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pas seulement la Bible comme la source de la religion, mais il croyoit que c'étoit de tous les livres le plus propre à former et à exercer un savant'. Il avoit lu vingt-quatre fois le texte hébreu, en le conférant avec les autres textes orientaux. Tous les jours, dit-il, sans un seul d'excepté, il employa deux ou trois heures, depuis 1681 jusqu'en 1712.

Une cruelle maladie dont il fut attaqué cette annéelà, et qui le tint au lit près de six mois, lui affoiblit considérablement, non pas l'esprit, mais le corps et la mémoire. Cependant, dès qu'il eut un peu recouvré ses forces, il se mit à écrire sa vie ; et il l'écrivit avec toute l'élégance, mais non pas avec tout l'ordre ni avec toute la précision de ses autres ouvrages, parce que sa mémoire n'étoit plus la même qu'autrefois. Elle alla toujours en diminuant. Ainsi, n'étant plus capable d'un ouvrage suivi, il ne fit plus que jeter sur le papier des pensées détachées, travail proportionné à son état.

Quoiqu'il m'en ait confié son unique copie pour la publier sous le titre d'Huetiana2, je ne me flatte point

agréables, mais auquel il revenoit toujours par cette tournure ordinaire je disois donc, etc. Quelque liberté qu'il donnât aux savants de parler ou de lire à leur tour, il souffroit avec impatience qu'on l'interrompît et surtout que l'on contredit et que l'on objectât. La séance finissoit par le bouillon rouge de M. de Lorme, qu'on lui apportoit à huit heures. >> Nous avons donné d'autant plus volontiers ce long passage, utile complément de l'abbé d'Olivet, qu'il semble avoir échappé à ses récents biographes.

1 Ibid. p. 354. Huetiana, p. 182. (o.)

2 Je n'ai pris la liberté ni d'y ajouter, ni d'y changer un seul mot; et la copie, toute de la propre main de l'auteur, est demeurée

qu'à ce sujet on me permît de rapporter ici avec quelle complaisance il m'a souffert depuis que j'eus l'honneur de le connoître en 1708. On doute, lorsqu'il s'agit des grands hommes, si c'est amour-propre ou reconnoissance, qui fait que nous parlons de leur amitié ; et souvent, de peur d'être soupçonnés d'une foiblesse, nous

renonçons à un devoir.

Je ne saurois pourtant ne pas avouer que c'est moi qui procurai la cinquième édition de ses poésies en 1709. Je m'en ressouviens d'autant plus volontiers que, sans cette édition, qui réveilla ses Muses endormies', vraisemblablement il n'eût jamais songé aux cinq nouvelles Métamorphoses qu'il composa en 1710 et 1711 2. Tout son esprit s'y retrouve. Quelle délicatesse, et pour un savant de ce rang-là et dans un âge si avancé! Quelle fleur, et, si nous osions parler ainsi, quelle jeunesse d'imagination 3 !

Au reste, si l'on veut bien considérer qu'il a vécu quatre-vingt-onze ans moins quelques jours; qu'il se porta dès sa plus tendre enfance à l'étude ; qu'il a toujours eu presque tout son temps à lui; qu'il a presque joui toujours d'une santé inaltérable; qu'à son lever,

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chez Jacques Estienne, libraire, qui l'a imprimée. (o.)- L'édition est de 1722; elle est précédée de la notice qu'on lit ici, et où l'abbé d'Olivet n'a changé qu'un seul mot.

1 On reconnaît le début de cette épître de Despréaux à l'abbé Des Roches, et qui fut traduite en latin par Santeul.

A quoi bon réveiller mes Muses endormies?

* Lampyris, Galerita, Mimus, etc. (o.)

3 Huetiana, p. 4. Voyez aussi Commentar. lib. I, p. 25 et lib. V, p. 278. (o.)

son coucher, durant ses repas, il se faisoit lire par ses valets; qu'en un mot, et pour me servir de ses termes, « ni le feu de la jeunes se, ni l'embarras des affaires, ni la diversité des emplois, ni la société de ses égaux, ni le tracas du monde, n'ont pu modérer cet amour indomptable de l'érudition qui l'a toujours possédé ': » une conséquence qu'il me semble qu'on pourroit tirer de là, c'est que M. d'Avranches est peut-être de tous les hommes qu'il y eut jamais, celui qui a le plus étudié.

Outre qu'il étoit naturellement robuste, il vivoit de régime. Dès l'âge de quarante ans, il ne soupoit point. Encore dînoit-il sobrement. Il ne mangeoit que des viandes communes, point de ragoûts, et à peine mettoit-il dans son eau une huitième partie de vin. Sur le soir, il prenoit une sorte de bouillon médicinal2. A la vérité, lors même qu'il se portoit le mieux, il avoit le teint d'une pâleur à faire craindre qu'il ne fût malade.

Une singularité bien remarquable, c'est que deux ou trois jours avant sa mort tout son esprit se ralluma, toute sa mémoire lui revint. Il employa ces précieux

1 Huet écrivait en effet des vers latins avec une grande pureté, une délicatesse exquise, et un grand charme tous ses contemporains ont vanté son talent pour la poésie latine. L'épitaphe que lui fit, en grec, La Monnoie, et qui fait allusion à ce mérite, ne doit pas être oubliée ici. Pourquoi, demande le poëte à Phoebus, avoir fait mourir Huet, âgé sans doute, mais dont les accents étaient si doux. C'est, répond Phoebus, parce qu'il m'a

surpassé par ses vers:

ὅττι μ' ἐνίκησεν τοῖς ἐπέεσσιν, ἔφη.

2 C'est un bouillon connu sous le nom de Bouillon rouge du médecin de Lorme. (0.)

moments à produire des actes de piété et mourut tranquille, plein de confiance en Dieu.

Je ne connois de ses manuscrits que ceux-ci : une traduction latine des Amours de Daphnis et de Chloé, faite à dix-huit ans; un roman intitulé: Le faux Incas, fait à vingt-cinq; un traité philosophique de la Foiblesse de l'esprit humain, fait dans le même temps que ses Quæstiones Alnetana; une Réponse à M. Régis, touchant la métaphysique de Descartes; ses Notes sur la Vulgate, et un recueil de cinq à six cents lettres, tant latines que françoises, écrites à des savants'.

ADDITION.

Voilà mon éloge de M. Huet, tel qu'il fut pour la première fois imprimé à la tête d'Huetiana, en 1722. J'y rapporte, en qualité d'historien, quels sont les manuscrits du savant prélat; je mets de ce nombre son Traité philosophique de la foiblesse de l'esprit humain; et là-dessus, quand ce livre a vu le jour, il a plu à un

1 Nous donnerons ici, comme nous l'avons toujours fait pour les Académiciens dont parle Chapelain, le jugement porté sur Huet par celui-ci en 1662. Huet avait alors vingt-quatre ans à peine : « Huet : il écrit galamment bien en prose latine et en vers latins, et ce qu'on a vu de lui en l'un et l'autre genre lui a acquis une fort grande réputation; il publie l'Origène de sa traduction et promet beaucoup. »> A quoi Camusat, éditeur des Mélanges de Chapelain, ajoute : «il a rempli ce qu'il promettoit. »

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journaliste de me prendre à partie, comme si j'en étois, ou l'auteur ou l'approbateur'. Mais j'oublie ce qui me regarde personnellement 2. Venons à M. Huet.

Qu'enseigne-t-il dans cet ouvrage posthume 3? Trois propositions :

I. Que la Foi, pur don de Dieu, est seule infaillible;

II. Que la raison humaine n'a d'elle-même nul moyen de parvenir à la connoissance d'aucune vérité;

III. Que par conséquent, dans les points où la Foi paroît opposée à la raison, il est juste de ne pas déférer aux prétendues lumières de la raison, et nécessaire de s'attacher uniquement à l'infaillibilité de la Foi.

Pour la première de ces trois propositions, l'illustre auteur ne la touche que superficiellement, parce qu'il la suppose établie dans sa Démonstration évangélique; pour la troisième, c'est une suite incontestable des deux autres: ainsi la seconde étoit la seule qui demandât d'être prouvée, et c'est à quoi il emploie ce dernier traité, où il n'y a proprement de lui que la méthode et le style, car les anciens lui en ont fourni le fonds.

Quelque vénération que je conserve pour la mémoire de ce grand homme, j'avoue que sa deuxième proposition, prise dans un sens relatif à la foi, souffre de

1 Voyez plus loin les extraits inédits des lettres de l'abbé d'Olivet.

2 Si id ex levitate processerit, contemnendum est; si ex insania, miseratione dignissimum; si ab injuria, remittendum. Cod. lege unica. Si quis imperatori. (0.)

3 Les opinions philosophiques de Huet ont été l'objet de mainte controverse. (Voyez les extraits des lettres inédites de l'abbé d'Olivet.) L'abbé d'Olivet fut vivement attaqué par le P. du Cer

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