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avec les hommes choisis, qui furent successivement préposés à l'éducation de M. le Dauphin, de M. le duc du Maine et de M. le duc de Bourgogne. Quels hommes c'étoient! Vous les connoissez, Monsieur, et je me borne ici à vous dire qu'ils furent tous et les amis et les protecteurs de l'abbé Genest, et qu'après l'avoir bien connu, ils conspirèrent tous ensemble pour le placer, en qualité de précepteur, auprès de mademoiselle de Blois, aujourd'hui S. A. R. madame la duchesse d'Orléans.

Jugez combien ses mœurs devoient être aimables, puisqu'un Bossuet, un De Court', un Malézieu2, charmés de voir jusqu'à quel point la nature avoit été libérale pour lui, entreprirent à frais communs de suppléer à ce que l'éducation ne lui avoit pas donné. Pendant qu'il étoit chez le duc de Nevers, une prodigieuse envie d'apprendre, mais jointe à l'impossibilité de puiser dans les sources, le rendoit assidu aux conférences du célèbre Rohault, qui enseignoit la philosophie de Descartes. Il n'en avoit pu prendre, dans les entretiens publics, qu'une teinture superficielle, mais suffisante néanmoins pour entrer là-dessus en matière avec M. Bossuet, qui,

1 Charles Caton De Court, secrétaire des commandements du duc du Maine. Il a écrit une Relation de la bataille de Fleurus, gagnée par le duc de Luxembourg sur le prince de Waldeck. 1 vol. in-4o, Paris, 1690.

2 Nicolas de Malézieu avait été placé par Bossuet et Montauzier auprès du duc du Maine en même temps que Caton De Court et Chevreau. On a de lui plusieurs pièces de vers, dans les Divertissements de Sceaux et quelques petites pièces de théâtre.

comme nous le savons d'ailleurs, étoit grand cartésien'. D'abord ce savant maître s'aperçut que les fondements nécessaires pour bâtir solidement n'étoient pas jetés dans l'esprit de son disciple; je veux dire, que les règles de la dialectique lui étoient inconnues. Ainsi les leçons qu'il lui donna commencèrent par cette science, qui est la clef du raisonnement. Tous les mardis, l'abbé Genest se trouvoit au lever du prélat, et jouissoit de son entretien jusqu'à l'heure où M. le Dauphin entroit à l'étude. Peu à peu ils attaquèrent toutes les parties de la philosophie, et ce fut là ce qui donna naissance à cette espèce de poëme qu'il ne publia que sur la fin de ses jours, mais dont il s'étoit occupé plus de trente ans : ouvrage auquel le public n'a fait qu'un froid accueil, parce qu'il est venu dans un temps où la faveur du cartésianisme étoit déjà bien diminuée 2.

Je n'ai pu voir le fameux Caton de Court, mort en 1694; mais généralement tous ceux qui l'ont vu disent que c'étoit un homme qu'on auroit mis au-dessus de tous ses contemporains, s'il n'avoit apporté autant de soin à cacher son mérite que ceux au contraire qui en ont peu étudient les moyens de briller. Il conçut pour M. l'abbé Genest une amitié sans égale. Quand il avoit un moment à prendre l'air, il s'enfonçoit avec lui dans un bosquet de Versailles, et, le livre à la main, lui expliquoit quelque bel endroit des poëtes ou des philoso

1 Huet, Comment., lib. v, pag. 296. (o.) sur M. de Cordemoy.

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2 Principes de la Philosophie, ou Preuves de l'Existence de Dieu, etc. Paris, 1716. (o )

phes anciens'. Vous ne croirez pas tout à fait que cela ait pu lui tenir lieu de bonnes études, ébauchées dès l'enfance, et reprises dans l'âge mûr. Mais du moins il n'en falloit guère davantage pour lui former le goût; et ceux de nos confrères qui ont été de son temps à l'Académie m'ont dit qu'en effet il opinoit toujours avec un grand sens, et que, si l'on s'apercevoit quelquefois de son peu d'étude, ce n'étoit que par un silence également sage et modeste.

Venons à son troisième maître, M. de Malézieu, dont les mânes, si vous me permettez de parler poétiquement, doivent être bien glorieux de voir que la place qu'il occupoit parmi les Quarante a été dignement remplie 2. On lui est redevable de tout ce que l'abbé Genest a fait pour le théâtre : car non-seulement il le forçoit à travailler en ce genre, mais il l'éclairoit, il le guidoit. Vous connoissez Zélonides, Pénélope et Joseph, tragédies imprimées, qui ont été jouées avec un grand suc

1 Portrait de M. De Court, p. 18. (o.)

2 M. de Malézieu, reçu à l'Académie en '1701, mort en 1723, eut pour successeur le président Bouhier, à qui ces lettres sont écrites.

3 Zélonide, princesse de Sparte, tragédie, représentée le 4 février 1682, est dédiée à la duchesse de Nevers. Paris, Barbier, 1681, in-12.

Pénélope, tragédie représentée le 22 janvier 1694, dédiée à la duchesse d'Orléans. Paris, Boudot, 1703, in-12.

5 Joseph, tragédie tirée de l'Écriture sainte, représentée en 1710, dédiée à la duchesse du Maine, avec un avertissement de l'auteur, et un discours de M. de Malézieu, adressé à la même princesse au sujet de cette pièce. Rouen, Hérault, 1711, in-8°.

cès. Une autre de ses tragédies, Polymnestre', étoit de pure invention, et sur un plan romanesque tracé par M. de Malézieu, qui prétendoit que la nouveauté toucheroit les spectateurs, et que les sujets tirés de la fable ou de l'histoire étoient si usés qu'on ne s'y intéressoit plus. Au contraire, M. de Court soutenoit que, pour nous toucher, il faut des objets réels et connus jusqu'à un certain point; qu'ayant, pour ainsi dire, passé notre enfance avec les héros de la Grèce et de Rome, c'est là ce qui nous fait prendre un intérêt à ce qui leur arrive sur le théâtre, et qu'en conséquence de ces principes, Polymnestre échoueroit, quoique d'ailleurs la pièce fût bien versifiée, bien conduite, pleine de sentiments et d'heureuses situations: l'événement justifia M. de Court.

Un homme de lettres ne trouve pas moins à profiter avec les femmes d'une grande condition, lorsqu'elles ont eu une éducation proportionnée à leur rang; et de ce côté-là votre confrère fut aussi heureux qu'en hommes. Car Mme de Thiange2, à qui le duc de Nevers, son gendre, le présenta, ne put lui refuser son amitié, et bientôt le mit en liaison avec ses deux sœurs, Mme de Montespan3 et l'abbesse de Fontevrault. Celle-ci joi

1 Polymnestre, tragédie représentée en 1696, n'a pas été imprimée.

2 Gabrielle de Rochechouart, mariée en 1635 à Claude Léonor de Damas, marquis de Thiange, morte le 12 septembre 1693. 3 Françoise-Athénaïs de Rochechouart, mariée en 1663 à Henri-Louis de Gondrin de Pardaillan, marquis de Montespan, morte à l'âge de soixante-six ans en 1707.

✦ Marie-Madelaine-Gabrielle de Rochechouart, née en 1645,

gnoit aux solides vertus de son état un rare génie, et un savoir encore moins commun. Homère et Platon lui étoient aussi familiers qu'à vous. Elle goûta fort l'abbé Genest; il alla passer plusieurs étés à Fontevrault, et l'envie de lui plaire l'engagea, quoique âgé de quarante ans, à vouloir apprendre le latin. Il est vrai que notre ami, M. de La Monnoie, n'étoit guère moins âgé lorsqu'il se mit au grec, où cependant il fit d'étonnants progrès. Mais l'abbé Genest, avec des efforts incroyables, ne parvint qu'à une médiocrité qui est inutile.

Puisque je vous fais ici la liste des personnes illustres dont le commerce a le plus contribué à lui orner l'esprit, comment oublierais-je Me la duchesse du Maine, qui, pour l'avoir plus souvent auprès d'elle lorsque ses fonctions de précepteur furent finies auprès de Mme la duchesse d'Orléans, lui donna un appartement à Sceaux, où depuis il a toujours passé une partie de l'année, et même son dernier été, les plaisirs ordinaires de cette Cour étant de tout âge?

Vous souvenez-vous, Monsieur, d'avoir lu dans les Divertissements de Sceaux que M. le duc et Mme la duchesse du Maine, faisant l'honneur à notre confrère de plaisanter avec lui, et cherchant l'anagramme de son nom, Charles Genest, trouvèrent ces mots : Eh! c'est large nés (nez). Il avoit effectivement un nez qui s'attiroit de l'attention, et qui surtout avoit extrêmement frappé

morte à l'âge de cinquante-neuf ans, en 1645. Bien différente de ses deux sœurs, elle se distingua par sa piété et son savoir prodigieux,

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