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de phrases étudiées, qui de tous les styles est le plus mauvais.

Enfin, pour ne pas m'étendre davantage sur ce sujet, toutes les fois que le pour et le contre des citations. a été mûrement examiné, la Compagnie s'est toujours déterminée à les exclure de son dictionnaire'.

'Un de nos meilleurs grammairiens, le célèbre Patru, étoit fortement pour les citations. C'est ce qu'on verra par la lettre suivante, dont je m'imagine que ceux qui aiment l'histoire litté– raire seroient fachés que je les eusse privés:

« Mon cher, tu sauras que Cassandre et Richelet, nos anciens camarades, dont le premier est mon secrétaire et l'autre mon lecteur, me demandent leurs appointements. Voici en quelle monnoie. Ils ont envie de faire un dictionnaire qui soit composé de citations extraites de nos bons auteurs, et ils croient que, si je veux revoir l'ouvrage, un libraire le payera bravement. Cette idée leur est venue sur ce que l'Académie, contre mon avis, qui fut toujours celui de Chapelain et de beaucoup d'autres, persiste dans sa résolution de ne point citer. Cassandre a déjà fait un essai qui me donne, mehercle! une bonne opinion de ce qu'on fera sur le même plan. Il s'est attaché aux mots qui sont de peu d'usage et qui regardent les plantes, les animaux, l'anatomie ou la pharmacie. Richelet va dépouiller tout d'Ablancourt. J'en ferai autant pour mes plaidoyers. Nous ne ferons que crayonner les passages. Un petit copiste à six deniers portera le tout sur du papier qui ne sera écrit que d'un côté, tellement qu'il ne faudra que découper ce papier et rapporter chaque morceau en son lieu et place, où il sera collé. Tu sais que les Indices ne se font pas autrement. Nous sommes convenus que, pour ta part, non-seulement tu ferois la même chose pour tes propres ouvrages, mais de plus (garde-toi de dire non!) pour tout Balzac. Il a été réglé, ordonné, nous réglons, ordonnons que tu fourniras cette tâche. Richelet est sûr de cinq ou six auteurs vivants qui, pour avoir le plaisir et l'honneur d'être cités eux-mêmes, fourniront d'autres extraits pardessus le marché; et chacun gardera le silence, pour mettre sa petite vanité à l'abri, comme de raison. Je m'en suis ouvert au

:

J'allois oublier un autre reproche qu'on lui fait encore c'est d'avoir jusqu'à présent retenu l'ancienne manière d'écrire, qui marque l'analogie et l'étymologie des mots; au lieu de se conformer à la nouvelle, qui supprime ou remplace par des accents la plupart des lettres inutiles pour la prononciation. Ce que j'ai donc à dire là-dessus, c'est qu'à l'égard de l'orthographe, comme en tout ce qui concerne la langue, jamais l'Académie ne prétendit rien innover, rien affecter. Sa loi, dès son établissement, fut de s'en tenir « à l'orthographe reçue, pour ne pas troubler la lecture commune, et n'empêcher pas que les livres déjà imprimés ne, fussent lus avec facilité. » Dès lors il fut résolu, « qu'on travailleroit pourtant à ôter toutes les superfluités qui pourroient être retranchées sans conséquence1». Et c'est aussi ce qu'elle a voulu faire insensiblement; mais le public est allé plus vite et plus loin qu'elle. Peut-être

Rapin et au Bouhours, qui s'y jettent à corps perdu. Allons, notre ami, travaille et beaucoup et promptement. Songe que nous n'avons pas, comme toi, « un bréviaire bien payé, quoique mal récité. Adieu. Nous nous aimions à la bavette, aimons-nous toujours.Ce 4 avril 1677. »

J'ai entre les mains l'original de cette lettre qui s'adressoit à M. de Maucroix, chanoine de Reims. On y voit clairement la vraie origine de ce dictionnaire, dont Richelet passe pour l'unique auteur; et, cela étant, on aura moins de peine à croire ce qu'il dit au mot Octave, p. 62, des remarques imprimées à la tête de ce dictionnaire, dans la première édition, qui est de 1680, qu'il vint à bout de ce travail « en quinze ou seize mois. » (o.)- Cette note a été ajoutée depuis la 1re édition de l'Histoire de l'Académie.

1 Projet du dictionnaire rapporté dans l'histoire de M. Pellisson. (0.) Voyez t. 1, p. 102 et suivantes.

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est-il allé trop loin et trop vite. Quoi qu'il en soit, elle dit très-bien, que «< comme il ne faut point se presser de rejeter l'ancienne orthographe, on ne doit pas non plus faire de trop grands efforts pour la retenir 1. » Ce qui signifie que, toujours asservie à l'usage, elle a respecté l'ancien, tant que ç'a été celui de nos écrivains les plus célèbres: mais qu'elle est disposée néanmoins à subir la loi du nouveau, lorsqu'il aura entièrement pris le dessus.

J'ai déjà dit que son dictionnaire parut pour la première fois en 16942. Elle n'en commença la révision qu'en 1700. Il y eut donc six années d'intervalle, qui furent employées à recueillir et à résoudre des doutes sur la langue, dans la vue que cela serviroit de matériaux à une grammaire, ouvrage qui devoit immédiatement suivre le dictionnaire, selon le plan du cardinal de Richelieu.

On arrêta que pour ce travail, qui n'étoit regardé que comme un préliminaire, la Compagnie se partageroit, et qu'à l'un des bureaux M. l'abbé de Choisy tiendroit la plume, à l'autre M. l'abbé Tallemant. D'abord ces deux bureaux travaillèrent avec l'ardeur qu'inspirent les nouvelles entreprises. On y rassembla, les trois premiers mois, de quoi faire deux petits recueils, l'un desquels fut imprimé en 1698, sous le titre de Remarques

1 Préface du nouveau dictionnaire. (0.)

A la fin de ses Remarques de grammaire sur Racine, l'abbé d'Olivet parle longuement de l'Epitre dédicatoire de ce diction naire et en donne le projet primitif avec les corrections proposées par l'abbé Régnier et Racine. Nous donnerons, aux Pièces justificatives, ce morceau important.

et Décisions de l'Académie françoise, recueillies par M. L. T. Ces trois lettres initiales veulent dire Monsieur l'Abbé Tallemant. Il eut ordre de se désigner à la tête du volume', soit parce que le style étoit purement de lui, soit parce que la Compagnie ne vouloit pas, à ce que je soupçonne, prendre sur elle toutes ces décisions qui ne venoient que d'un bureau particulier, composé seulement de cinq ou six Académiciens. Quant au recueil de M. l'abbé de Choisy, elle ne jugea pas à propos d'en permettre l'impression2, parce qu'il l'avoit écrit de ce style gai, libre, dont il a écrit son Voyage de Siam. Mais bien loin qu'en cela il fût à blâmer, la

Reg. de l'Académie, 16 janvier 1698. (o.)

'Le travail de l'abbé de Choisy a été imprimé dans le recueil intitulé: Opuscules sur la langue françoise, par divers Académiciens. Paris, M. Brunet, imprimeur de l'Académie françoise, MDC CLIV.1 vol. in-12, et il y occupe les pages 243-341, sous le titre de Journal de l'Académic françoise, par M. l'abbé de Choisy. Au début, on lit ce passage, qui confirme et complète ce que dit l'abbé d'Olivet:

<< Au commencement de l'année 1696, l'Académie résolut, à la pluralité des voix, qu'on travailleroit en deux bureaux; que, dans le premier, on reverroit le Dictionnaire, et que, dans le second, on proposeroit des doutes sur la langue, qui, dans la suite, pourroient servir de fondement à une grammaire. Messieurs Charpentier, Perrault, (Thomas) Corneille, et Messieurs les abbés de Dangeau et de Choisy promirent assiduité au second bureau. C'est le dernier nommé qui se chargea de tenir la plume pendant le reste du quartier. » Suit une série de vingt-six questions intéressantes pour l'histoire de la langue.

L'abbé de Dangeau, dont il est parlé dans cet extrait de l'abbé de Choisy, a composé des Essais de grammaire qu'on lit en tête du volume d'opuscules cité plus haut. On connaît les erreurs de son système orthographique.

plupart des lecteurs lui auroient su gré, si e ne me trompe, d'avoir corrigé par un peu de badinage la sécheresse des questions grammaticales.

Au bout de trois mois, les deux bureaux se réunirent pour travailler conjointement à des Observations sur les Remarques de Vaugelas. Elles furent achevées en 1700, et mises au net par T. Corneille : l'abbé Rẻ

1 En 1738, le libraire de Nully a publié les Remarques sur la langue françoise, avec les notes de messieurs Patru et Th. Corneille. 3 vol. in-12.

Un avis des libraires (p. 10) porte : « Outre les notes de Th. Corneille, imprimées pour la première fois en 1687, on trouvera ici celles de M. Patru, qu, jusqu'à présent, n'avoient été imprimées qu'à la suite de ses plaidoyers... » - On ajoute que les notes de Patru sont toujours distinguées de celles de Th. Corneille.

Dans l'Avertissement de Th. Corneille (pages 1-10), on lit qu'il s'est aidé des notes de Ménage, de Bouhours, des annotations faites par Chapelain sur un de ses exemplaires, et des conseils de M. Miton, homme, dit-il, d'un goût în et délicat. Ainsi, la date 1687, de la première édition, montre déjà que Th. Corneille n'a pas attendu 1700 pour donner les décisions de l'Académie, et les noms dont il a appuyé son opinion, quand il ne la donne pas sans discussion, prouvent aussi que Th. Corneille n'a pas toujours parlé au nom de l'Académie.

Voici cependant comment l'Académie a pu influer sur son travail :

« Ces notes, dit-il, n'étoient encore qu'ébauchées quand Messieurs de l'Académie françoise me firent l'honneur de me recevoir dans leur Corps (1685). L'avantage que j'ai eu depuis ce temps-là d'entrer dans leurs conférences a beaucoup contribué à me donner l'éclaircissement que je cherchois sur mes doutes. Je les ai engagés plusieurs fois à s'expliquer sur ce qui m'embarrassoit; et, sans leur dire ce que j'avois envie de savoir, j'ai souvent appris, en les écoutant, de quelle manière il falloit parler. Je dois rendre ce témoignage à leur gloire qu'il y a infiniment à profiter dans

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