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fut invité par M. de Saint-Évremond à s'y retirer, et quelques mylords s'obligèrent de pourvoir à ses besoins. Mais les bienfaits de M. le duc de Bourgogne épargnèrent à la France et la douleur de perdre un si excellent homme, et la honte de ne l'avoir pas arrête par de si foibles secours1.

Après sa conversion, il vécut, ou plutôt languit encore deux ans. Il les passa chez Mme d'Hervart2, où il retrouva la même hospitalité, les mêmes douceurs dont il avoit joui chez Mme de La Sablière. Il entreprit de traduire les hymnes de l'Église, mais il n'alla pas loin ; car les remèdes qu'on lui avoit fait prendre dans le cours de sa maladie l'ayant fort échauffé, il voulut essayer d'une tisane rafraîchissante qui acheva d'éteindre son feu poétique, et qui vraisemblablement avança la fin de ses jours. Plus il sentit diminuer ses forces, plus il redoubla sa ferveur et ses austérités. J'ai vu entre les mains de son ami M. de Maucroix le cilice

d'années d'ailleurs, Mme de La Sablière avait embrassé un genre de vie sévère qui avait un peu éloigné d'elle La Fontaine.

1 Mme Harvey, à qui La Fontaine dédia sa fable du Renard anglais, son frère, M. de Montaigu, ambassadeur d'Angleterre en France, le duc de Devonshire et milord Godolphin, poussés par Saint-Évremond et la duchesse de Mazarin, voulurent attirer La Fontaine en Angleterre; mais ces tentatives eurent lieu vers 1683-87, et La Fontaine n'avait encore ni perdu Mme de La Sablière, ni éprouvé la libéralité du duc de Bourgogne.

2 L'hôtel de Barthélemy d'Hervart, autrefois intendant et contrôleur général des finances, était situé rue Plâtrière. Il avait appartenu au duc d'Épernon; quand M. d'Hervart l'acheta, il l'agrandit et le fit décorer par Mignard d'admirables fresques qui l'ont rendu longtemps célèbre.

dont il se trouva couvert lorsqu'on le déshabilla pour le mettre au lit de la mort vrai dans toute sa pénitence comme dans tout le reste de sa conduite, et n'ayant jamais songé à tromper en rien ni Dieu ni les hommes.

Il mourut à Paris, rue Plâtrière, et fut enterré dans le cimetière de Saint-Joseph', à l'endroit même où Molière avoit été mis vingt-deux ans auparavant2.

XXXV

FRANÇOIS DE HARLAY,

Archevêque de Paris, Duc et Pair de France, Commandeur des Ordres du Roi, reçu à l'Académie le 3 février 1671.

Il naquit à Paris le 14 août 1625. L'exemple de son père, Achille de Harlay-Champvalon3, homme savant, et de qui nous avons une fort bonne traduction de Tacite, lui inspira une forte passion pour l'étude. Il

1 M. Walkenaër dément formellement cette assertion, et assure que La Fontaine fut inhumé au cimetière des Saints Innocents. 2 Sur les rapports de La Fontaine avec l'Académie française, voy. aux Pièces justificatives.

3 Son père était ce marquis de Breval et de Champvalon dont nous avons parlé, tome I, p. 49. Sa mère était Odette de Vaudetar de Persan.

Dès l'âge de sept ans, l'enfant dut suivre les cours du collége de Navarre.

apprit les humanités par goût', la théologie par devoir2.

A peine fut-il hors de dessus les bancs de Sorbonne, que la province de Normandie le députa, en qualité d'abbé de Jumiège, à l'assemblée générale du clergé, tenue en 16503. Il y montra tant de savoir, tant de prudence, que l'archevêque de Rouen, son oncle, forma le dessein de l'avoir pour successeur, et que les prélats de l'assemblée députèrent à la Reine régente pour lui en faire eux-mêmes la demande. Ainsi, dès l'âge de vingt-six ans, il fut élevé à un des plus grands postes où puissent aspirer le mérite, la naissance et la faveur. Vingt ans après il fut transféré à l'archevêché de

1 Son père fut forcé de le détourner de la poésie : « Annum agens decimum quartum, Harlæus latine ita sciebat, ut soluta strictaque oratione scriptitaret, concinneque de re proposita dissereret, etiam ex tempore. » — Il étudia ensuite la philosophie, et il traduisit quelques ouvrages d'Aristote en français.

2 En sortant de ses cours de théologie, il fut le premier adversaire de Jansenius.

3 Des discussions très-graves s'élevèrent parmi le clergé, et les actes de l'assemblée furent supprimés.

La même année, 1650, il eut à soutenir les droits de son oncle contre le parlement de Rouen, qui lui défendait de tenir un synode. C'est seulement deux ans après, le 1er février 1652, qu'il prit possession du siége épiscopal de Rouen.

5 Ce fait est inexactement rapporté ici. Le clergé proposa M. de Harlay pour être coadjuteur de son oncle; la Reine, mal disposée envers la famille de Harlay, déclara qu'elle ne nommerait pas le jeune abbé coadjuteur, mais successeur de l'archevêque de Rouen. Elle espérait que celui-ci ne consentirait jamais à résigner sa haute et lucrative position. Trompée dans cette attente, elle tint cependant sa parole, à la recommandation de saint Vincent de Paul.

Paris'. C'est lui qui en a obtenu l'érection en duché et pairie2. Il fut en 1690 nommé par le Roi au cardinalat 3; mais une apoplexie de quelques heures termina sa vie avant qu'il eût le chapeau'.

Personne, je crois l'avoir dit ailleurs, ne reçut de la nature un plus merveilleux talent pour l'éloquence. Il rassembloit non-seulement tout ce qui peut contribuer au charme des oreilles, une élocution noble et coulante, une prononciation animée, je ne sais quoi d'insinuant et d'aimable dans la voix, mais encore tout ce qui peut fixer agréablement les yeux, une physionomie solaire, un grand air de majesté, un geste libre et régulier 5.

1 Le surlendemain de la mort d'Hardouin de Péréfixe de Beaumont, le 2 janvier 1671. Il prit possession de son siége le 18 mars de la même année.

2 En 1674, au mois d'avril, ce haut titre de duc el pair fut accordé à lui et à ses successeurs.

3 Le 10 mars 1690.

Le 6 août 1695.

5 Son biographe latin, Le Gendre, fait de lui ce portrait : « Eminenti, justa, eleganti staturâ Harlæus fuit, incessu alacri, exporrecta fronte, venusta admodum facie, humanitatem, signitatemque præferente, colore florido, cæsiis vegetisque oculis, naso paulò grandiore, ore parvo, roseis labris, ordinatissimis et, eo etiam sene, incorruptis dentibus, denso subrufoque capillo antequam ascititio uteretur.... » Sa beauté a donné lieu à ce mot. Il traversait une salle où se trouvaient les filles d'honneur de la Reine:

Formosi pecoris custos.

dit-il à la personne qui l'accompagnait.

Formosior ipse,

reprit, en terminant le vers de Virgile, Mme de Bouillon. (Cf. Faydit, Remarques sur Virgile et sur Homère, p. 218. - 1705, in-12.)

Par un fréquent exercice, il étoit parvenu à pouvoir, dans quelque occasion que ce fût, prêcher surle-champ témoin ce qu'il fit dans sa cathédrale de Rouen, lorsqu'un jour de grande fête, le prédicateur étant demeuré court au commencement de son premier point, on vit M. l'archevêque fendre l'auditoire, monter en chaire, et, reprenant la division qui avoit été proposée, traiter chaque point avec toute la dignité, avec toute la force qu'eût pu avoir un discours médité à loisir1.

Pour donner à son éloge une juste étendue, j'aurois à traduire tout un volume latin, qui a pour titre : de Vita Francisci de Harlay, Rhotomagensis primum, deinde Parisiensis archiepiscopi, libri IV, Auctore Ludovico Le Gendre, etc. Paris, in-4°. 1720 2.

1 << Die Beatæ Virginis conceptui sacra, dicebat ad populum Rhotomagi Franciscanus Recollectus, eloquentiæ laude florens, Joannes Damascenus Le Bret, partitaque oratione in tria capita, primum exequebatur, quum subito ea raucitate, eoque deliquio correptus fuit ut, petita venia ab Harlæo qui aderat et a frequentissima concione, e pulpito descendere coactus est. In tam repentino et tam insolenti casu attonitos auditores et jam effluentes Harlæus monet ne abeant, paululumque se colligens, suggestum ascendit et ea capita in quæ divisa erat Franciscani oratio tam diserte, tam docte tota hora prosequitur, ut omnes præ admiratione exclamarent neminem tam subito, tam facunde locutum esse... Erat ex tempore quam a cura præstantior. » (Anno 1667). De vita Fr. Harlœi vita, lib. VI, 1720, in-4o, p. 70.) Voy. aussi, p. 80, le chapitre intitulé: « Oratoris subito ægrotantis partes suscipit et laudabiliter explet. »

2 Après avoir parlé des relations qu'entretenait M. de Harlay avec Brébeuf et Corneille, le biographe ajoute ce passage qui fait connaître les rapports de M. de Harlay avec l'Académie:

<< Hæc in litteras politiores propensio in eo viguit semper; hæc

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