Imágenes de páginas
PDF
EPUB

sans être ni copiste, ni original, partage la gloire des plus grands originaux.

Il est vrai que le génie s'élève où l'esprit ne sauroit atteindre; mais l'esprit embrasse au delà de ce qui appartient au génie.

Avec du génie, on ne sauroit être, s'il faut ainsi dire, qu'une seule chose. Corneille n'est que poëte; il ne l'est même que dans ses tragédies, à prendre le mot de poëte dans le sens d'Horace'.

Avec de l'esprit, on sera tout ce qu'on voudra, parce que l'esprit se plie à tout. Racine a réussi dans le tragique et dans le comique; son discours à l'Académie est admirable2; ses deux lettres contre Port-Royal, ses petites épigrammes, ses préfaces, ses cantiques, tout est marqué au bon coin.

Ajoutons que le génie, dans la force même de l'age, n'est pas de toutes les heures, et que surtout il craint les approches de la vieillesse. Corneille, dans ses meilleures pièces, a d'étranges inégalités, et dans les dernières, c'est un feu presque éteint.

1

Au contraire, l'esprit ne dépend pas si fort des mo

[blocks in formation]

2 Je parle du discours qu'il fit à la réception de Th. Corneille et de Bergeret : car pour celui qu'il fit à la sienne, il n'a point paru. Fléchier, Gallois et Racine furent reçus le même jour. Fléchier parla le premier et fut infiniment applaudi; Racine parla le second et gâta son discours par la trop grande timidité avec laquelle il le prononça, en sorte que son discours n'ayant pas réussi, il ne voulut point le donner à l'imprimeur. (o.)

ments; il n'a presque ni haut ni bas; et quand il est dans un corps bien sain, plus il s'exerce, moins il s'use. Racine n'a point d'inégalité marquée, et la dernière de ses pièces, Athalie, est son chef-d'œuvre.

On me dira que Racine n'est point parvenu, comme Corneille, jusqu'à une vieillesse bien avancée. Je l'avoue; mais que conclure de là contre ma dernière observation? Car l'âge où Racine produisit Athalie répond précisément à l'âge où Corneille produisit OEdipe, et par conséquent la vigueur de l'esprit subsistoit encore tout entière dans Racine, quand l'activité du génie commençoit à décliner dans Corneille.

Mais de tout ce que j'ai dit, il ne s'ensuit pas que Corneille manque d'esprit ou Racine de génie. Ce sont deux qualités inséparables dans les grands poëtes. L'une seulement l'emporte dans celui-ci, l'autre dans celui-là. Or, il s'agissoit de savoir par où Corneille et Racine devoient être caractérisés, et, après avoir vu ce que les critiques ont pensé sur ce sujet, j'en suis revenu au mot de M. le duc de Bourgogne.

Racine étant le dernier Académicien mort dans le dix-septième siècle, c'est par lui que je finis. Vous, Monsieur, qui avez pris la peine de revoir mon manuscrit, vous savez que j'avois d'abord poussé cette Histoire beaucoup plus loin. Mais il faut que je vous ouvre mon cœur. Quand j'ai considéré que l'illustre Pellisson, l'homme du monde le plus circonspect, le plus poli, ne laissa pas d'éprouver la mauvaise humeur de ses contemporains, je vous avoue que j'ai tremblé pour

moi'. Je me trouvois même dans une situation plus dangereuse que la sienne; car il n'a parlé que d'un trèspetit nombre d'Académiciens, la plupart desquels étoient des auteurs isolés; au lieu que dans ces derniers temps de l'Académie, je me voyois accablé de noms qui tiennent à toute la France. J'ai essayé dans nos assemblées publiques une bonne partie des articles qui entrent dans ce volume; il ne m'est jamais arrivé de contenter tout le monde; les uns se plaignoient que j'avois trop loué, et les autres que je n'avois pas loué assez. Pour l'ordinaire, j'en ai conclu que j'avois donc attrapé ce juste milieu, où la vérité se plaît. Mais enfin, puisque l'Académie ne manquera jamais d'un historien qui ait moins de timidité que je ne m'en sens et plus de bonheur que je n'ose en attendre, vous m'approuverez sans doute, Monsieur, d'avoir généreusement et prudemment condamné au feu la suite que vous avez vue de mon ouvrage2.

J'en excepte un seul fragment, qui concerne M. Huet. Personne n'ignore les raisons que j'ai de vouloir que cet article, qui a déjà été imprimé plus d'une fois, reparoisse ici.

1 Voyez ci-dessus, p. 257. (0.)

2 L'abbé d'Olivet a peut-être condamné au feu son manuscrit : mais il n'a pas exécutê son arrêt. Voyez ci-dessous, dans l'Appendice, les extraits de ses lettres inédites au président Bouhier,

XL

PIERRE-DANIEL HUET,

Ancien Évêque d'Avranches, reçu à l'Académie le 13 août 1674, mort le 26 janvier 1721.

Il naquit à Caen le 8 février 1638'. L'amour de l'étude prévint en lui, ne disons pas tout à fait la raison, puisque nous ignorons quand elle commence, mais au moins l'usage de la parole. « A peine, dit-il, avois-je quitté la mamelle, que je portois envie à ceux que je voyois lire 2. » Il perdit son père à dix-huit mois, sa mère quatre ans après. Il fut livré à des tuteurs négligents, qui le mirent dans une pension bourgeoise 3, où,

1 De Daniel Huet, écuyer, et d'Isabelle Pillon de Bertouville. (0.) Son père, calviniste converti, était conseiller du Roi et secrétaire ordinaire en la cour de Sa Majesté. Lors de la grande réformation de 1669, sa noblesse fut reconnue et confirmée. Ses armes, empreintes sur la reliure de tous ses livres et en tête de toutes ses lettres, étaient d'azur à deux hermines d'or en tête et trois grelots sonnants de même, en pointe. Cf. Huet, évêque d'Avranches, sa Vie et ses OEuvres, par M. de Gournay, et Étude sur Daniel Huet, par l'abbé Flottes. Quelques-unes de nos notes sont empruntées à ces deux livres, auxquels nous ne renverrons plus.

2 Huetiana, p. 3; Commentar. p. 16. (o.) — Ce titre abrégé désigne le Commentarius de rebus ad eum pertinentibus, qui a été récemment traduit en français par M. Ch. Nisard.

3 Le tuteur de Huet, après la mort de sa mère, fut Gilles Macé, mathématicien, dont la femme, Catherine Pillon de Bertouville, était sœur de sa mère. Ses cousins étaient loin d'avoir son goût pour l'étude; aussi, quand mourut leur père, lui abandonnèrent-ils

avec peu de secours, et n'ayant que de mauvais exemples, il ne laissa pas d'achever la carrière des humaninités avant que d'avoir treize ans faits '.

Pour sa philosophie, il tomba sous un excellent professeur2, qui, à la manière de Platon, voulut qu'il commençât par apprendre un peu de géométrie. Mais le disciple alla plus loin qu'on ne souhaitoit. Il prit un tel goût à la géométrie, qu'il en fit son capital et méprisa presque les écrits que dictoit son maître, qui heureusement étoit assez sage et assez habile pour ne lui en savoir pas mauvais gré. Il parcourut tout de suite les

volontiers tous ses instruments et tous ses livres de mathématiques, de physique et d'astronomie.

1 Il fut placé dans le monastère des PP. Croisiers, pour faire ses premières études; puis il passa, à l'âge de huit ans, au collége du Mont, où, pendant cinq ans, il continua d'étudier sous la direction des Jésuites. Dans sa correspondance inédite, il écrit à son neveu de Charsigné : « On me fit aller au collège à l'âge de huit ans. J'entrai en cinquième à Pasques, et, l'année suivante, en quatrième. A l'âge de douze ans, j'étois premier empereur en seconde, et les douze ans n'étoient pas encore expirés quand j'entrois en rhétorique. » En même temps qu'il suivait les cours du collège du Mont, Huet avait un précepteur dont il parle ainsi dans sa correspondance inédite : « Le précepteur que j'ay eu jusqu'en philosophie, étoit fort homme de bien, et du côté de la piété il faisoit très-bien son devoir; mais il étoit très-ignorant, ne m'apprenoit rien du tout, et j'aurois été plus propre à être son précepteur qu'il ne l'étoit à être le mien. Mais en récompense, j'étois fouetté et battu barbarement. » C'est ce qui lui a fait dire dans une épître à Ménage :

Prima tribus lustris mihi nondum adoleverat ætas,
Plagosi nec jam metuebam sceptra magistri.

En rhétorique, il eut pour professeur Antoine Halley, poëte latin distingué.

2 Le P. Mambrun, connu par ses vers latins et par un traité du poëme épique. (o.)

« AnteriorContinuar »