1694.

On sait comment il força les barrières de l'Académie. Deux places vaquoient en même temps : celle de Corneille l'aîné, destinée au cadet, et celle de Cordemoy, destinée à Ménage, qui, par quantité d'ouvrages savants et utiles, avoit réparé le tort que sa Requête

1 Le P. Le Long, num. 17,429, lui attribue, mais à faux, la réponse à la critique de la princesse de Clèves elle est d'un abbé de Charnes, auteur de la Vie du Tasse, imprimée en 1690. (o.)

des Dictionnaires, pur badinage de sa jeunesse, avoit pu lui faire dans l'esprit de quelques Académiciens. Une puissante brigue fit tomber cette seconde place à M. Bergeret, par une préférence injuste',

Dont la troupe de Ménage

Appela comme d'abus

Au tribunal de Phébus,

dit hardiment Benserade dans ses Portraits des quarante Académiciens 2, lus en pleine Académie le jour même que M. Bergeret fut reçu.

1 Toute la maison Colbert, dit Ménage, « fit une affaire de conséquence de cette affaire messieurs de Seignelay, de Croissy, le coadjuteur de Rouen, le duc de Saint-Aignan sollicitèrent en personne pour Bergeret, avec plusieurs dames de la Cour. » AntiBaillet, ch. LXXII. (o.) —Voyez aux Pièces justificatives.

2 Voyez ci-dessus, page 242.

Dans sa réponse aux discours prononcés par Th. Corneille et Bergeret le jour où ils furent reçus, Racine a rappelé ainsi les charges remplies par M. Bergeret:

<<< Nous lui avons choisi pour successeur (à M. de Cordemoy) un homme qui, après avoir été assez longtemps l'organe d'un parlement célèbre, a été appelé à un des plus importants emplois de l'État, et qui, avec une connoissance exacte et de l'histoire et de tous les bons livres, nous apporte encore quelque chose de bien plus utile et de bien plus considérable pour nous, je veux dire la connoissance parfaite de la merveilleuse histoire de notre Protecteur.

« Et qui pourra mieux que vous, ajoute Racine, nous aider à parler de tant de graves événements dont les motifs et les principaux ressorts ont été si souvent confiés à votre fidélité, à votre sagesse? qui sait mieux à fond tout ce qui s'est passé de mémorable dans les cours étrangères, les traités, les alliances et enfin toutes les importantes négociations qui, sous son règne, ont donné le branle à toute l'Europe? »

-Dans son discours de réception, l'abbé de Saint-Pierre, qui

Il étoit Parisien; il avoit été avocat général au parlement de Metz, et lorsqu'il sollicita une place dans l'Académie, il étoit actuellement premier commis de M. de Croissy, ministre d'État '.

XXXIV

JEAN DE LA FONTAINE,

Reçu à l'Académie le 2 mai 1684, mort le 13 mars 1695.

Il naquit le 8 juillet 1621 à Château-Thierry 2, où son père étoit maître des eaux et forêts.

succédoit à Bergeret, complète l'éloge de son prédécesseur en parlant même de ses écrits, que d'Olivet ne nous a pas fait connaître :

« Il porta dans ses emplois un esprit d'application et de suite, source la plus sûre du succès des affaires; il fit sentir dans ses écrits une sorte de force que donnent l'ordre, la netteté du discours et une justesse qui, retranchant sévèrement les ornements superflus, ne présente à l'esprit que ce qu'il lui importe de bien voir. »

La Chapelle répondant à l'abbé de Saint-Pierre vante à son tour « les mœurs douces et aimables, la conversation aisée, l'exacte connoissance des hommes, les vues droites et le juste discernement » qui formoient les qualités les plus brillantes de Bergeret.

Quant à ses écrits, nous ne connoissons de lui, outre son discours de réception, que ses réponses aux discours de l'abbé de Choisy et de Fénelon, quand ils furent reçus à l'Académie.

Charles Colbert, marquis de Croissy, frère du grand Colbert, avoit d'abord été président au parlement de Metz; c'est là sans doute qu'il avoit connu et s'étoit attaché M. Bergeret, avocat général à ce siége.

2 De Jean de La Fontaine, ancien bourgeois de Château-Thierry

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