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et de lecteur, qu'il a successivement exercées chez le Roi, ne semblent pas faites pour un médecin qui se plairoit à être couru du public '. Quoi qu'il en soit, au moins voyons-nous que M. de La Mesnardière, dès qu'il se fut fixé à Paris, ne fit plus d'ouvrages de médecine et ne parut occupé que de BellesLettres.

Il ouvrit sa carrière par le Panégyrique de Pline dont il publia une paraphrase des plus libres, sans respect pour le tour concis de l'original. Tombant ensuite dans une autre extrémité, il traduisit servilement les Lettres du même auteur; et, par la torture où il se mit pour les rendre mot à mot, il n'y laissa presque rien de cette facilité qui fait le mérite du style épistolaire. Il ne considéroit pas qu'entre la paraphrase et la version littérale il y a un milieu; que celle-ci dérobe toujours des grâces nécessaires, et que celle-là en prête rarement d'utiles.

Il a donné un assez gros volume sur la Poétique, et ce n'est pourtant que l'ébauche d'un plus vaste dessein 2. La mort du cardinal de Richelieu, qui l'avoit

Et pour avoir icelle charge

Qui peut mettre un homme en crédit,

Il en donne, à ce qu'on m'a dit,

Environ six mille pistoles.

(Gaz, du 14 avril 1663.)

- La Mesnardière mourut le 4 juin suivant.

1 On vient de voir que c'est en 1657, c'est-à-dire près de vingt ans après la date où d'Olivet le donne comme médecin, que La Mesnardière obtint la charge de lecteur du Roi.

2 Voici comment La Mesnardière expose le plan de son travail :

engagé à ce travail', fut apparemment cause qu'il ne l'acheva pas. Il s'étoit proposé d'abord d'embrasser toutes les parties de l'art; mais il n'a exécuté que ce qui regarde la tragédie et l'élégie. Il donne là-dessus et des préceptes et des exemples: les préceptes, il les emprunte des anciens, et il les expose, non pas toujours avec une brièveté didactique, mais souvent avec un faste oratoire. Les exemples, il les tire quelquefois de son propre fonds 2; car il avoit fait quantité de vers,

2

« J'ai voulu ouvrir la carrière par les poëmes de théâtre, qui sont la plus belle espèce et la plus considérée. Si Dieu me donne du repos, je leur donnerai deux volumes, l'un et l'autre assez remplis et, possible, assez curieux pour faire voir au lecteur que je ne m'arrête pas aux choses purement vulgaires. Le troisième et dernier expliquera le poëme épique, les dithyrambes, l'élégie, l'ode, l'idylle, les hymnes, bref toutes les autres espèces dont nous avons quelques lumières. Chaque tome de cet ouvrage contiendra douze chapitres, qui nous mèneront peu à peu à l'essence de la poésie, et je crois que les trente-six laisseront à ce royaume une image assez raisonnable des beautés de la Poétique. »

(Discours, en tête de la Poétique.)

Un autre traité didactique de La Mesnardière a passé inaperçu, parce qu'il se trouve lié à un autre ouvrage. C'est un discours, paginé à part (pages 1-126), qu'on lit en tête des Relations de guerre, sous ce titre : « Dissertation sur les caractères différents de l'histoire générale et de la particulière, servant de préface à ce recueil. »

1 Comme il fut engagé par Richelieu à ce travail, c'est par Louis XIV lui-même qu'il fut amené à écrire ses curieuses Relations de guerre.

1 En général, les exemples sont tirés des anciens que l'auteur admire sincèrement; il justifie ainsi les siens : « Si quelquesuns trouvent étrange que j'aie employé de mes vers pour faire voir des exemples de certaines beautés de l'art, je répondrai à ces messieurs que je pense avoir plus de droit sur les choses que j'ai produites que sur les ouvrages d'autrui ; que lorsqu'ils entrepren

et une tragédie, entre autres, intitulée Alinde', qui n'eut point de succès.

Un auteur si bien instruit des règles, faire une mauvaise tragédie! Seroit-ce donc la faute des règles? Non, puisqu'elles ne sont autre chose qu'un amas d'observations prises dans la raison même, et fondées sur l'expérience de ceux qui ont le mieux réussi3. Mais, pour entendre les règles d'un art, il ne faut que de la lecture et du sens commun; au lieu que pour être artisan habile, il faut du génie, et un génie propre à ce qu'on veut faire.

On a regardé autrefois cet auteur comme « un virtuose qui avoit fort bien écrit de toutes manières, et

dront de profiter au public par un travail de longue haleine et semblable à celui-ci, non-seulement j'approuverai qu'ils se servent de leur pratique pour faire entendre leurs pensées, mais que j'aurai beaucoup d'estime pour la force de leur génie qui saura accomplir les règles aussi bien que les enseigner;... tous les illustres écrivains qui ont traité la poétique ont été poëtes euxmêmes... Et certes, celui qui instruit presse merveilleusement ceux qui reçoivent ses préceptes quand il fait voir, par son exemple, que les choses qu'il enseigne peuvent être exécutées. C'est à moi d'être modeste et de sentir ma foiblesse si je veux être raisonnable; mais c'est à vous de m'estimer et d'être persuadé que je n'ignore pas les choses, si vous m'écoutez pour apprendre. » (Discours, en tête de la Poétique.)

1 C'est de cette pièce que sont tirés quelques-uns des exemples qu'il donne dans sa Poétique.

2 Le même cas s'est présenté plus d'une fois. Qui ne connait Zénobie de l'abbé d'Aubignac, l'auteur de la Pratique du Théâtre?

3 Ce que Cicéron dit de l'éloquence, il faut le dire des autres arts: esse non eloquentiam ex artificio, sed artificium ex eloquentia natum. De Orat. I, 32. (o.)

qui avoit laissé des ouvrages de lui sérieux et galants, dignes de beaucoup d'estime. >> Physicien, traducteur, critique 2, poëte, historien, dans quel genre ne s'étoit-il pas exercé? Aujourd'hui, et tous ces ouvrages et l'auteur lui-même sont presque tombés dans l'oubli.

Gardons-nous cependant de croire que la postérité lui ait fait tort, elle rend toujours justice; c'est même le seul juge non suspect. Pour moi, prévenu peut-être par l'opinion que deux de ses contemporains avoient

3

1 Mémoires de Bussy, année 1661. (o). — Quand Bussy parle ainsi de La Mesnardière, il vient de citer une lettre de celui-ci qui lui avait rendu un bon office auprès du Roi, que sa charge lui permettait souvent d'approcher.

2 La critique qu'il fit de la Pucelle sous le nom de du Rivage après l'apparition du poëme est d'autant plus surprenante qu'auparavant, dans le discours qui précède la Poétique, il en avait fait l'éloge.

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› Chapelain, Mémoire sur quelques gens de lettres vivants en 1662, et Chevreau, Lettre à Tanegui le Febvre. (0.) Voici le jugement que fait de lui Chapelain, qui n'avait pas à s'en louer, dans son mémoire à Colbert :

« La Mesnardière. Il écrit avec facilité et assez de pureté en vers et en prose, moins foible en françois qu'en latin. Son style est mol et étendu, et, dans ses longues expressions, se délaye et se perd ce qu'il y pourroit avoir de raisonnable. Quand il se veut élever, il dégénère en obscurité et ne fait paroître que de beaux mots qui ne font que sonner et ne signifient rien. Sa paraphrase, plutôt que sa traduction du Panégyrique de Pline, et sa Poétique le font paroître dépourvu de jugement, aussi bien que les pièces de son invention qui font le principal du volume de vers qu'il a publiés. Son Traité des esprits naturels et sa Paraphrase de quelques épigrammes de l'Anthologie ne sont pas méprisables, et s'il n'avoit fait voir que cela, il en seroit plus estimé; enfin, ce n'est pas un

de lui, j'avoue qu'en parcourant ses ouvrages j'y ai cru voir moins de jugement que d'imagination, une attention bien plus grande à étaler de belles paroles qu'à employer des pensées solides, une continuelle envie de se faire admirer plutôt que d'instruire. Tout écrivain qui ne fait pas son capital du bon sens renonce à l'immortalité.

JEAN OGIER DE GOMBAULD,

L'un des premiers Académiciens, mort en 1666'.

Où trouver aujourd'hui des mémoires sur M. de Gombauld, si personne de son temps n'avoit pris soin de nous en laisser2? Heureusement M. Conrart y a pourvu, et comme l'éloge qu'il en a fait n'a été imprimé qu'au

homme dont on puisse rien faire, ni sur qui on puisse appuyer aucun dessein où il faille jouir de tant soit peu de cervelle. »

Urbain Chevreau était fort lié avec La Mesnardière; c'est lui qui l'avait fait connaître au savant Tanegui Le Fèvre, dont il devint un des correspondants les plus actifs. « Urbani Chevræi non unæ litteræ... mihi confirmaverunt, quod jamdudum fama prædicat, esse tibi ingenium tanta humanitate, tantaque morum facilitate, ut securus ad te possim scribere. » (Tan. Fabri epistolæ, Saumur, Desbordes, 1674, 2 vol. in-4°, tome 1, page 15, etc.) 1 Le privilége de ses poésies (1646) lui donne le titre de gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi..., on y lit : « Le sieur de Gombauld, dont le mérite nous est connu et les services trèsagréables... >> Signé : CONRART.

2 Au lieu de se borner à copier ou Conrart ou Huet, comme plus haut, il est fâcheux que l'abbé d'Olivet n'ait pas fait quelques recherches nouvelles.

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